A l’occasion de sa ressortie en version intégrale restaurée, on ne peut pas passer à côté de La Porte du Paradis, le chef d’œuvre mésestimé de Michael Cimino.
Avec un film dépassant les 3h30, un budget exceptionnel qui n’en finissait pas de grimper, le choix d’acteurs méconnus (Kris Kristofferson, Isabelle Huppert) et une exigence maladive sur le tournage (on ne compte plus les kilomètres de rushs), Cimino a peut-être eut les yeux plus gros que le ventre et après l’échec critique de la première, le studio décida d’amputer le film d’une heure et de le distribuer sur un circuit de salles restreint, signant là directement la mort du film au box office. Cette décision ne permit pas au film de rentrer dans ses frais et fit entrer le studio United Artists en faillite. Une catastrophe financière qui a même signé la fin du règne des réalisateurs indépendants et respectés du Nouvel Hollywood (Coppola, Scorsese, Friedkin, …) au début des années 80.
Pourtant, avec la ressortie de la Porte du Paradis aujourd’hui, ce lynchage critique devient plus clair, tout autant que les qualités et la portée du film se révèlent pleinement. Il faut dire qu’à une époque où les États-Unis avaient besoin de réconfort et où le western était le symbole de la conquête de l’Ouest, le film de Cimino vient détruire tout espoir et rappelle que les États-Unis se sont fondés dans le sang. Ainsi, l’épisode de la guerre civile qui eu lieu dans le Comté de Johnson évoqué ici est particulièrement choquant puisqu’il s’agissait tout de même de la mise à mort des pauvres immigrés par les riches exploitants locaux. Le réalisateur nous entraine ainsi vers un massacre annoncé à travers le regard du personnage de James Averill (Kristofferson) qui a du mal à prendre parti après être tombé amoureux d’une jolie prostituée (Huppert).
Avec un romantisme touchant (les scènes intimistes entres Kristofferson et Huppert) et une violence épique, le réalisateur touche à de nombreuses émotions, de la tristesse à la colère pour enterrer le western bien pensant de papa. Et d’un autre côté, il développe une mise en scène flamboyante, donnant aux images une véritable caractère et une grande force évocatrice. Cette mise en scène peut même être qualifiée de tournoyante tant la figure du cercle est omniprésente pendant tout le film, de la valse du début au siège mortel de la bataille finale en passant par cette enivrante ronde en patins à roulettes. Le réalisateur oppose ainsi sans cesse la vie et la mort, l’amour et l’amitié, la richesse et la pauvreté alors que notre héros a du mal à trouver sa place.
La Porte du Paradis est donc une fresque sombre magnétique qui capte notre attention pour nous faire vivre une véritable aventure s’enfonçant dans un cauchemar difficile à raconter. Mais cette fresque souffre de quelques accès de mégalomanie, d’imperfections qui lui donnent paradoxalement tout son caractère. Ainsi, le film n’est pas exempt de longueurs et certains personnages ne sont pas assez exploités (Christopher Walken) ou irritants et inutiles (John Hurt). Mais ces défauts ne sont finalement rien à côté de l’histoire grandiose qui est racontée ici avec une force immense. Grâce à Cimino, les images de la Porte du Paradis hantent encore notre esprit longtemps après sa vision.
Après cette vision, on se demande bien pourquoi le lynchage du film à sa sortie fut aussi dur tant nous avons ici affaire à un film d’une puissance rare. Il est donc temps aujourd’hui de lui rendre justice et cette nouvelle version remasterisée en est l’occasion rêvée.