Critique Cinéma : The Hunter de Rafi Pitts

Par Nivrae @nivrae

The Hunter  est un film de Rafi Pitts qui est sorti en DVD le 2 avril 2013 chez BlaqOut.

SynopsisTéhéran, 2009. Ali, récemment libéré de prison, est veilleur de nuit dans une usine. Il vit à contretemps de sa femme et de sa fille. Lorsqu’elles disparaissent dans les émeutes qui secouent la ville, Ali devient le chasseur, poursuivant froidement de sa haine un ennemi insaisissable, caché au cœur des villes aussi bien qu’en lui-même.

Casting : Rafi Pitts, Mitra Hajjar, Saba Yaghoobi

C’est l’adaptation d’une nouvelle de Bozorg Alavi, écrivain iranien fondateur de l’équivalent du parti communiste iranien, activiste sous le régime du Shah et opposant au régime issu de la révolution islamique qui a suivi. Rafi Pitts y a ajouté une première partie racontant comment le chasseur en est arrivé à cette situation.

Le film en lui-même peut rebuter. C’est un film âpre, difficile d’accès. Un héros qui ne s’exprime pas ou très peu, quelques mots à peine en une heure et demie, peu d’événements, un scénario lapidaire qui divise le film en deux parties, l’une en ville, l’autre en forêt, le tout avec peu de moyens. Mais l’intelligence de The Hunter c’est de laisser la place à l’interprétation. C’est ce qui le transforme en une œuvre subversive, en offrant plusieurs lectures dans un pays qui n’en admet qu’une seule. Il traite de cet homme iranien qui ne parle plus, paradoxe dans un pays où l’on est volubile, un homme que tout pousse à bout et qui finit par craquer et commettre l’irréparable, sans que l’on en sache beaucoup sur lui. Presque muet sur ses actions, il l’est autant sur son histoire, il sort de prison, mais sans que l’on en connaisse les raisons. Enfermé dans une vie qu’il n’a pas choisi, à laquelle il est condamné, il tente de se raccrocher à l’existence au travers de sa femme et de sa fille. Il tente de compenser son absence par des cadeaux vains. Avec la prison avant et ses horaires de veilleur de nuit après sa sortie, il semble n’avoir jamais pu être là pour elles. Cependant quand elles disparaissent, quand il perd ce qu’il semble ne jamais vraiment avoir eu, ce dont il n’a pas pu profiter comme il le voudrait, tout s’écroule autour de lui. L’homme pète un plomb, devient animé d’un désir de vengeance irrationnel. Il a tout perdu et cherche à punir au hasard parmi ceux qu’il juge responsables.

Les bonus du DVD révèlent ce film. Constitués d’une longue interview de Rafi Pitts découpée en séquences, l’histoire de ce film est fascinante. Son tournage validé après un long combat par la censure iranienne, le refus de la police d’apporter son soutien au tournage, les problèmes d’acteurs et puis surtout la réalité qui rattrape la fiction. Peu après le tournage, les vraies émeutes éclatent dans Téhéran. La nature du film change malgré lui, il se transforme en une œuvre politique. Les lectures multiples qu’il offre deviennent une arme. La censure revient sur sa décision. Rafi Pitts, qui est en Allemagne pour finir le montage et la musique du film, se rend compte qu’il ne pourra pas retourner en Iran et que ce film, qu’il avait amené avec d’infinies précautions pour qu’il soit validé par la censure, ne sortira jamais en Iran. Raconté dans un français parfait par le réalisateur lui-même, cette histoire ajoute une profondeur insoupçonnée au film. Je conseillerais même de regarder les premiers bonus en premier, voir le film, puis regarder les commentaires de deux scènes inclus dans les bonus, cela ouvre une vraie perspective sur The Hunter qui dépasse son côté difficile d’accès.

Note : 8/10, Un film sur l’Iran d’aujourd’hui qui se révèle grâce aux bonus du DVD, qui montrent comment un film devient malgré lui très subversif et porteur d’une forte charge politique.