[Interview] Miguel Courtois Paternina et Luis Tosar pour OPERACIÓN E

Par Nivrae @nivrae

C’est près des Champs Elysées que je retrouve Miguel Courtois Paternina, réalisateur, et Luis Tosar, acteur principal de OPERACIÓN E pour une interview.

Nivrae.fr : Où s’est déroulé le tournage ?

Miguel Courtois Paternina : Le tournage s’est déroulé entièrement en Colombie, puisque cette histoire se passe là bas et j’ai estimé avec les producteurs que si on voulait être sincères en racontant une histoire vraie il fallait se rapprocher le plus possible des zones où cela avait eu lieu.

Nivrae.fr : Luis, que retenez-vous de ce tournage ?

Luis Tosar : Muy buena ! (rires) Tourner en Colombie est excitant en soi. La qualité du scénario d’Antonio Onetti était un atout supplémentaire. (il prend une pastille de menthe)  La richesse du personnage de Crisanto et tout ce qu’il représente, c’est-à-dire la possibilité de donner une voix et un corps à ces milliers de personnes qui sont dans des situations similaires de par le monde était extrêmement intéressante. (il en offre une au réalisateur) Sans Miguel Courtois et son expérience il aurait été presque impossible de mener à bien ce tournage qui s’est fait à un rythme extrêmement difficile (il fait tomber toutes les pastilles de menthe par terre, fou rire de la traductrice qui a du mal à s’en remettre)… Nous avons fait un cinéma de guérilla, mais nous nous sommes bien amusés.

Nivrae.fr : Connaissiez vous l’histoire tous les deux avant de travailler dessus ? Vous a-t-elle touché particulièrement ?

Miguel Courtois Paternina : Je connaissais un peu les faits, car le producteur français, Ariel Zeitoun, m’avait proposé de réfléchir dessus. Mais dans le fond ce que l’on connaît de cette histoire c’est plus l’histoire d’Ingrid Betancourt et de Clara Rojas plutôt que l’histoire que l’on raconte. Le film a été l’occasion de la raconter du point de vue de Crisanto et c’est ce qui nous a paru intéressant. Nous nous sommes énormément documentés, il y avait beaucoup d’enquêtes réalisées par des journalistes y compris en Colombie, même si ce matériel était moins connu que l’histoire des otages qui avait été beaucoup racontée. Ensuite Antonio Onetti a écrit la première version du scénario et nous nous sommes lancés.

Ce qui m’a particulièrement touché c’est que j’ai tout de suite compris qu’à travers l’histoire de ce personnage, au-delà de l’histoire ethnologique colombienne, c’était l’histoire de l’injustice faite au héros anonyme et que ce thème n’était pas que colombien mais universel. On le retrouve partout où il y a de la souffrance, de la guerre, des déplacés, des gens qui pour survivre sont obligés de s’inventer la vie. C’était joindre deux choses, raconter l’histoire particulière tout en proposant également son universalité.

Luis Tosar : Je connaissais l’histoire de Clara Rojas, l’histoire de la naissance d’Emmanuel en captivité, le conflit diplomatique entrela Colombie et le Venezuela, mais j’ignorais tout de l’histoire de Crisanto que j’ai découverte grâce au scénario. Evidemment j’ai ensuite approfondi, me suis documenté. Je me suis aperçu pendant le tournage en Colombie que c’était une histoire qui était peu connue. Elle avait eu une résonance au moment où elle s’est produite mais on en a peu gardé mémoire. L’histoire de Crisanto n’avait pas d’intérêt en elle-même pour le gouvernement colombien au moment des faits et je pense que c’est une des raisons pour laquelle elle n’a pas été un des points d’attention.

Nivrae.fr : Aviez vous déjà travaillé ensemble ?

Miguel Courtois Paternina : Je n’avais jamais travaillé avec Luis, c’est un des acteurs les plus populaires et les plus récompensés en Espagne à l’heure actuelle (ndlr : il a reçu trois Goyas en y étant nominé six fois depuis 1999). Ca a été une grande chance qu’il ait envie de faire ce film, car au-delà de son talent d’acteur il a aussi rendu crédible et possible économiquement ce projet par son engagement de producteur, car il est co-producteur du film. Sans son engagement je pense que le film n’aurait jamais pu se produite. Je pense y avoir gagné deux choses, que le film puisse se faire et avoir le meilleur acteur possible pour cette histoire. (Luis Tosar rigole)

Luis Tosar : Miguel Courtois a réalisé l’un des plus grands succès du cinéma espagnol de ces dernières années, El lobo. Il a également été le réalisateur de G.A.L. et je pense que c’est un réalisateur qui n’est pas suffisamment reconnu et apprécié pour son talent. Il semblait clair dès le début que c’était le réalisateur parfait pour le type de film que l’on souhaitait faire. En plus de la séduction qu’avait pu exercer le scénario sur le projet, tout ce qui le composait, et notamment le réalisateur le rendait particulièrement intéressant.

Nivrae.fr : Quelle a été la réception du film en Colombie, y compris pendant le tournage ?

Miguel Courtois Paternina : Le film n’est pas encore sorti là bas. Pendant le tournage il y a eu un accueil neutre, bienveillant. Ils nous ont aidés de la manière qu’ils pouvaient.

Luis Tosar : Les colombiens nous ont aidé. La bureaucratie est certes plus compliquée là bas mais il y a eu une disponibilité complète des gens et l’équipe était complètement engagée avec nous.

