Critique Cinéma : The Grandmaster

Par Nivrae @nivrae

The Grandmaster (Yut doi jung si) est  réalisé par Wong Kar-Wai (In the Mood for Love) qui sortira en France le 17 avril 2013.

Le film était présenté en Avant-Première au Festival du Cinéma Asiatique de Deauville 2013.

Synopsis : Ip Man voue une passion absolue au Wing-Chun, le kung-fu chinois, et fréquente le Pavillon d’Or, un élégant bordel où se retrouvent les maîtres de kung-fu de la ville de Foshan. En 1936,la Chine est au bord de la guerre civile et les Japonais ont envahi les provinces du nord-est. Le Grand Maître Gong Baosen, à la tête de la communauté des arts martiaux du Nord, débarque à Foshan. Il y a été convié par les maîtres du Sud qui ont organisé sa cérémonie d’adieux au Pavillon d’Or. Gong Er, la fille de Gong Baosen, seule à maîtriser la figure mortelle des 64 mains de son père, arrive également à Foshan. C’est là qu’elle fait la connaissance d’Ip Man…

Casting :  Tony Leung Chiu Wai, Zhang Ziyi, Chang Chen

The Grandmaster est le nouveau film de Wong Kar Wai (In the mood for love, Les cendres du temps, Happy together, My blueberry nights …). Il y raconte l’histoire de Ip Man, grand maître incontesté du wing-chun. Ip Man a déjà eu droit à plusieurs films décrivant la vie du professeur de Bruce Lee. Wong Kar Wai ne s’intéresse pas ici uniquement à Ip Man, mais s’en sert de prétexte pour brosser un tableau des écoles de wing-chun entre 1936 et 1951 et traiter de l’histoire mouvementée de la Chine à cette époque.

Après la chute de la dynastie Qing, la Chine est entrée dans une période de guerre civile entre les nationalistes du Kuomintang de Tchang Kai Tchek et les révolutionnaires de Mao Tsé-Toung. Le pays subit également l’occupation du nord par le Japon, qui y créera l’état fantoche du Mandchoukouo. Après la défaite japonaise, la guerre civile continuera jusqu’en 1949 et la victoire finale de Mao Tsé-Toung qui proclamera la République populaire de Chine.

Ip Man et les autres maîtres du wing-chun y incarnent les dépositaires d’un art et d’une philosophie qu’ils ont le devoir de transmettre dans une époque difficile pour chacun d’eux. Les deux héros, Ip Man et Gong Er, vont tenter de s’en tenir à un idéal de vie et de droiture plutôt que de céder à la tentation de la facilité, du pouvoir ou de la vengeance. Au sommet de leur art et de leur force au début du film, combattant l’un contre l’autre dans une chorégraphie parfaite, ils vont devoir faire face à la chute de leur monde et tout faire pour garder dignité et sens moral.

Wong Kar Wai a tenu à respecter les spécificités de chaque école de wing-chun. Dans cette tradition de transmission de l’art, il se fait également passeur et nous présente chaque école et ses techniques spécifiques dans une recherche de l’authenticité des gestes et des règles qui fait de The Grandmaster une démonstration de la palette du wing-chun. Si les gestes sont moins spectaculaires que dans d’autres films du genre, les coups portent avec une crédibilité parfaite et une grande fidélité. Pas d’acteurs volants ici, ni de prises paralysantes et autres joyeusetés folkloriques. Tony Leung et Zhang Ziyi frappent, cognent, brisent les os, fracassent les articulations avec une précision et une vitesse foudroyante dans une mise en scène à couper le souffle. Chaque scène, chaque plan est étudié et travaillé avec une incroyable minutie. Les chorégraphies mises en place par le maître du genre, Yuen Woo-Ping (Il était une fois en Chine 1 et 2, Fist of Legend, Matrix 1,2 et 3, Tigre et Dragon, Kill Bill 1 et 2, Danny the dog, Crazy Kung Fu…) font mouche. Le travail de Wong Kar Wai est dantesque et a demandé un investissement total de ses acteurs. Fidèle à sa réputation, le réalisateur hongkongais a mis quatre ans à réaliser le film, quatre ans pendant lesquels ses acteurs ont subi un entraînement intensif au wing-chun qui se ressent dans leur maintien et leur façon de combattre.

Wong Kar Wai égratigne également au passage l’histoire de la Chine à travers ces maîtres qui, comme Ip Man, ont combattu face à l’ennemi japonais mais avaient choisi de le faire du côté des nationalistes. Ils se sont vus obligés de se réfugier à Hong Kong où ils ont créé de nombreuses écoles de wing-chun qui y ont prospéré. Nous suivons en parallèle la vie de Gong Er et du Rasoir (The Razor en version anglaise, ma traduction ne sera peut-être pas celle choisie dans la VF). Ce dernier ne croisera jamais Ip Man, mais son destin reste lié au wing-chun et son choix de s’exiler à Hong-Kong est similaire. Il est le représentant du baji, déclinaison violente du kung-fu et apporte un éclairage supplémentaire sur les évènements.

Subissant les épreuves, les privations, descendu du piédestal sur lequel sa famille aisée l’avait placée, Ip Man vit une chute terrible qui ne s’arrêtera qu’à Hong Kong. Malgré tout, c’est l’esprit positif qu’il a hérité du wing-chun qui l’empêchera de sombrer, une ouverture d’esprit qui se résume par l’enseignement de Gong Baosen, l’important n’est pas la victoire, c’est d’apprendre.

J’ai un seul bémol vis-à-vis de ce film. Sur certains plans, j’ai été fortement gêné par des saccades à l’image, notamment sur les travellings arrière lors des « photos ». Etant donné l’aspect hyper travaillé de chaque scène, de chaque mouvement de caméra et de chaque plan, ces défauts paraissent extrêmement étonnants et il est possible (je l’espère) que ce soit un problème du projecteur numérique de la salle de projection.

Note : 9,5/10 si les saccades que j’ai observées venaient d’un problème du projecteur numérique. Chaque plan est magnifique, un découpage de génie pour un film qui va bien au-delà du film de kung-fu classique.