Entre le fantastique et le cinéma, c’est une longue histoire d’amour, jalonnée de bon nombre de chefs d’oeuvres qui hantent les mémoires des spectateurs, de Nosferatu à Shining, de Frankenstein à L’Exorciste, des films italiens de Mario Bava ou Riccardo Freda aux productions Hammer des années 1960/1970 ou plus récemment, des films de fantômes japonais à la vague horrifique espagnole des années 2000.
Mais depuis quelques années, le couple était en crise. La faute à des producteurs peu inspirés, ne proposant que des remakes faisandés (Vendredi 13, Les Griffes de la nuit, Meurtres à la Saint Valentin et consorts) ou du frisson light pour adolescents (Twillight et autres nunucheries du genre…), et à des exploitants frileux, privilégiant les blockbusters familiaux tout public. Seuls quelques films avaient encore droit à une exploitation en salle, les autres étant directement distribués en DVD ou en Blu-Ray.
On a même cru que le divorce allait être prononcé illico avec la vaste fumisterie que constitue Paranormal activity, film fauché et faussement malin, aux effets horrifiques ridicules. Mais, si nous n’avons pas changé d’avis concernant le film d’Oren Pelli et ses suites, il faut bien reconnaître que son succès public a relancé la mode des films de maison hantée et a ouvert la voie à d’autres cinéastes, plus inspirés et plus audacieux, et surtout bien décidé à nous filer les jetons. James Wan a ouvert la voie avec Insidious. Et il remet ça avec une oeuvre encore plus maîtrisée et terriblement efficace, qui réconciliera sûrement les salles obscures et le fantastique : Conjuring – Les dossiers Warren.
Il s’agit d’une histoire de maison hantée, d’esprits frappeurs et de possession démoniaque : En 1971, Roger Perron (Ron Livingstone), sa femme Carolyn (Lili Taylor) et ses cinq filles viennent s’installer dans une vieille ferme isolée à Harrisville, dans l’état de Rhode Island, pour bénéficier d’un meilleur cadre de vie. Raté… Très vite, des évènements étranges se produisent autour de la maison et de ses occupants. Première alerte, le chien refuse de pénétrer dans la maison, flairant sans doute le danger. Puis des portes qui grincent et des pas au grenier, classique… Et la plus jeune fille qui se met à parler à un ami “imaginaire” – ou pas… Et enfin les horloges qui s’arrêtent toutes à la même heure, chaque nuit. Là ça devient flippant et la famille doit se rendre à l’évidence que leur maison est hantée. Mais ce n’est que le début des ennuis : parmi les spectres qui hantent les lieux, une entité se montre particulièrement hostile vis-à-vis de la famille. Pour s’en sortir, les Perron vont devoir comprendre quel infâme démon a jeté son dévolu sur eux et payer de leur personne pour s’en débarrasser. Un combat long, difficile et éprouvant…
En somme, une trame ultra-classique, vu et revue cent fois. Mais l’originalité, c’est que cette fois, il s’agit d’une histoire vraie. Pas un de ces récits utilisant l’argument “inspiré de faits réels” pour nous faire gober n’importe quoi, non. Conjuring est la reconstitution d’un fait divers authentique. La famille Perron existe bel et bien et a été victime des phénomènes décrits dans le film – même s’ils sont sûrement “enjolivés” pour renforcer les effets horrifiques.
Cette affaire fait partie des énigmes résolues par les époux Warren, Ed et Lorraine (joués par Patrick Wilson et Vera Farmiga). Un duo célèbre outre-Atlantique pour ses talents de chasseurs de fantômes. Madame est médium, Monsieur était exorciste à ses heures perdues. Grâce à leurs dons, mais aussi à du matériel audiovisuel de pointe – pour l’époque – ils ont démonté bon nombre de canulars, mais aussi aidé des personnes habitant des maisons réellement hantées.
De chacun de leurs combat contre les forces occultes, ils ont rapporté un objet maudit, soigneusement entreposé dans une des pièces de leur maison. Un musée des horreurs qu’il est possible de visiter et qui attire chaque année des dizaines de curieux en mal de sensations fortes…
Que l’on croie ou non aux fantômes, ce couple aux dons un peu spéciaux est un joli sujet de cinéma, et James Wan a eu la bonne idée d’axer son film autour d’eux et de leurs enquêtes atypiques.
