En 1959, Alfred Hitchcock est au sommet de son art et de sa popularité. Au cours des années 1950, il a signé plusieurs chefs d’oeuvre cinématographiques et s’est distingué à la télévision avec sa série “Alfred Hitchcock présente”. Et il vient de remporter un joli succès public et critique avec La Mort aux trousses. Alors que certains lui conseillent d’arrêter sa carrière sur ce sommet, redoutant un inévitable déclin, Hitchcock décide de mettre en chantier un nouveau long-métrage et d’opter pour un registre sensiblement différent, plus expérimental, plus sombre, plus violent. Une façon de donner un nouveau souffle à sa carrière et d’oublier l’échec injuste de Sueurs froides au box-office, un an plus tôt. En tombant sur le roman de Robert Bloch, “Psychose” (1), inspiré du parcours criminel du tueur en série Ed Gein, il sait qu’il a trouvé le sujet de son prochain film. Et rien ne pourra l’empêcher de le réaliser. Ni ses producteurs, peu emballés par le côté expérimental du film, sans grande star et en noir & blanc, ni le comité de censure, effrayé par les scènes de nudité, de violence et même un plan sur une… cuvette de toilettes, ni ses collaborateurs perplexes face à ce qu’ils pensent être un banal film d’horreur indigne du talent du maître…
On connaît la suite : Psychose deviendra le film le plus rentable de toute la carrière d’Hitchcock, le plus connu aussi et l’une de ses plus belles réussites sur le plan de la mise en scène.
Le film de Sacha Gervasi, Hitchcock, raconte la genèse de cette oeuve-culte en montrant les coulisses du tournage et l’élaboration de la mythique “scène de la douche” mais aussi et surtout en s’attardant sur la relation à la fois complice et tumultueuse de Sir Alfred et d’Alma Reville, son épouse et sa plus proche collaboratrice. Un parti-pris intéressant, qui permet de montrer quelques zones d’ombre de la personnalité d’Hitchcock et de rendre hommage à la femme qui joua un rôle non-négligeable dans sa réussite. Mais également un parti-pris hasardeux, car pour alimenter son scénario, Gervasi s’autorise quelques libertés avec la véracité des faits…
Premier exemple : Hitchcock n’a jamais hypothéqué sa maison pour réaliser Psychose. Il a bien financé lui-même le film, à cause de la frilosité des producteurs, et il a également renoncé à son salaire en échange d’une forte participation aux bénéfices du film – une idée de génie, c’est le cas de le dire, au vu des résultats du film au box-office – mais il n’a pas eu besoin de mettre en gage sa résidence principale pour financer son film, ni faire des économies sur les produits courants.
Deuxième exemple : Le tournage de la fameuse “scène de la douche”. Il semble ici expédié en une seule prise. Hitchcock, jaloux de la relation entre sa femme et le scénariste Whitfield Cook et frustré de ne pouvoir posséder ses actrices, perd les pédales. Pris d’une pulsion violente, il prend la place de l’assassin derrière le rideau de douche et martyrise la pauvre Janet Leigh, qui hurle de toutes ses forces. Coupez, la prise est bonne…
En réalité, la scène a demandé à elle seule sept jours de tournage. La plupart du temps, c’est une doublure corps qui se trouvait sous la douche. Hitchcock, très maître de ses émotions, n’a certainement pas perdu ses nerfs aussi facilement et n’a pas du tout martyrisé Janet Leigh. Gervasi veut ainsi montrer que les relations d’Hitchcock et ses actrices étaient parfois houleuses, et tournaient parfois à l’obsession. On sait que Vera Miles a bien subi le mépris du cinéaste après son désistement de dernière minute sur Sueurs froides et que Tippi Hedren a été traumatisée par ses collaborations avec le cinéaste, mais sur le plateau de Psychose, les choses ne se sont pas tout à fait passé comme cela…
Troisième exemple : Le tournage de la scène de la mort d’Arbogast. Hitchcock a bien été cloué au lit pendant deux jours pendant le tournage de Psychose, mais il n’a jamais envoyé son épouse prendre sa place sur le fauteuil de metteur en scène. En fait, il avait confié à Saul Bass le découpage de cette scène et l’avait filmée initialement telle que son collaborateur l’avait dessinée, mais, comme il trouvait que cela ne fonctionnait pas, il a opté pour cette audacieuse vue plongeante qui est l’une des trouvailles techniques du film. C’est bien Hitchcock qui a eu cette idée géniale et qui l’a mise en pratique, pas son épouse…
Le problème, c’est qu’en voulant rendre justice à Alma Reville, la conseillère de l’ombre, Sacha Gervasi minimise le génie d’Alfred Hitchcock. Il attribue indument tout le mérite des idées les plus brillantes de Psychose à Alma et fait passer le pauvre Alfred pour un pantin ridicule, obsédé par la nourriture et les femmes, voyeur, tyrannique et dépassé par les évènements…
D’accord, le scénariste de Psychose a confirmé que c’est bien Alma Reville qui a poussé Hitchcock à accepter de mettre la musique de Bernard Hermann sur la scène de la douche et qu’elle seule a eu l’oeil assez sûr pour repérer un léger mouvement de Janet Leigh sur le plan final de ladite scène… On ne peut pas nier qu’elle a exercé une influence certaine sur la création du film et qu’elle mérite donc sa part de louanges, aussi bien pour le succès de ce film que pour l’ensemble de la carrière de son époux. Mais faire croire que c’est elle qui était la vraie réalisatrice, c’est totalement inexact, un brin malhonnête et insultant pour la mémoire d’Alfred Hitchcock. Il suffit de relire “Le cinéma selon Hitchcock” (2) et les entretiens de Sir Alfred avec François Truffaut pour vérifier qu’en matière d’art cinématographique et de mise en scène, le bonhomme savait de quoi il parlait…
Pour charger un peu plus la mule, Gervasi a eu l’idée totalement saugrenue de faire dialoguer, à intervalles réguliers, un Hitchcock rongé par la jalousie et la frustration et un Ed Gein imaginaire, censé représenter sa part d’ombre. Psychose ne serait que l’expression des pulsions morbides de Sir Alfred? Allons donc… Si Hitchcock a tourné Psychose, c’est qu’il sentait que le public, à l’orée des années 1960, commençait à se lasser des films trop policés, trop chastes et exigeait des choses plus dures, plus noires, pour satisfaire sa soif de sensations fortes, à l’instar de La Soif du Mal, tourné deux ans avant par Orson Welles. Et surtout, il a compris que ce roman, avec ses multiples rebondissements allait lui offrir une magnifique matière première pour ses expérimentations narratives et technique.
