Avec la sortie de Cloud Atlas et Jupiter Ascending en pleine préparation, c’est l’occasion de revenir sur l’œuvre phare des Wachowski qui a fait couler autant d’encre qu’elle a repoussé les frontières du cinéma d’action et de SF, la trilogie Matrix ! (
Alors qu’ils avaient déjà l’histoire de Matrix en tête, les frères Wachowski ont commencé par faire leurs preuves avec Bound, polar noir en huis clos ultra maîtrisé dans lequel on sent déjà une véritable patte narrative et esthétique. Banco, le producteur légèrement mégalo comme on n’en fait plus, Joel Silver, signe le contrat pour les aider à réaliser Matrix. Nous sommes à l’aube des années 2000 et les Wachowski ont déjà mis leurs 4 pieds dans le nouveau millénaire, livrant avec leur film une œuvre de science-fiction et d’action à la fois ultra référencée et en même temps très innovante, tant sur la forme que sur le fond. Ainsi, la fratrie embarque Keanu Reeves, aka Neo, dans un monde où les machines dominent l’humanité qu’elles ont plongé dans un rêve permanent simulant notre monde d’aujourd’hui, la matrice.
Dans ce récit qui mêle nouvelles technologies, arts martiaux, prophéties et élus, langage informatique et survie de l’humanité, les influences des Wachowski sont nombreuses, des contes aux mangas en passant par les jeux vidéos ou films de SF qui ont précédé. Ainsi on pense forcément à Terminator, Ghost in the Shell, … sans oublier l’inévitable Alice au Pays des Merveilles et son lapin blanc. Mais ces références sont bien digérées et surtout servent le propos jusqu’à devenir même complètement symboliques. Car dans Matrix, rien n’est le fruit du hasard et lorsque l’on fouille un peu, chaque élément est une référence mythologique, religieuse qui donne alors aux actes des personnages une dimension bien plus vaste et permet à l’œuvre de développer une véritable réflexion sur des thèmes aussi différents et vastes que la place de l’homme et de la machine, la destinée, les choix, la renaissance …
Les noms des personnages choisis, Neo (nouveau, anagramme de one/élu/unique), Morpheus, Trinity, … sont ainsi révélateurs de la fonction de chacun mais participent aussi à donner à Matrix une dimension mythologique et quasi biblique qui sort du carcan habituel de la SF high tech. Ainsi, dès le premier film, les réalisateurs posent les bases d’un univers bien plus vaste et qui peut s’étendre de multiples manières. Comics ou jeu vidéo, tout va y passer, mais le plus intéressant sera sans conteste Animatrix. La compilation de court-métrages, travaillés en collaboration avec de grands talent de l’animation japonaise, va ainsi explorer davantage l’univers de la matrice mais aussi les thèmes récurrents de la saga, le film noir pour l’un, la fusion homme-machine dans l’autre, mais aussi l’humanité et son cycle infernal de destruction et de renaissance. Animatrix complète ainsi parfaitement la saga et devient même l’une de ses composantes indispensables pour mieux comprendre la réflexion qui s’étend ensuite dans Matrix Reloaded et Revolutions.
Car après avoir instauré un univers et un héros dans le premier volet, les Wachowski décident d’aller plus loin dans leur réflexion dans le diptyque qui suit. En effet, les personnages se multiplient et l’aspect mythologique tout autant (le Mérovingien et Perséphone apportent encore plus de consistance à cet aspect pour évoquer l’ancienneté de la matrice). Mais c’est aussi le thème de l’éternel recommencement qui prend ici toute sa place alors qu’il n’était que peut évoqué dans le premier film. Seconde vie de Smith, le discours final (assez pompeux) de l’Architecte, jusqu’au titre Reloaded (rechargé), tout ici indique ici que l’humanité et chaque personne individuellement est prise dans un cycle dans lequel les choix ne sont que quelques variables. C’est aussi là que la relation entre l’homme et la machine devient plus complexe, à la fois en guerre et complémentaire, l’un ne pouvant survivre sans l’autre jusqu’à la révolution.
Nous n’aurons pas la prétention de pousser l’analyse beaucoup plus loin ici puisque tout cela a été maintes fois évoqué dans maints ouvrages complets mais il s’agit surtout de laisser quelques pistes de réflexions qui rendent alors la trilogie plus passionnante qu’au premier visionnage. Les Wachowski ont donc créé un univers dense qui ancre la technologie dans notre mythologie, dépassant alors le simple film cyber-punk que l’on pouvait y voir au début. Évidemment, la fratrie réalise tout cela avec une ambition démesurée, qui tombe parfois à la limite du ridicule dans certaines séquences (la rave dans les grottes de Reloaded ou le combat à rallonge de Neo contre des centaines de Smith sont toujours aussi grotesques) et une véritable maitrise technique innovante dont le bullet time n’est que l’un des exemples pour réaliser des scènes d’action mémorables.
Au delà de la frustration qui à pu naître en découvrant Matrix Reloaded et Revolutions au cinéma, revoir la trilogie aujourd’hui dans son ensemble nous permet d’apporter un nouvel éclairage passionnant sur ce qu’ont tenté de réaliser les Wachowski. Plus qu’une saga cinématographique, une véritable mythologie s’inscrivant dans le nouveau millénaire comme avait pu le faire Star Wars à ‘époque, le côté chevaleresque et l’émotion pure en moins. C’est d’ailleurs peut-être cet aspect froid, plus adulte et fermé qui ne lui offre pas le même culte sur les années mais la trilogie reste tout de même une œuvre phare des années 2000 qui influencera à son tour de nombreuses œuvres de SF.