En guise d’apéritif, Conjuring commence par l’évocation d’un autre de leurs dossiers, celui de “la Poupée Annabelle”, un jouet un peu envahissant, abritant un démon vicelard. La scène, amusante, permet au cinéaste d’exprimer une nouvelle fois son obsession des pantins, marionnettes et autres jouets au look terrifiant (1), comme dans son Dead Silence, et nous permet d’emblée de mesurer l’ambition du film : faire peur, tout de suite, et ne jamais relâcher la pression.
James Wan et ses scénaristes ont concocté un scénario articulé autour des évènements vécus par les Perron, mais aussi autour des peurs primales. Peur du noir, peur des caves obscures et des greniers grinçants, peur des monstres sous le lit, peur des reflets dans le miroir, peur de l’invisible, peur de la folie et de l’infanticide… Chaque spectateur retrouvera là au moins une chose l’ayant terrifié pendant son enfance – ou le terrifiant encore aujourd’hui – et pourra donc s’identifier aux personnages. Et frissonner avec eux.
Et si cela ne suffit pas, la mise en scène, habile, fera son office. Le cinéaste maîtrise en effet parfaitement les mécanismes de la peur au cinéma. Il sait où placer ses caméras, gère le tempo des apparitions fantomatiques, fait sursauter avec trois fois rien et emploie la musique à bon escient pour faire monter l’angoisse – formidable partition de Joseph Bishara, soit dit en passant…
Le résultat est là : Conjuring est l’un des films fantastiques les plus flippants que l’on ait vu au cinéma depuis un bon moment, pour notre plus grand plaisir. Un fantastique à l’ancienne, qui traite son sujet sérieusement, au premier degré (2), et qui ne prend pas les spectateurs pour des imbéciles.
Ce qui est dommage, c’est que James Wan est si sûr de sa force qu’il en fait parfois un peu trop pour épater la galerie, et que cette générosité nuit au film. C’est ce qui nous avait gênés devant Insidious, qui finissait par ressembler à une vulgaire visite de train-fantôme, et devant Dead Silence. Heureusement, le cinéaste a mûri et sait ici tempérer ses ardeurs, mais sa mise en scène reste encore entachée de quelques coquetteries de style inutiles.
La fin de la partie de cache-cache, par exemple, aurait mérité d’être plus sobre. La scène est efficace, la montée de tension est exemplaire, mais le fait de montrer le spectre grimaçant prêt à bondir sur l’innocente victime atténue beaucoup l’effet horrifique recherché. Dès qu’il privilégie le hors-champ, Wan réussit à faire beaucoup plus peur.
Mais on ne va pas faire la fine bouche… Pour une fois que le genre est aussi bien mis en valeur, il convient de saluer le travail effectué, en espérant que le cinéaste persévèrera dans cette voie et affinera son style pour ses prochains films, à commencer par Insidious 2, prévu pour cet automne.
Et quoi qu’il arrive, Conjuring : les dossiers Warren marque une date dans l’histoire du cinéma fantastique. Il a battu des records au box-office américain, ouvrant la voie à de nouvelles productions de film du genre, et autant de potentiels chefs d’oeuvre.
Non, l’idylle entre le Fantastique et les salles obscures n’est pas terminée. Tant qu’il sera possible de réaliser de bons films à partir de sujets usés jusqu’à la corde, les films d’épouvante auront leur place sur grand écran et terrifieront des générations de cinéphiles…
(1) : La vraie poupée est un jouet beaucoup plus anodin, en chiffons. Voir sa photo
(2) : Tout juste s’autorise-t-il une ou deux scènes plus légères avant une séquence plus éprouvante pour les nerfs, mais on n’est jamais dans la parodie ou le film pour ados édulcoré.
Et pour compléter la critique, un lien vers un petit documentaire autour de la vraie Lorraine Warren
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Conjuring : les dossiers Warren
The Conjuring
Réalisateur : James Wan
Avec : Vera Farmiga, Patrick Wilson, Lili Taylor, Ron Livingston, Haley McFarland, Shanley Caswell
Origine : Etats-Unis
Genre : Film fantastique à l’ancienne, flippant
Durée : 1h50
Date de sortie France : 21/08/2013
Note pour ce film : ●●●●●○
Contrepoint critique : Télérama
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