Que trouve-t-on dans la tête de Charles Swan, troisième du nom?
Une grande zone du cerveau – 80% environ – est dédiée aux besoins vitaux et principalement au sexe. Comme tout le monde, allez-vous dire. Mais dans son cas, cette partie cérébrale est plus active que la moyenne, le type enchaînant les conquêtes et les coucheries sans lendemain.
Une autre zone importante chez lui est celle de la créativité. Normal, le garçon est un petit génie de la publicité, à l’imagination débordante.
Une zone plus petite correspond aux liens affectifs qu’il a noué. Ils sont peu nombreux, Charles étant profondément égocentrique. Mais on trouve quand même dans son cerveau un peu d’affection pour sa grand-mère, ses parents, sa soeur et ses neveux et son copain Kirby Star, comique de stand-up et chanteur.
Et dans cette zone affective, il y a une minuscule enclave, qui correspond à la plus heureuse période de sa vie, mais aussi à la plus douloureuse : sa relation amoureuse avec la belle Ivana, et la rupture fracassante qui l’a littéralement dévasté.
C’est précisément à cette rupture que s’intéresse Roman Coppola. Elle a lieu dans la villa du couple, à l’aube. En ouvrant un tiroir de la commode, Ivana (Katheryn Winnick) a eu la désagréable surprise de tomber sur une belle collection de photos de nus. Toutes les (ex)conquêtes de son homme… Charles (Charlie Sheen) ne voit pas ce qu’il y a de mal à garder ces quelques souvenirs de ses nuits agitées. La jeune femme, elle, fulmine, outrée par cette ultime indélicatesse… Elle le quitte illico, sans même lui laisser le temps d’argumenter.
Au début, Charles réagit lui aussi par la colère. Dans un accès de rage, il réunit toutes les chaussures d’Ivana dans un sac poubelle et part le jeter sur les hauteurs de Los Angeles.
C’est à partir de là que les choses commencent à déraper sérieusement… Le sac reste coincé dans un arbre à flanc de colline. En essayant – en vain – de le récupérer, Charles manque de tomber et se décide à retourner chez lui, mais c’est finalement sa voiture qui dégringole la pente pour finir au fond de la piscine d’un particulier, en contrebas.
Charles est hospitalisé et s’inquiète de sa santé. Sa secrétaire (Aubrey Plaza) s’inquiète du travail qui s’amoncèle sur le bureau de son patron. Et son comptable (Bill Murray) s’inquiète de la fragilité de ses finances. La seule qui semble ne se soucier de rien ni de personne, c’est Ivana… Et cela inquiète Charles encore plus que tout le reste.
Car à tous ces problèmes d’ordre physique et matériel s’ajoute un véritable chaos psychologique. Charles réalise que cette séparation inattendue le laisse sous le choc, complètement désemparé. Peut-être parce que d’habitude, c’est lui qui largue les femmes. Ou peut-être parce qu’il tenait vraiment à Ivana…
Là, il n’est plus bon à rien. Incapable de travailler, incapable de trouver des idées. Il ne pense qu’à ELLE, Ivana, aux choses qui l’agacent chez elle, mais aussi à toutes ses qualités, plus nombreuses que ses défauts. Et en pensant à ce qu’il a perdu, il déprime de plus belle…
Comment se sortir de ce violent coup de blues? En se réconciliant avec la belle, évidemment. Mais elle refuse catégoriquement de lui parler et semble bien décidée à tirer un trait définitif sur leur histoire…
Alors, pour traverser cette mauvaise passe, Charles Swan III utilise sa meilleure arme : son imagination.
Plutôt que de se prendre de plein fouet l’amertume, le dépit, la sensation d’échec, le publicitaire se fait des films dont il est le héros. Il s’imagine héros de western, essayant vainement de parlementer avec une chef-squaw hostile (Ivana bien sûr), se rejoue la scène de leur rencontre en se rêvant agent secret la sauvant des griffes des nazis. Ou encore, suite à un sketch de Kirby (Jason Schwartzman) il s’imagine pourchassé par les agents du SSBB – Secret Society of Ball Busters ou, en français, la Société secrète des Casse-Couilles – et persécuté par la chef du groupe (Mary Elizabeth Winstead).
Et quand l’évasion mentale ne fonctionne plus, l’alcool peut aider à retrouver un peu d’entrain. Mais, revers de la médaille, il peut aussi l’inciter à commettre quelques grosses bêtises…
Mais ce n’est qu’en étant enfin lui-même et en arrêtant son cinéma qu’il pourra enfin surmonter tout cela et reprendre sa vie de sale gosse insupportable, en juste un peu moins égocentrique et moins sûr de lui…
Comme son personnage, Roman Coppola a lui aussi de l’imagination à revendre. Il l’a prouvé en cosignant avec son copain Wes Anderson les scénarios des formidablement déjantés A bord du Darjeeling Limited et Moonrise Kingdom. On n’est pas surpris de le voir creuser un peu plus cette veine loufoque, entre fantaisie et mélancolie, dans ce film, qu’il a écrit, réalisé et produit seul, mais qui s’appuie sur deux des acteurs-fétiches de Wes Anderson, Jason Schwartzman et Bill Murray.
Au niveau du scénario, il n’y a rien à redire. Le film est joliment construit, truffé de séquences à l’humour subtil et au ton nostalgique, hommages à tout un pan du cinéma de série B américain des années 1960/1970.
Le défaut majeur du film se situe plutôt au niveau de la mise en scène. Malgré les points communs entre leurs univers, Roman Coppola n’est pas Wes Anderson et cela se voit à l’écran.
Oh, ce n’est pas mal filmé, loin de là. Le garçon, fils de Francis Ford et frère de Sofia, a quand même l’ADN du cinéma en lui. Il sait cadrer un plan, faire de beaux mouvements de caméra, diriger les acteurs… Le problème se situe plus au niveau du rythme et du montage.
CQ, le premier long-métrage du cinéaste, souffrait déjà d’un sérieux déséquilibre rythmique et avait dû être retravaillé suite à un accueil cannois plutôt glacial, malgré la présence de la volcanique Angela Lindvall. Et le second montage n’était guère meilleur…
Ici, c’est un cran au-dessus, mais le film manque un peu de folie pour une comédie. On regrette que Roman Coppola ne se lâche pas plus que cela, et qu’il ne parvienne pas à exploiter pleinement le potentiel burlesque de ses personnages et des situations qu’il décrit. Et on déplore également, à l’opposé, qu’il ne joue pas plus avec la fibre émotionnelle du récit. Il le fait un peu sur la fin, mais c’est insuffisant pour nous rendre attachant son personnage principal, trop monolithique et crispant.
Mais malgré les reproches que l’on peut adresser au cinéaste, il faut reconnaître que cette petite comédie, portée par un beau casting et une BO aux petits oignons, ne manque pas de charme. On peut tout à fait prendre du plaisir à visiter les méandres de l’esprit créatif et tourmenté de Charles Swan III et à se laisser gagner par la fantaisie de l’ensemble… sans prise de tête…
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Dans la tête de Charles Swan III
A glimpse inside the mind of Charles Swan III
Réalisateur : Roman Coppola
Avec : Charlie Sheen, Jason Schwartzman, Katheryn Winnick, Bill Murray, Patricia Arquette, Aubrey Plaza
Origine : Etats-Unis
Genre : Wes Anderson like (en moins bien)
Durée : 1h26
Date de sortie France : 24/07/2012
Note pour ce film : ●●●○○○
Contrepoint critique : Ecran Large
TF1 News
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