Tout cela ne serait pas gênant si Hitchcock ne se présentait pas comme un biopic sur le célèbre cinéaste anglais. Il aurait mieux valu l’intituler “Mrs Hitchcock” et le vendre pour ce qu’il est : un hommage à Alma Reville, sous la forme d’une fiction vaguement inspirée d’anecdotes réelles.
Car vu sous cet angle, et en passant outre les invraisemblances scénaristiques évoquées plus haut, il faut bien avouer que le film de Sacha Gervasi n’est pas si mal. La construction du récit est bien fichue, plusieurs répliques font mouche, on ne s’ennuie pas une seule seconde et le film satisfera sans doute aussi bien les néophytes que les cinéphiles avertis, ravis de plonger dans les coulisses d’un film mythique.
Helen Mirren et Anthony Hopkins s’emblent beaucoup s’amuser à endosser les rôles d’Alma et Alfred Hitchcock. La première est étincelante en femme de caractère, lasse de rester constamment dans l’ombre de son génial mari. Le second semble parfois un peu trop raide, plombé par un triple menton en latex assez laid, mais parvient à restituer le flegme britannique et l’humour du personnage.
Le reste du casting est lui aussi très bien choisi : Scarlett Johansson est assez craquante dans le rôle de Janet Leigh, Jessica Biel incarne Vera Miles, Toni Colette joue Peggy Robertson, qui fut l’assistante d’Hitchcock de Sueurs Froides jusqu’à Complot de famille, Danny Huston campe l’écrivain Whitfield Cook (scénariste de L’inconnu du nord-Express et Le Grand Alibi), Wallace Langham joue Saul Bass, Kurtwood Smith est très crédible dans la peau de Geoffrey Shurlock, le grand gourou du Code Hays, et James d’Arcy est impeccable, tourmenté et fragile à souhait dans le rôle d’Anthony Perkins.
La mise en scène séduit aussi. Forcément, elle emprunte beaucoup à la mise en scène d’Hitchcock, avec ses plans-séquences, ses travellings, ses mouvements à la dolly. La différence, c’est que chez Hitchcock, chaque mouvement avait une fonction, un sens. Ici, ce n’est que pur exercice de style. Mais on s’en contentera. On apprécie aussi le jeu autour des éléments de décor de Psychose, les oiseaux empaillés (qui servaient, dans le chef d’oeuvre d’Hitchcock, à exprimer le rapport de force entre la proie et le prédateur) et le mannequin représentant la mère de Norman Bates (conservé aujourd’hui à la Cinémathèque Française).
Oui, Hitchcock est un film plaisant à regarder. Pas un chef d’oeuvre du Septième Art comme pouvait en livrer le cinéaste britannique, loin de là, mais une comédie légère, rondement menée. Dommage que le spectacle accumule les contre-vérités, minimise le talent d’Hitchcock et préfère se concentrer sur les amours compliquées du cinéaste et sa femme plutôt que de nous parler de cinéma.
Finalement, le seul véritable intérêt du film de Sacha Gervasi est de nous donner envie de revoir Psychose et de nous replonger avec délices dans les nombreux ouvrages qui le décortiquent dans les moindres détails, expliquant à quel point Sir Alfred Hitchcock est l’un des cinéaste les plus importants de l’histoire du Cinéma.
(1) : “Psychose” de Robert Bloch – éd. Moisson Rouge
(2) : “Hitchcock-Truffaut, le cinéma selon Alfred Hitchcock” de François Truffaut – éd. Robert Laffon
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Hitchcock
Hitchcock
Réalisateur : Sacha Gervasi
Avec : Anthony Hopkins, Helen Mirren, Scarlett Johansson, Toni Collette, Jessica Biel, Danny Huston
Origine : Etats-Unis
Genre : fiction qui se fait passer pour un biopix
Durée : 1h38
Date de sortie France : 06/03/2013
Note pour ce film : ●●●○○○
Contrepoint critique : A voir à lire
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