[Interview] Alexandre Aja et Franck Khalfoun pour Maniac

Par Nivrae @nivrae

Lors du festival de Cannes 2012, j’ai eu l’occasion de rencontrer Alexandre Aja et Franck Khalfoun pour Maniac grâce à Orange. En effet le film est co-produit par Studio 37.

Maniac sortira le 02 Janvier 2013 en France.

Céline Louis (Orange), Frédérik Porquier (myscreens.fr) et moi-même avons rencontré Franck Khalfoun le réalisateur de Maniac et Alexandre Aja le producteur de Maniac pour parler de leur version du film. Dans ce remake du film d’horreur sorti en 1980 réalisé à l’époque par William Lustig, c’est Elijah Wood qui reprend le rôle du tueur en série Frank Zito initialement interprété par Joe Spinell.

Pourquoi avez-vous décidé de faire un remake de Maniac ?

Alexandre Aja : C’est un film révolutionnaire par ses effets gores, la radicalité de sa mise en scène, le suspense, la peur qui s’en dégagent, et l’interprétation de Joe Spinell qui était un acteur un peu underground mais assez culte à l’époque et dont la performance est restée inoubliable. Ce film a influencé énormément de réalisateurs de films de ce genre, il a été l’une de mes principales influences pour « Haute tension » par exemple. Quand Thomas Langmann, grand fan de Maniac aussi, m’a dit qu’il voulait réinventer Maniac, ma première réaction a été de prendre mes précautions parce que quand je refais « La colline a des yeux », c’est parce que l’original est très bancal. En revanche je regarde toujours Maniac, j’ai autant de plaisir à le voir, j’avais donc un peu peur de me confronter à l’adaptation de ce que je considère comme un classique de l’horreur. Et puis on a rencontré William Lustig. Il m’a dit qu’il avait adoré « Haute tension », qu’il avait beaucoup aimé aussi « La colline a des yeux » et que si c’était moi, il se sentait en confiance et il souhaitait que je supervise cette aventure.

Donc on s’est mis à écrire, en cherchant une manière à la fois respectueuse de réinventer l’histoire originale mais surtout de faire un film qui ait une raison d’exister indépendamment de l’original. On n’essaie pas d’effacer l’existence de l’original, au contraire on essaie de faire un autre film en gardant l’esprit et la radicalité, mais on amène le concept du subjectif (NDLR : les scènes sont vues à travers les yeux du personnage principal), une profondeur dans le développement des personnages et plein d‘autres choses qui font que, on l’espère, les gens vont prendre autant de plaisir à le regarder que l’original.

Franck Khalfoun : on a voulu faire quelque chose d’aussi original que Maniac à son époque parce que le film a depuis beaucoup été copié.

Quelles sont justement les erreurs à éviter ?

Alexandre Aja : Il fallait trouver une idée forte. Finalement, là où l’histoire devait être développée, c’était une évidence : l’histoire de Franck, sa tristesse, son désarroi, presque le côté désespéré de garder les femmes qu’il aime coûte que coûte, le fétichisme des mannequins…

Franck Khalfoun : c’est ça qui nous a marqué dans la performance de Joe Spinell, c’est un personnage qu’on aime alors que c’est un monstre…

Alexandre Aja : il est ignoble, c’est le pire des tueurs mais il crée une empathie. C’est toujours intéressant de voir dans des personnages aussi noirs, des traits de nos personnalités qu’on n’exprime jamais – enfin j’espère que personne autour de cette table ne s’amuse à scalper des femmes – mais on a tous connu la peur de perdre une personne qu’on aime, qu’elle s’en aille et la volonté de la garder coûte que coûte.

Franck Khalfoun : il y a aussi la scène où la fille lui dit « c’est mon copain au téléphone » et en tant que mec, on a tous vécu ça ! C’était important de recréer des moments qui nous attachent au personnage.

Alexandre Aja : autant l’histoire s’est développée assez naturellement, autant le concept du subjectif, il a fallu pas mal de maturation et il fallait quelque chose de fort parce que l’original est vraiment unique.

Franck Khalfoun : et puis ne pas refaire une énième histoire d’un serial killer, il y en a eu tellement.

Alexandre Aja : il fallait trouver pourquoi ce film devait exister

Franck Khalfoun : je suis tellement intime avec ce personnage que l’on s’est dit que c’était vraiment intéressant d’avoir cette vue intime.

