Le roman de J.R.R. Tolkien, “Bilbo le Hobbit” (1), constituait une sorte de prélude à la trilogie du “Seigneur des anneaux”, plus léger et moins sombre.
Il relate les aventures de jeunesse de Bilbo Saquet, l’oncle de Frodo, le hobbit qui deviendra le héros du “Seigneur des anneaux”. On le découvre dans son intérieur coquet de Cul-de-sac, au coeur de la Comté, en train de tranquillement fumer sa pipe en attendant de vaquer à ses occupations routinières. Il fait alors la connaissance de Gandalf le Gris, un des cinq puissants magiciens qui veillent sur les Terres du Milieu. Celui-ci l’invite à partir avec lui pour une grande aventure. Le hobbit refuse. Il est casanier, froussard et n’aime pas les imprévus, alors partir comme ça à l’aventure avec ce vieillard qu’il pensait mort depuis des lustres, très peu pour lui… Mais Gandalf insiste et revient avec le reste de sa troupe, treize nains affamés qui vont prendre d’assaut a cuisine et son garde-manger. Entre deux bouchées, leur chef, Thorin Ecu-de-Chêne lui explique qu’il veut reconquérir le royaume de ses ancêtres, dont ils ont été chassé par le dragon Smaug, et que pour mener à bien cette périlleuse mission, ils ont besoin d’un voleur, quelqu’un de petite taille, agile et vif. Gandalf a choisi Bilbo, et son jugement fait autorité auprès de la troupe. Le Hobbit finit par accepter et accompagne le reste de la troupe, en route pour Erebor.
En chemin, sa bravoure et son intelligence seront maintes fois éprouvées. Il gagnera une importante somme d’or et un anneau magique qui aura son importance par la suite…
Au vu du succès remporté par la trilogie du Seigneur des anneaux de Peter Jackson, l’idée d’adapter ce roman au cinéma s’est rapidement imposée à l’esprit des producteurs. Sa mise en chantier a été plus longue, un chemin semé d’embûches semblables – ou presque – à celles rencontrées par les personnages. Problèmes de droits sur le roman, brouille entre Peter Jackson et la New Line puis réconciliation, difficultés financières ayant conduit à la démission de Guillermo Del Toro, le réalisateur initialement pressenti, reprise en main de la mise en scène par Jackson, puis nouvelle interruption de la production après que le cinéaste est tombé malade…
Mais voilà, neuf ans après la sortie du Retour du roi, le film est enfin terminé et se propose de nous entraîner à nouveau dans les Terres du Milieu. Le film, ou plutôt les films, car Le Hobbit, qui devait initialement tenir en un seul et même film, s’est transformé en diptyque, puis en trilogie. Peter Jackson a en effet estimé qu’il ne pourrait pas faire tenir toutes les péripéties contenue dans le bouquin en seulement un ou deux films. Et ce format lui permet en outre d’incorporer des éléments tirés des appendices du “Seigneur des anneaux”, et d’autres, imaginés à partir des écrits de Tolkien.
On ne va pas tourner autour du pot. Si vous aviez détesté la trilogie du Seigneur des anneaux de Peter Jackson, vous ne serez pas plus conquis par Le Hobbit. Si en revanche vous étiez fan des aventures de Frodo, Gandalf et consorts, vous devriez également adorer cette nouvelle trilogie. Si vous n’appartenez ni à un clan, ni à l’autre, vous ne serez pas surpris non plus de retrouver les mêmes qualités et les mêmes défauts que dans les trois opus du Seigneur des anneaux. Et si, enfin, vous appartenez à l’ultime catégorie, celle des personnes qui détestent l’heroic-fantasy et que les combats entre humains, elfes et orques laissent de marbre, passez donc votre chemin et allez lire le texte de Sandra Benedetti dans le Studio-Cinélive n°43, vous vous sentirez moins seuls…
L’avantage d’étirer ainsi l’intrigue en trois parties plutôt qu’en seul et unique bloc permet à Jackson de prendre son temps et de mieux montrer la transformation de Bilbo, le hobbit froussard et solitaire, en bon camarade courageux et héroïque, et de se faire plaisir – et nous avec – lors des scènes de combat, impressionnantes, et en relief, s’il-vous-plaît. Toute la partie se déroulant au coeur des Montagnes de Brume, de la rencontre entre Bilbo et Gollum (et son “précieux”) à la bataille entre les nains et les gobelins, est formidable d’intensité, portée par un vrai souffle épique. La mise en scène de Peter Jackson se montre alors extrêmement efficace, avec des mouvements de caméra virevoltant au coeur de l’action.
