Non, ne vous attendez pas à voir un film sur les hommes au sifflet qui créent la polémique à chaque soirée de Ligue 1 ou de coupe à Toto. L’arbitrage dont il est question dans le titre du troisième long-métrage de Nicholas Jarecki n’a rien à voir avec le sport. Il s’agit plutôt d’arbitrage financier.
Arbitragiste, c’est le métier du personnage principal, Robert Miller (Richard Gere). Et il est plutôt doué dans le domaine. Un magicien du billet vert, un équilibriste de la finance de haut-vol, roi des bonnes affaires et empereur de Wall Street, reconnu comme tel par ses pairs et par les média.
Son entreprise prospère et engrange des bénéfices records. Et pourtant, il s’apprête à la vendre. A soixante ans, Miller veut passer plus de temps auprès de sa femme Ellen (Susan Sarandon) et ses enfants – bien que son fils Peter (Austin Lisy) et sa fille Brooke (Brit Marling) soient tous deux des collaborateurs importants de la compagnie – et profiter un peu de la vie. Waouh! En plus d’être un homme d’affaires avisé et un généreux bienfaiteur pour tout un tas d’associations caritatives, Miller semble aussi être un mari modèle et un père attentionné.
Mais évidemment, tout ceci et bien trop beau pour être honnête…
On découvre déjà qu’il a une maîtresse en la personne de Julie Côte (Laetitia Casta), une artiste française dont il est le mécène. Et on réalise ensuite que la vente de sa société est motivée par d’autres raisons bien moins glorieuses. Miller s’est planté sur un gros placement et doit vendre rapidement pour éviter la banqueroute. Conscient que les acheteurs éventuels baisseraient fortement le prix s’ils connaissaient l’état réel des finances de l’entreprise, il a fait trafiquer les chiffres par ses collaborateurs et comblé le déficit en empruntant l’argent à un “ami”, le temps de réaliser l’opération. Un tour de passe-passe totalement illégal, bien sûr, mais où tout le monde peut trouver son compte…
… A condition, bien sûr, que l’acheteur potentiel, Mayfield, se décide enfin à signer l’acte de vente.
Ennuyé par les atermoiements du bonhomme, mais aussi partagé entre sa femme et sa maîtresse, qui le presse de demander le divorce, Miller en perd le sommeil, ce qui va lui jouer un bien mauvais tour. Une nuit, alors qu’il part pour une escapade amoureuse avec Julie, dans la voiture de cette dernière, il s’assoupit au volant et perd le contrôle du véhicule. Il s’en sort sans trop de dégâts, mais la passagère meurt sur le coup. Pour éviter d’être mêlé à une tragédie qui pourrait compromettre la revente, il n’a pas d’autre choix que de fuir les lieux de l’accident et d’effacer les traces pouvant remonter jusqu’à lui.
Il doit alors naviguer en eaux troubles, entre le risque d’être démasqué et d’être condamné pour homicide involontaire et celui de voir ses magouilles financières révélées au grand jour. Pas simple, d’autant qu’un flic opiniâtre (Tim Roth) a décidé de l’épingler à son tableau de chasse, et que sa femme et sa fille commencent à avoir quelques soupçons quant à sa gestion des affaires (dans tous les sens du terme)…
Sur cette trame , Nicholas Jarecki compose un très honorable thriller, qui repose moins sur une action trépidante que sur la psychologie des personnages et les choix qu’ils sont amenés à faire. Pour leur donner chair, le cinéaste a eu la bonne idée de faire confiance à de très bons acteurs, de Richard Gere, impeccable en manipulateur cynique pris à son propre piège, à Susan Sarandon, en passant par Tim Roth ou Brit Marling, la révélation de Another earth, sorti l’an passé. Tous exécutent leur partition sans aucune fausse note.
On pourra regretter que la mise en scène soit un peu trop classique, et que le scénario soit parasité par des éléments peu ou pas exploités par la suite (l’hémorragie interne de Miller, les états d’âme de la petite amie de son complice, la découverte des magouilles par Brooke…), mais l’ensemble reste relativement cohérent et bien mené.
Ce qui est intéressant, dans ce récit, c’est surtout la description d’un système totalement corrompu, aux valeurs viciées.
Les puissants peuvent faire ce qu’ils veulent sans être trop inquiétés. Ils peuvent truquer, tricher, trahir, disposer comme bon leur semble de la vie d’autrui, juste pour conserver leurs petits privilèges et continuer à engranger les profits. Et quand des enquêteurs s’intéressent à eux d’un peu trop près, ils ont les moyens d’engager les meilleurs avocats pour défendre leur cause.
Ces as de la finance savent prendre des risques calculés, négocier des arrangements et n’hésitent pas à sacrifier leurs pions quand nécessaire. Ils sont très forts à ce jeu-là, et gagnent quasiment tout le temps. Même quand ils s’affrontent entre eux, ils s’arrangent pour trouver une issue qui satisfait tout le monde – ou presque. La négociation entre Miller et son acheteur, à la table d’un café, est en cela un grand moment. Ces gens-là sont prêts à tout pour réussir, mais ils se respectent mutuellement, car ils savent qu’ils partagent les mêmes instincts carnassiers, et qu’ils appartiennent à la race des seigneurs.
Et même si leurs enfants, encore innocents et naïfs, tentent de s’élever contre le système, ils rentrent rapidement dans le rang, toujours dans le souci de sauver les apparences et la réputation du clan…
Immoral? Un peu… Et cynique aussi. C’est peut-être pour cela que le cinéaste a décidé de proposer une fin ouverte, pour permettre aux spectateurs qui le souhaitent d’imaginer un autre dénouement, plus idéaliste…
Certains vont probablement apprécier ce parti-pris narratif. En revanche, ceux qui aiment bien qu’on leur impose une fin claire, nette et précise seront probablement un peu moins à la fête, et trouveront que le film se termine un peu trop abruptement. De quoi provoquer le débat entre cinéphiles. Mais qui en assurera l’arbitrage? Euh… Non, pas nous, merci. On n’a pas trop envie de se prendre des coups des deux côtés…
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Arbitrage
Réalisateur : Nicholas Jarecki
Avec : Richard Gere, Susan Sarandon, Tim Roth, Laetitia Casta, Brit Marling
Origine : Etats-Unis
Genre : thriller financier
Durée : 1h46
Date de sortie France : 12/12/2012
Note pour ce film : ●●●●○○
Contrepoint critique : L’Humanité
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