Alexandre Aja : même si on ne comprend pas toujours pourquoi il fait ça. C’est ce qui est intéressant quand on lit des ouvrages sur les serial killer ou même le très bon James Ellroy « Un tueur sur la route », qui est écrit en subjectif aussi. On est dans la tête du personnage, on essaie de le comprendre et finalement on n’arrivera jamais à comprendre ce que les tueurs en série ont au fond de leurs pensées parce qu’on a à faire avec des fonctionnements psychologiques tordus. Ce qui nous intéressait, c’était cette intimité avec l’horreur, avec une sorte de bête qui sommeille mais qui en même temps a un côté extrêmement humain.

Franck Khalfoun : et c’est dérangeant ! même moi en regardant le film, à la fin je me suis dit c’est trop intime, je veux sortir de cet esprit, de cette expérience, ça laisse un malaise

Pourquoi vous avez fait le choix de cette vue subjective ?

Alexandre Aja : Pour recréer cette proximité avec quelque chose qui est tellement étranger à nous-même : un malade mental, un tueur en série, un lâche ; mais qui en même temps a ce côté très humain de vouloir être aimé

Franck Khalfoun : et de faire un truc radical, qui sorte de l’ordinaire

Alexandre Aja : dans la première version du film, il y a quelque chose de très intime dans la prestation de Joe Spinell et sur l’écriture du script on voulait absolument reproduire ça et c’est vrai que le subjectif amène ça. Mais c’est un subjectif très naturel, pas comme « Enter the void » avec un grand angle et des plans séquence où l’on sent le subjectif à chaque instant. Ce que Franck a essayé de faire, c’est de faire un subjectif qui s’oublie parce qu’on est dans une histoire.

Franck Khalfoun : le défi était aussi de trouver des façons pour qu’on voie Elijah, pour permettre l’empathie avec ce personnage

Techniquement cela a dû être difficile à tourner

Franck Khalfoun : au départ on se disait que ça allait être facile, et tout d’un coup on s’est retrouvé avec des plans hyper compliqués

Alexandre Aja : chaque plan était un casse-tête, chaque plan avait sa formule, son petit secret et finalement il n’y a pas juste une technique. Parfois il y a une caméra en harnais avec juste les mains du chef opérateur, parfois une caméra en harnais avec les mains d’ Elijah, parfois c’est le chef op, la main d’ Elijah, la main de quelqu’un d’autre…

Franck Khalfoun : parfois il faut coordonner 3 ou 4 personnes en même temps et on n’a pas compris le secret du plan tant qu’on n’a pas tout essayé. C’est une perte de temps incroyable.

Alexandre Aja : l’autre difficulté était qu’il fallait qu’on voie Elijah au maximum dans toutes les réflexions de miroirs.

Comment cela s’est passé pour Elijah Wood, pour qu’il arrive à intégrer la scène alors qu’il n’apparaît que rarement à l’écran ?

Franck Khalfoun : Elijah était toujours là, derrière la caméra, soudé avec le chef opérateur. La caméra est devenue Elijah.

Alexandre Aja : il est venu sur le film grâce au concept, il a vraiment aimé ce défi, et il a été là les 22 jours du tournage, de la première à la dernière heure, collé au chef op, à donner la réplique, et donc il a joué toutes les scènes.

Franck Khalfoun : c’était terrible d’ailleurs parce que tu te retournes, tu le vois en train de jouer, c’est fabuleux, mais personne ne le voit et c’est frustrant !

Alexandre Aja : le choix d’Elijah Wood c’était aussi de prendre quelqu’un qui ne va pas créer un manque parce qu’on connaît son visage et surtout pour ses yeux.

Ce choix d’Elijah Wood est étonnant sur le papier car très différent du physique du  personnage original incarné par Joe Spinnell

Alexandre Aja : il y a deux catégories de tueurs en série : la grosse brute, l’ogre, le géant…et il y a l’autre école qui est plus celle d’Anthony Perkins, Norman Bates de Psychose, Terrence Stamp dans le collectionneur…

Franck Khalfoun : le côté charmeur, le voisin…

Alexandre Aja : il fallait aussi justifier le fait que quelqu’un pouvait être touché par lui

Comment avez-vous choisi l’excellente BO du film ?

Alexandre Aja : cette intimité qu’on a avec le personnage, la compassion, l’empathie, le drame, tout ça devait venir par la musique. On a eu la chance incroyable de travailler avec Rob qui avait fait une musique extrêmement belle pour Belle Epine, qui est aussi synthé de Phoenix, qui travaille avec Sébastien Tellier. Il vient d’une musique qui se veut extrêmement romantique avec une influence 80’s très forte. La musique fait vraiment partie du film, elle devient une émotion, et c’est ce qu’il voulait : apporter quelque chose de romantique à la violence.

Franck Khalfoun : comme ce qu’on a fait avec la lumière et le design, c’est très beau et en même temps ça fait très mal.

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