L’inconvénient, c’est que l’intrigue principale est quelque peu hachée par des scènes additionnelles qui tombent parfois comme un cheveu sur la soupe – les récits explicatifs parfois longuets ou la parenthèse autour de Radagast le Brun, entre autres – et que cela vient s’ajouter au problème de rythme de ce premier volet, qui, comme La Communauté de l’anneau, met du temps à démarrer avant d’enchaîner les morceaux de bravoure, jusqu’au dénouement, un brin frustrant, qui nous impose d’attendre la sortie du second épisode.
Autre problème, les scènes ajoutées par Jackson sont surtout là pour faire le lien avec la trilogie du Seigneur des anneaux, décrire la montée du danger représenté par Sauron et ses troupes maléfiques. Ceux qui n’ont pas vu ladite trilogie risquent donc de se retrouver un peu perdus dans cet univers. Certes, il est à parier que la plupart des spectateurs qui se déplaceront pour voir Le Hobbit connaîtront déjà les aventures de Frodo, Aragorn et Legolas sur le bout des doigts. Mais quand même, c’est gênant… Rappelons que “Bilbo le Hobbit” était plus un conte destiné aux enfants, quand “Le Seigneur des anneaux” se voulait plus sombre, plus adulte. Ici, les deux univers s’entremêlent. Les plus jeunes seront peut-être rebutés par la complexité des enjeux “politiques” évoqués en filigrane ou par la noirceur de certains passages. Et les fans purs et durs du Seigneur des anneaux trouveront probablement un peu niaises certaines envolées comiques ou la séquence où Radagast ressuscite un hérisson…
Cela dit, il est également possible que, à travers ce compromis, Le Hobbit satisfasse tout le monde, petits et grands, néophytes et initiés, car il possède quand même de sérieux atouts. Même si on ne n’est pas familier avec la mythologie tolkienienne, difficile de ne pas succomber à la splendeur des décors qui composent cet univers fantastique, de la majesté de la cité d’Erebor à la beauté envoûtante de Rivendell. Difficile de ne pas se laisser porter par les plages musicales d’Howard Shore, qui recycle intelligemment les thèmes du Seigneur des anneaux en les mêlant à des thèmes propres aux nouveaux personnages. Difficile, enfin, de ne pas se laisser entraîner dans ces aventures périlleuses, parsemées de rencontres avec des créatures plus hideuses les unes que les autres. Malgré le déséquilibre rythmique inhérent à cet épisode introductif, on ne peut pas dire que l’on s’ennuie. Pour un film de 2h45, c’est une gageure…
Il est indéniable que Peter Jackson sait raconter les histoires, tout comme il sait coordonner ses équipes techniques pour arriver à une qualité artistique irréprochable (ou presque… On pense notamment à certains monstres caoutchouteux, un peu kitsch…).
Le cinéaste maîtrise son sujet. Il peut même se permettre quelques audaces technologiques, comme le parti-pris de tourner le film en relief et le choix de briser les dogmes et de tourner à la vitesse de 60 images/seconde (au lieu de 24 traditionnellement), pour un rendu plus fluide et une 3D plus probante, tout en faisant un peu moins mal au crâne.
Contrairement à certains de nos confrères du net, dithyrambiques sur le film de Peter Jackson, nous ne considérons pas Le Hobbit : un voyage inattendu comme le film de l’année, car ce n’est pas celui qui nous a le plus enthousiasmé sur le plan de la grammaire cinématographique, de l’esthétique ou du thème abordé. Mais c’est néanmoins un bon film à grand spectacle, un pur divertissement brillamment exécuté, qui fait passer un agréable moment, ce qui n’est déjà pas si mal. Et on verra les deux prochains épisodes avec grand plaisir. Sorties prévues en décembre 2013 et décembre 2014.
(1) : “Bilbo le hobbit” de J.R.R. Tolkien – éd. Livre de Poche Jeunesse
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Le Hobbit : Un voyage inattendu
The Hobbit : an unexpected journey
Réalisateur : Peter Jackson
Avec : Martin Freeman, Ian McKellen, Richard Armitage, Ken Stott, Andy Serkis, Cate Blanchett
Origine : Etats-Unis, Nouvelle-Zélande
Genre : voyage en terrain connu
Durée : 2h45
Date de sortie France : 12/12/2012
Note pour ce film : ●●●●●○
Contrepoint critique : My screens
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