Les amateurs de 9ème art connaissent probablement Aya, cette jeune ivoirienne de 19 ans habitant Yopougon, un quartier populaire d’Abidjan, née de l’imagination de Marguerite Abouet et de la plume de Clément Oubrerie. Elle a été l’héroïne de six albums de bande-dessinée (1) qui, forts de leurs scénarios subtils et de leurs qualités esthétiques, ont tous connu un joli succès de librairie.
Aujourd’hui, c’est au tour des amateurs de 7ème art de rencontrer la sympathique jeune femme, grâce à un film d’animation très fidèle à l’esprit des BD originales et à l’environnement graphique de l’oeuvre. Et pour cause, ce sont les auteurs de la BD, Marguerite Abouet et Clément Oubrerie, qui ont dirigé eux-mêmes cette adaptation pour le grand écran, avec l’aide des équipes d’Autochenille, le studio créé par Joann Sfar (2).
Le scénario s’inspire des deux premiers albums de BD. L’action se déroule à la fin des années 1970, à Yopougon, en Côte d’Ivoire. Plus que la très sage et studieuse Aya, on suit plutôt les frasques de ses copines, Adjoua et Bintou, bien plus dissipées et un peu trop intéressées par les garçons. Evidemment, à force de gazer (3) tous les soirs, il arrive ce qui devait arriver : l’une d’elles, Adjoua, tombe enceinte après une étreinte d’un soir.
Son père, Hyacinthe, est bien sûr furieux d’apprendre que sa fille chérie a déjoué sa surveillance pour sortir le soir et qu’elle a eu des relations intimes avec un garçon, au risque d’entacher la réputation de sa famille. Mais il se radoucit quand il apprend que le possible père de l’enfant est Moussa, le fils du richissime Bonaventure Sissoko, le grand patron de la fabrique de bières locales. Une union de sa fille avec le jeune homme pourrait s’avérer fructueuse pour toute la famille…
Mais l’intrigue est surtout prétexte à une chronique tendre et amusante, portant sur l’Afrique et ses habitants un regard bien différent des clichés véhiculés habituellement dans les films ou les reportages télévisés, et totalement dénué de misérabilisme.
Ici, pas de famine, pas de guerre, pas de maladies, pas d’illettrisme… Ce n’est pas que ça n’existe pas, mais les auteurs ont pris le parti de montrer d’autres aspects du continent africain, à travers cet instantané de la société ivoirienne des années 1970.
Une société pas si différente de la nôtre, avec des milieux aisés, des milieux défavorisés et une classe moyenne aux contours indistincts, des enfants qui ont l’ambition de poursuivre de brillantes études, comme Aya, dont le rêve est de devenir médecin, et d’autres plus délurés, comme Moussa ou Adjoua…
C’est une société cosmopolite dans laquelle évoluent des ivoiriens, bien sûr, mais aussi des familles venues de pays voisins, comme le Sénégal ou le Cameroun, et où cohabitent différentes religions, différentes sensibilités politiques…
Un peu comme chez nous en France, et comme de nombreux endroits du globe…
Les personnages nous ressemblent également beaucoup. Ils aiment, se déchirent, se réconcilient, se trompent et se quittent ou fondent des familles… Ils travaillent le jour et font la fête le soir, rêvent de conditions de vie meilleure… Ils alternent des moments de joie et de peine comme chacun peut en connaître dans l’existence. Cette universalité faisait la force des bandes-dessinées, elle fait aussi celle du film.
En nous hameçonnant avec des situations qui nous sont familières, les auteurs peuvent ensuite détailler les spécificités de leur histoire, et du cadre dans laquelle elle se déroule. Car évidemment, Aya de Yopougon baigne dans une culture et une Histoire propres à la Côte d’Ivoire, et cela participe aussi pour beaucoup au charme du film.
Il y a déjà le langage dans lequel s’expriment les personnages, un mélange de français et d’expressions locales, ponctuées d’exclamations telles que “Dêh!” ou de ce sifflement singulier, le “Tchip”.
Puis la bande-son, composée de morceaux de l’époque, des musiques afro-cubaines aux titres disco, en passant par des chansons à texte locales, qui rythment le film et lui donnent un cachet particulier.
Il y a aussi l’animation, certes rudimentaire comparée aux productions américaines, mais qui réussit à reproduire fidèlement la gestuelle des habitants d’Abidjan et qui accentue parfois le côté comique de certains personnages, au même titre que le travail vocal effectué avec les acteurs de doublage.
