Katryn Bigelow nous entraine avec Zero Dark Thirty dans une chasse à l’homme à couper le souffle mais aussi dans une exploration passionnante des rouages de la CIA et d’une Amérique en quête de vengeance.
Incroyablement documentée, la réalisatrice nous montre ainsi sur 10 ans l’évolution de l’enquête et des méthodes, établissant un constat de ce qu’il s’est passé avec un style quasi documentaire plutôt immersif. Si le parti pris de sauter d’une époque à l’autre dans la première partie est plutôt déstabilisant au début, cela nous fait bien prendre conscience que le temps s’écoule et que le dossier est particulièrement complexe. Et elle ne va pas passer à travers les zones d’ombre, montrant que l’Amérique a utilisé la torture pour obtenir des informations et que le danger sur place est bien réel. Sans jamais prendre parti et avec un vrai recul, Katryn Bigelow nous immerge complètement dans cette enquête d’où émerge une certaine tension.
Plus un récit d’espionnage incroyablement maitrisé et au plus proche de la réalité qu’un film d’action, Zero Dark Thirty nous plonge dans une ambiance paranoïaque contre un ennemi invisible et réalise un travail de fourmi pour reconstituer les événements et étudier le fonctionnement de la CIA à un tel point que l’on commence à se demander ce qui relève de la fiction ou du documentaire, d’autant plus qu’il tente de s’affranchir de toute récupération politique pour mieux laisser le spectateur se poser les bonnes questions sur l’éthique à adopter dans cette traque.
Mais Katryn Bigelow ne va pas s’arrêter à l’enquête et va aller au bout de sa chasse à l’homme. On savait que le scénario avait été remanié à la dernière minute suite à la mort de Ben Laden pour y intégrer cet événement et cela se fait très naturellement dans l’histoire. Même mieux, tout ce qui est raconté dans le film nous mène irrémédiablement vers l’assaut de la maison dans laquelle s’était réfugié le chef terroriste et la réalisatrice en fait alors un moment de tension à couper le souffle, nous accrochant aux cotés des soldats franchissant les différentes portes avant d’atteindre leur but et relâcher une tension de manière libératrice.
Mais à côté de ces événements, Katryn Bigelow n’oublie pas pour autant le côté humain et dresse le portrait d’une femme hors du commun. Car Maya, l’agent de la CIA incarnée avec toute la fragilité et la force de Jessica Chastain, est aussi une certaine incarnation de l’Amérique cherchant à tout prix à venger ses morts. Innocente au début du film, peu à l’aise avec la tortue, elle va apprendre pendant ces 10 années à utiliser tous les moyens à sa disposition pour atteindre son objectif et va prendre de l’assurance au point de défier sa hiérarchie. Elle est tellement déterminée que nous ne la verrons que sous son visage d’agent, ignorant totalement sa vie privée. L’actrice confirme alors encore tout son talent et brille par sa force de caractère au milieu de ces seconds rôles masculins plus clichés.
Avec Zero Darky Thirty, Katryn Bigelow va donc encore plus loin qu’avec Démineurs et réalise le film catharsis pour une Amérique qui cherche encore et toujours un coupable mais au delà de la réflexion qu’elle impose, elle livre aussi un récit d’espionnage et d’action d’une efficacité redoutable autant qu’un portrait de femme passionnant. Témoin controversé car prenant un recul exemplaire sur les événements et méthodes de l’Amérique, il n’en finira donc pas d’être étudié autant pour sa forme que pour son discours.