Récemment placé en tête du classement des meilleurs films de tous les temps par le British Film Institute (détrônant Citizen Kane), retournons sur l’un des plus grands films d’Alfred Hitchcock et sans doute l’un de ses plus personnels : Sueurs Froides.
Plus connu sous son titre original Vertigo, Sueurs Froides marque l’entrée d’Alfred Hitchcock dans une nouvelle période faste. Librement inspiré du roman d’Entre les morts de Boileau et Narcejac, le réalisateur trouve ici la matière pour nous offrir sans doute son film plus étrange et hypnotique et cela commence dès le générique mémorable Saul Bass et Bernard Herrmann. Plongés alors directement dans une atmosphère étrange décuplée par le mystère entourant San Francisco (la plus européenne des grandes villes américaines), nous faisons la connaissance de Scottie, ancien flic souffrant d’acrophobie. Une de ses anciennes connaissances le contacte alors pour lui confier la filature de sa femme qui sera apparemment possédée par l’esprit de l’une de ses ancêtres. Très vite il va en tomber amoureux avant qu’un événement tragique n’ait lieux et qu’un complot ne commence à se tramer.
Une histoire de possession, c’est le genre de récit que nous n’avions pas encore vu chez le maître du suspense et c’est bien cette ambiance fantastique qui fait alors sortir le film du lot, d’autant plus qu’Hitchcock excelle lorsqu’il veut semer le doute et nous hypnotiser. Évidemment, cela est du en partie à la maitrise technique du réalisateur qui, pour l’occasion, utilise le travelling compensé de manière superbement efficace pour nous faire ressentir la sensation de vertige qui hante Scottie. Mais Hitchcock réserve bien d’autres surprises qui ne font qu’accentuer l’aspect romantique et parfois malsain du film tout en se concentrant beaucoup sur les couleurs qui revêtent ici une véritable importance pour entrer dans l’atmosphère du film et l’esprit du héros (la séquence du cauchemar de Scottie en est le parfait exemple).
Ainsi, James Stewart, pour sa 4e collaboration avec le réalisateur, joue un personnage aux multiples faiblesses et frustrations dont l’obsession pour l’héroïne va devenir malsaine dans la dernière partie du film, avant qu’il ne découvre le complot qui se tramait en réalité. Le réalisateur mêle ainsi romantisme, complot, tension sexuelle et mort avec un certain machiavélisme mais aussi une empathie touchante pour son héros perdu. Entre les filatures, les déguisements, … on en vient à suivre d’une certaine manière le parcours d’un homme désespérément amoureux, à un tel point que cette tourment ne peut avoir qu’une issue tragique.
A ses côtés, Kim Novak (remplaçant au pied levé Vera Miles) se révèle tour à tour lumineuse, manipulatrice, ou fantomatique, donnant alors à la blonde hitchcockienne une dimension encore plus complexe et plongeant le héros autant que le spectateur dans de multiples questions donnant au récit un côté imprévisible. Le réalisateur joue avec cette image et donne à cette femme un côté inatteignable, de par sa beauté froide mais aussi par son aspect et son attitude distante voir spectrale (et encore une fois ici, les couleurs et vêtements, comme ce manteau blanc et écharpe noire flottant au vent, ont toute leur importance).
Film d’atmosphère avant tout, Sueurs Froides est sans doute l’un des plus sombres, complexes et captivants films d’Hitchcock, se révélant un peu plus à chaque vision. C’est aussi l’un de ses plus personnels et étrangement, à sa sortie, ce n’est pas vraiment celui qui a déplacé les foules. Il faudra que les années passent avec de multiples ressorties avant que les critiques et le public y reconnaissent l’un des plus grands films du réalisateur qui continuait encore à marquer de son empreinte le suspense et le fantastique.