Par exemple, le personnage d’Hervé, un ami d’Aya, est à la fois très drôle, de par son allure de grand dadais nonchalant et insouciant, et très touchant, pour exactement la même raison…
Il y a encore ces publicités télévisées qui ponctuent le récit. De vraies publicités d’époque, en prises de vue réelles, assez emblématiques de la production audiovisuelle africaine de ces années-là. Ces passages savoureux s’intègrent parfaitement au film de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie car ils possèdent cet humour décalé et naïf qui irriguent le film et véhiculent, par leur côté kitsch assumé, l’image d’une certaine douceur de vivre à l’ivoirienne.
Enfin, il y a le dessin de Clément Oubrerie, qui croque avec tendresse cette galerie de personnages attachants et qui retranscrit parfaitement l’ambiance de ce quartier de Yopougon, par le biais de petits détails finement observés.
Globalement, Aya de Yopougon est un film réussi et très agréable à regarder.
Le seul reproche qu’on pourrait lui adresser touche au traitement sonore de l’oeuvre. Pas la musique qui, on en a parlé, rythme joliment le film, ni le casting vocal, très impliqué, à commencer par Aïssa Maïga (Aya). Non, le problème est plutôt dans le niveau sonore des dialogues, parfois difficilement audibles. Et comme le texte comprend bon nombre d’expressions et de mots typiquement ivoiriens, il faut parfois s’accrocher pour comprendre le sens des paroles échangées par les personnages. Au moins au début du film, le temps de se familiariser avec le jargon de Yopougon… Mais rassurez-vous, la tâche n’a rien d’insurmontable, et le petit lexique ci-dessous, tiré du dossier de presse, vous aidera à tout comprendre parfaitement et à apprécier le spectacle.
Et cela vaut la peine de faire l’effort. Aya de Yopougon est un film drôle, tendre, léger et profond à la fois, qui fait voyager le spectateur et lui fait rencontrer une autre culture, à la fois très différente et très proche de la sienne. Au moment où l’intolérance et la xénophobie reprennent un peu du poil de la bête – hélas – une oeuvre comme celle-ci est une bouffée d’oxygène.
Parce qu’elle célèbre autant nos points communs avec nos frères africains – par rapport à l’amour, au travail, à la vie de famille, et aux choses de la vie en général – que nos différences, qui nous permettent de nous enrichir mutuellement.
Et aussi parce qu’elle est le fruit d’un travail collectif qui célèbre le métissage des cultures, en réunissant une équipe technique française et des comédiens d’origine africaine, le tout sous la direction d’une femme, Marguerite Abouet, qui se partage désormais entre ses deux pays, sa patrie, la Côte d’Ivoire, et son pays d’adoption, la France. Elle est plus qu’un modèle d’intégration : un exemple à suivre et à consolider, pour redonner la vocation du cinéma à des jeunes africains et favoriser les ponts entre nos cultures, entre nos continents.
Enfin, c’est un film qui donne furieusement envie de (re)découvrir la série de bandes-dessinées dont il est tiré.
Ca tombe bien, les deux premiers tomes ressortent en ce-moment dans une édition spécial, liée à la sortie du film. Et notre expert en bulles et cases, PaKa, en a bien sûr publié la critique dans notre Rubrique-à-brac.
Que vous soyez BD ou ciné (ou mieux, les deux), nous vous conseillons chaudement de faire connaissance d’Aya, cette charmante et sympathique héroïne qui va ensoleiller votre été.
(1) : “Aya de Yopougon” de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie – vol 1 à 6 – coll. Bayou – éd. Gallimard
(2) : On lui doit Le Chat du Rabin et, prochainement, Isaac Le Pirate.
(3) : Pour ceux qui ne parlent pas le jargon de Yop City, il va falloir vous y mettre pour décrypter les dialogues du film. “Gazer” signifie “faire la fête, sortir’
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Aya de Yopougon
Aya de Yopougon
Réalisateurs : Marguerite Abouet, Clément Oubrerie
Avec les vois de : Aïssa Maïga, Tatiana Rojo, Tellea Kpomahou, Jacky Ido, Eriq Ebouaney
Origine : France
Genre : Film qui nous enjaille trop
Durée : 1h24
Date de sortie France : 17/07/2013
Note pour ce film : ●●●●●○
Contrepoint critique : Critikat
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