Projet international un peu fou devenu l’un des films de SF les plus marquants de ces dernières années, Snowpiercer est sans conteste l’un des grands rendez-vous cinéma de cette fin d’année. Immanquable.
Un réalisateur coréen (et pas des moindres puisque Bong Joon-ho est l’auteur de Memories of Murder et the Host), une bande-dessinée française datant de 30 ans (Le Transperceneige Jean-Marc Rochette et Jacques Lob), un tournage en Europe de l’Est et un casting en grande partie anglo-saxon mené par Chris Evans et Tilda Swinton … voilà un projet d’envergure internationale un peu fou, à l’image de son sujet finalement. Car Snowpiercer raconte comment les derniers représentants de la race humaine survivent à bord d’un train qui traverse la Terre glacée depuis 17 ans.
Cette adaptation du Transperceneige ne reprend que le contexte et l’esprit de la bande dessinée pour tracer sa propre voie dans la révolte des passagers pauvres bousculés au bout du train et qui vont tenter d’en prendre le contrôle. Il en résulte une œuvre de SF prenante, rageuse, noire, profondément pessimiste et imprévisible qui devrait marquer les esprits et prêter à la réflexion.
Car Snowpiercer, comme de nombreuses œuvres de SF depuis les débuts du genre, traite tout d’abord de la lutte des classes. Un thème classique, certes, mais qui prend ici une dimension d’une consistance assez rare. Les pauvres entassés à l’arrière du train, les riches bénéficiant de luxueux wagons avec de nombreux services à disposition à l’avant (du coiffeur au tailleur en passant par le sauna ou la boîte de nuit). Forcément, quand les pauvres veulent avancer (littéralement et métaphoriquement), cela va faire des étincelles et la lutte sera sans merci.
A ce thème ce joint celui de la dictature (qui peut même parfois virer à la secte) et de l’ordre, posant la question de la place de chacun et surtout ce que l’humanité est capable de faire, d’endurer pour survire, sans oublier les sacrifices physiques et moraux à faire pour permettre à ce qu’il reste de notre espèce de tenter de perdurer dans un espace confiné. La réflexion est ambiguë, mais passionnante (d’autant plus quand on connait la situation actuelle de la Corée) et sans y répondre de plein fouet, le réalisateur préfère nous laisser y réfléchir pendant un bon moment après la sortie de la salle mais adopte un ton et un constat bien pessimiste sur notre nature et l’espoir n’est (presque) pas permis.
Pour appuyer sa vision, le réalisateur coréen fait preuve d’une maitrise immense. D’un côté il utilise à la perfection son espace confiné et nous offre une mise en scène variée. Chaque wagon a sa propre identité et le réalisateur s’y adapte à chaque fois en multipliant les styles : une bataille épique, espace plus didactique et ludique pour répondre à certaines questions, un échange de coups de feu entre plusieurs wagons, jusqu’à la plongée au cœur de la machine. Bong Joon-ho se montre à chaque fois imprévisible et n’hésite pas à jouer sur les ruptures de ton (du purement dramatique on peut passer au grand guignol purement coréen, à une bagarre dramatique ou à une réflexion sur l’humanité) pour ne jamais nous lasser et surtout faire monter la tension de sa révolution.
En plus de sa maîtrise, le réalisateur peut aussi s’appuyer sur un casting particulièrement investi. De Chris Evans qui campe ici l’antithèse de son Captain America (ce sera une révélation pour ceux qui ne l’ont pas vu dans London ou Puncture) au magnétique et mystérieux camé Song Kang-ho en passant par le mentor John Hurt, l’acolyte de toujours Jamie Bell ou la grimaçante Tilda Swinton au service du dictateur Wilford. Chaque rôle est suffisamment travaillé pour s’y intéresser, avec son moment de gloire. Mais évitez de trop vous y attacher car n’importe qui pourrait être sacrifié dans cette insurrection pour la survie de l’humanité, allant toujours plus loin dans cette illusion de l’espoir.
Si certains pourront peut-être déplorer quelques scènes de dialogues et d’explications de trop dans la dernière partie, il n’en reste pas moins que Snowpiercer est autant un film d’action diablement efficace qu’un film d’anticipation glacial et d’une noirceur rare, une véritable claque qui nous laisse sous tension pendant deux heures avant de nous faire réfléchir sur notre condition. Avec ça, on est bien proche du chef d’œuvre !