Alors qu’il est enfin devenu président du festival de Cannes, il est temps de se replonger dans l’un de ses films les plus durs, émouvants et personnels de Steven Spielberg : La Liste de Schindler. Une vraie leçon d’humanité.
Il en aura fallu du temps à Steven Spielberg avant de s’attaquer à la Liste de Schindler. Alors qu’il a découvert le roman de Thomas Keneally à sa sortie en 1982, au moment où il venait de réaliser E.T. l’Extra-Terrestre, le réalisateur roi d’Hollywood s’était mis en tête de l’adapter pour le grand écran. Mais étant conscient qu’il n’avait pas encore la maturité nécessaire pour réaliser se projet lui-même, il chercha alors à le produire avec notamment Roman Polanski ou Martin Scorsese derrière la caméra. Hélas, le projet resta sans arrêt au point mort. D’une certaine manière c’est le signe pour Spielberg qu’il doit le réaliser lui-même et après des oeuvres plus « sérieuses» comme Empire du Soleil ou la Couleur Pourpre, sa crédibilité sur ce type de projet s’est renforcée.
Pendant toutes ces années de développement, c’est le scénariste Steven Zaillian qui s’est attelé à la lourde tâche de l’adaptation du roman reprenant l’histoire d’Oskar Schindler et la manière dont il a réussi à sauver 1100 juifs de l’holocauste en les faisant travailler dans son usine. Dressant un portrait complexe de l’homme et n’évitant pas le saccage de Cracovie par les forces allemande, l’histoire de la Liste de Schindler devient sous sa plume et par les personnages qu’il choisit de mettre en avant une véritable leçon d’humanisme que Spielberg va s’empresser de tourner dès Jurassic Park en boîte (le réalisateur n’aurait certainement jamais pu réaliser Jurassic Park après Schindler, chose qu’avait bien compris le président d’Universal à l’époque pour lui donner le sens des priorités).
Pour la première fois, Steven Spielberg va tourner son film en noir et blanc. Il fait alors appel à un directeur de la photographie qui n’a pas encore eu beaucoup d’expérience à Hollywood : Janusz Kaminski. Très investi par sa mission, l’artiste technicien sera d’une grande aide au réalisateur pour donner au film un aspect historique tout autant qu’un côté très solennel, inspirant alors un profond respect pour l’homme, les victimes mais sans occulter les horreurs montrées. Un choix judicieux et fructueux qui n’est que le début d’une longue collaboration entre les deux hommes.
Mais au delà de cet aspect « technique» , le rêveur Spielberg donne avec La Liste de Schindler une leçon d’histoire, sans doute le film le plus intéressant sur la Shoah mais aussi le plus poignant, n’hésitant pas à mettre la monstruosité de certains face au mince espoir qu’il reste pour d’autres. Le réalisateur fait preuve d’une maturité et d’un respect immense vis-à-vis des victimes et l’on sent que le sujet lui tient fortement à cœur, respectant au mieux, malgré quelques libertés romancées, l’histoire. Avec des séquences fortes (la liquidation du ghetto de Cracovie dont la prise pendant lequel Schindler va prendre conscience de l’horreur qui l’entour en voyant cette petite fille en manteau rouge ou encore des exécutions sommaire par l’horrible Amon Göth), il ose montrer la mort tragique, stupide et cruelle à l’écran. Et même si il n’ose pas montrer finalité des camps de la mort en face, se ravisant à la dernière minute (la controversée scène des douches), il évite alors le voyeurisme outrancier tout en laissant une impression de malaise.
Bien entendu, certains reprocheront toujours à Spielberg de toujours s’attacher à montrer les quelques survivants plutôt que les millions de morts, mais après tout, ce que le réalisateur cherche aussi à montrer, c’est qu’au milieu de l’horreur, il y a toujours de l’espoir. Nul doute, qu’il en aurait été autrement si il avait réalisé ce film dans les années 2000, lorsque sa filmographie est devenue plus sombre suite aux attentats du 11 septembre. Mais le réalisateur cherche aussi à travers le personnage de Schindler à montrer une certaine prise de conscience.
En ce sens, épaulé par un Ben Kingsley attachant, Liam Neeson se montre grandiose dans le rôle titre. Schindler connait une évolution progressive qui le voit de simple industriel riche et playboy devenir un homme qui veut sauver le plus de vies possible. Cela ne se fait pas en un clin d’œil et il faudra un certain temps avant qu’il n’assume pleinement cette mission sous couvert de faire du profit, si bien que sa personnalité est toujours assez ambigüe. Et face à la bonté que peut dégager Schindler, Ralph Fiennes révèle toute la monstruosité de son personnage et par là, de l’ennemi nazi, lui aussi plus complexe qu’il n’y parait lorsqu’il commence à s’attacher à sa domestique juive.
Loin d’un manichéisme simple qu’on pouvait lui reprocher avant, Spielberg dresse donc le portrait complexe d’un homme mais aussi d’un contexte historique abominable duquel peut toutefois toujours surgir une once d’espoir et de tolérance. Le film se révèle alors particulièrement fort, poignant tout en nous rappelant une leçon d’histoire à ne pas oublier pour ne pas commettre les mêmes erreurs mais aussi une grande leçon d’humanité qui a marqué le réalisateur pour toujours, l’incitant alors à créer la Fondation de la Shoah pour en récolter tous les témoignages. A juste titre récompensé 7 fois aux Oscars, le film reste encore aujourd’hui une véritable leçon d’humanisme dont l’une des phrases clés « qui sauve une vie, sauve l’humanité toute entière» , résonne encore dans les esprits.