En cette année assez Hitchcockienne, nous allons pas mal parler du maître sur le blog. Et si nous avions déjà abordé Psychose et la Mort aux Trousses il y a un moment, Le crime était presque parfait était l’introduction d’une longue série que nous continuons cette fois avec le défi qu’était La Corde.
Tout au long de sa carrière, Hitchcock aura montré une certaine fascination pour lui huis-clos mortels à suspense et le théâtre. Souvent il aura d’ailleurs combiné les deux et la Corde en est l’un des exemples les plus importants et qui, encore une fois, révèle tout le génie technique mais aussi toute la subversion du maître. En adaptant la pièce de Patrick Hamilton, il s’intéresse donc à deux étudiants qui assassinent l’un de leurs camarades pour mettre en pratique une théorie de leur professeur puis organisent une petite réception en compagnie de la famille du défunt. Mais plus la soirée avance, plus la pression du secret devient terrible à assumer et à cacher !
Dans cette pièce unique, Hitchcock a choisi de nous faire vivre tous les événements presque en direct et en couleur (une première pour le réalisateur). Il tourne alors son film avec de longs plans-séquences reliés entre eux par des transitions subtiles (lors des changements de bobines) et quelques rares coupes franches. Il nous donne ainsi l’impression d’assister à une pièce de théâtre d’un seul tenant tout en donnant une véritable leçon de cinéma. En effet, les cadrages et mouvements de caméra sont extrêmement travaillés pour intensifier le suspense. A titre d’exemple, on relèvera la manière de filmer l’un des protagoniste rangeant l’arme du crime ou encore la tension montant lorsque la domestique débarrasse le coffre, manquant de peu de révéler le corps ! D’une autre manière, la caméra toujours en mouvement va parfois venir souligner des éléments en s’intéressant à certains regards ou objets clés, nous rapprochant ainsi des deux assassins.
Fidèle son anticonformisme, Hitchcock traite de deux thèmes assez tabous pour l’époque. En effet, et même si le film en a été le plus possible expurgé par rapport à la pièce (les producteurs et le réalisateur ne le mentionnant jamais ouvertement), La Corde traite d’une certaine façon de l’homosexualité. En effet, ses deux héros son très proches et leur relation conflictuelle après ce meurtre fera souvent penser à une scène de ménage. On pourra même penser que l’un d’entre eux aura eu une liaison avec leur professeur dont ils appliquent la théorie. Ce n’est pas pour rien que les acteurs pressentis au départ (Cary Grant et Montgomery Clift) ont refusé de jouer dans le film.
L’autre thème assez sensible concerne celui de la lutte des classes. En effet, les étudiants voient dans leur acte une certaine forme de supériorité intellectuelle et sociale. Si l’un est tout de suite pris de remords, l’autre, aveuglé, va aller au bout de sa réflexion et mettre le professeur qui lui a inculqué cette théorie face à toutes ses contradictions. Avec un machiavélisme qui n’appartient qu’à lui, Hitchock va alors démonter un mode de pensée plutôt choquant et l’on se prend au jeu.
Évidemment, La Corde ne manque pas non plus d’humour. En effet, discrètement, le réalisateur joue avec le spectateur en instaurant un suspense par la mise en scène mais aussi à travers nombre de dialogue à double-sens ou de sous-entendus. Il va même jusqu’à s’auto-citer avec un certain décalage tout en s’amusant de la crédulité de ses personnages secondaires.
Avec La Corde, Hitchcock marque donc de son empreinte le suspense et si le film aura un succès modeste, il restera l’un des plus intéressants du réalisateur, notamment pour son travail très élaboré sur sa mise en scène et son installation de la tension entre les personnages qui n’est pas près de se rompre.