Nivrae.fr : Une dernière question (l’attachée de presse me faisant de grands signes depuis cinq minutes environ), pourquoi le casque de conquistador ?

Miguel Courtois Paternina : Il faut demander au scénariste ! C’est une idée que j’ai trouvée très jolie, très poétique. C’est la licence de l’univers baroque sud-américain, ce qu’ils appellent le réalisme magique.

Le timing très serré n’ayant pas permis beaucoup de questions voici quelques informations supplémentaires issues d’une interview du réalisateur présente dans le dossier de presse :

Quelle est la part de fiction dans le film ?

Minime. Tout colle au plus près à la réalité. On a seulement pris quelques libertés pour que le film ne soit pas un documentaire. Par exemple, le vrai Crisanto n’est pas dessinateur. Mais ça ne va pas tellement plus loin. Le vrai paysan a le même nombre d’enfants. On leur a gardé les mêmes prénoms, comme pour sa femme dont le père, indien, est réellement guérisseur. Antonio Onetti, le scénariste, s’est beaucoup documenté via des journalistes, des informateurs, des enquêteurs… Ensuite, nous nous sommes rendus sur place ensemble, afin de finaliser le scénario dans les lieux réels de l’action en Colombie.

Avez-vous rencontré le vrai josé Crisanto ?

Nos enquêteurs colombiens l’ont vu en prison à plusieurs reprises. Moi, je l’ai rencontré longuement une fois. On n’a eu de cesse de recouper sa version avec des faits vérifiés par la presse colombienne.

Avez-vous aussi rencontré des politiques, des membres des FARC ?

Bien sûr. Pour vérifier nos informations, mais surtout pour nous imbiber de l’atmosphère et des évènements de l’époque. En plus, sur le tournage, j’étais avec des gens qui avaient  travaillé pour les FARC et qui avaient même été geôliers. Ils ont aujourd’hui déposé les armes et sont entrés dans un processus de reconversion comme beaucoup d’autres en Colombie.

Sur quelles bases vous êtes-vous appuyé pour reconstituer les camps ?

Comme chaque fois que je fais un film, je me suis immergé le plus possible dans le contexte de l’histoire. J’ai d’abord vu toutes les vidéos concernant les FARC sur YouTube et Google, lu toute la presse sur le sujet. J’ai ensuite visité des camps repris par l’armée, notamment ceux avec les prisons en barbelés que l’on voit dans le film. Ensuite, il est, hélas, facile d’imaginer l’horreur qui consiste à être enfermé en pleine jungle avec de la boue, des moustiques, la pluie et 100% d’humidité. Le tournage a duré deux mois dans des conditions très dures. On n’avait pas beaucoup de temps pour faire le film et je voulais qu’avec l’équipe, on soit dans une économie du réel.La Colombieest un pays où tout est exacerbé. La nature est très riche. Quand il pleut, il tombe des trombes d’eau, les ponts s’écroulent, les rivières sortent de leur lit. Quand il fait chaud, la température est délirante. Il fallait gérer tout ça et, en même temps, ça faisait partie de l’histoire que l’on racontait.

La Colombieest faite de contrastes pour le pire comme pour le meilleur. Les Colombiens sont extrêmement chaleureux, généreux, sympathiques. Ils nous ont très bien accueillis, manifestant une curiosité toujours bienveillante pour le fait que des Européens s’intéressent à ce sujet.

Après 6 ans de détention, Crisanto est sorti de prison, innocenté. Pourquoi ?

Parce que justement, il est innocent ! Et je l’ai toujours pensé puisque j’ai raconté l’histoire de l’homme qui a sauvé cet enfant et qui n’est coupable de rien. C’est une version contestée, notamment par Clara Rojas qui pense, comme pendant des années les autorités colombiennes, que Crisanto est le ravisseur d’Emmanuel au service des FARC. Or, quand on vit dans des pays où sévissent des guerres ou des guérillas, on n’est pas d’un côté ou de l’autre, on essaie seulement de survivre. Crisanto n’était pas avec les FARC, il habitait du côté des FARC. S’il avait vécu sur un autre territoire, celui des contre-révolutionnaires, des paramilitaires, il aurait été de l’autre côté. C’est ça la grande leçon. Les gens ne choisissent pas d’être des héros, des traîtres ou des révolutionnaires. Ils essaient seulement de survivre, faire abstraction de cet état de fait est tout simplement malhonnête. Et effectivement, quand on a terminé le montage, la justice colombienne a innocenté Crisanto. Le tournage et la médiatisation faite autour du film en Colombie ont obligé à accélérer l’enquête et les juges ont réalisé qu’il n’y avait pas d’éléments suffisants pour inculper Crisanto. Il a été libéré juste quand je finissais le montage du film. Pour moi, c’est très symbolique, d’une certaine façon la justice colombienne a donné raison à mon film et à sa thèse. Ce qui nous rend encore plus légitime de raconter cette histoire. La polémique n’a plus de raison d’être.

Aujourd’hui que sont devenus Crisanto et sa famille ?

Depuis qu’il est sorti de prison Crisanto a été, en partie, pris en charge par la production colombienne de mon film. On est en train d’essayer de lui trouver du travail, mais il est en danger car de nombreuses pressions, notamment des FARC, se font sentir. Il est menacé. Il cherche, donc, comment il pourrait trouver refuge à l’étranger. La production sur place s’active à essayer de retrouver sa femme et ses enfants, pour tenter de les réunir. Pour l’instant ce sont les seules nouvelles que nous avons.

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Critique du film : http://nivrae.fr/2012/11/16/critique-cinema-operacion-e/