En plein Étrange Festival, il était impossible pour ne pas revenir sur un film qui y aurait eu toute sa place tant son réalisateur a marqué le genre par sa personnalité et son sens artistique et de la narration sensorielle assez poussé. Je veux bien sûr parler de David Lynch et de son Lost Highway.
A chaque film, le style de David Lynch est devenu de plus en plus personnel avec une narration de plus en plus fragmentée et une folie de plus en plus présente. A ce titre, Lost Highway, sorti après Twin Peaks, est bien annonciateur des films aux tendances plus expérimentales et sensorielles qui vous suivre comme Mulholland Drive et Inland Empire. Il est ici question d’un saxophoniste à succès soupçonnant que sa femme le trompe et qu’il va assassiner. La suite, entre perception de ce meurtre par les multiples personnalités du héros, rêve sous un autre visage, manipulation et ambiance de film noir et paranoïaque nous entraine dans un labyrinthe confus dont on ne pourra pas s’échapper.
Effectivement, il faut bien l’admettre, il sera difficile de suivre l’histoire de Lost Highway tant sa narration est éclatée et n’hésite pas à utiliser les ellipses, les non-dits et les murmures mystérieux. Mais c’est bien le propre de Lynch qui préfère surtout nous embarquer dans l’esprit fou de son anti-héros Fred Madison, en pleine perte de repères. Ce n’est donc pas l’histoire qui nous importe mais bien cette plongée dans un esprit malade qui permet alors au réalisateur de mettre en images ses visions, ses thèmes fétiches, ses hallucinations. Nombreux seront ceux qui resteront sur le bas-côté mais pour ceux qui s’accrocheront, l’expérience sera unique.
Dans Lost Highway, Lynch déverse toutes ses préoccupations et ses figures de styles qui seront reprises avec plus de maîtrise quelques années plus tard dans Mulholland Drive. Il y est donc encore une fois question d’une célébrité avec une face sombre, de folie et de personnalités multiples, de rêves étranges et récurrents, de voyeurisme, de personnages énigmatiques, d’une femme fatale et double, d’un rappel de l’Hollywood noir des années 50,… Comme personne l’auteur nous installe dans une ambiance mystérieuse et feutrée non seulement par l’image faite de rideaux en velours et d’une sensualité violente mais jamais grossière mais aussi par un incroyable travail sur le son qui nous isole du reste du monde.
Perdu au milieu de ces éléments, le spectateur est le témoin du spectacle de marionnettes (les acteurs Bill Pullman ou Patricia Arquette, créature brune ou blonde selon le rêve ou la réalité, n’incarnent que des archétypes avec lesquels s’amuse le réalisateur) habilement construit par ce manipulateur d’angoisses qu’est David Lynch. Tous égarés sur la route du film nous nous retrouvons paradoxalement enfermés dans cet univers violent, sensuel et complètement fou bercés par une bande-originale qui verse non pas du côté des années 50 (Blue Velvet) ou des figures pop comme Elvis (Sailor & Lula) mais vers des sons plus contemporains avec notamment David Bowie, Nine Inch Nails ou Ramstein, participant ainsi davantage à la démence du film et des personnages.
Lost Highway n’est certainement pas le plus populaire des films de son réalisateur. Moins grand public que ses précédents, sans véritable grande star et sans sélection particulière en festival pour le mettre en avant, il n’en est pas moins un point charnière passionnant dans la carrière du cinéaste qui choisit clairement de s’orienter sur des projets bien plus personnels et expérimentaux.