Après avoir tenté de faire verser des larmes sur la Croisette, the Immigrant, le mélo de James Gray est maintenant au cinéma. Classique mais beau et aux personnages passionnants.
Après la sombre love story de Two Lovers, James Gray retrouve encore Joaquin Phoenix (pour la 4e fois en 5 films) pour un mélodrame crépusculaire mené par Marion Cotillard. L’histoire est simple, Ewa une immigrante polonaise va faire la mauvaise rencontre en arrivant sur le sol américain, celle qui lui fera perdre ses illusions sur la terre d’espoir qui lui avait été promis. Mais à travers ce récit, c’est encore tout le cinéma de James Gray qui s’offre au spectateur, sous un nouvel angle, plus féminin, plus sensible mais toujours aussi noir.
En effet, avec the Immigrant, le réalisateur qui nous avait offert la Nuit nous appartient, réalise un vrai mélodrame à l’ancienne dans lequel son héroïne va s’attirer toutes les peines du mondes. Toujours à la limite de ce qui pourrait rendre son film ridiculement larmoyant, il réussit heureusement à nous embarquer dans une histoire sombre grâce à une mise en scène sobre et posée avec de superbes images mais aussi et surtout grâce à deux personnages passionnants.
Car en changeant de genre, James Gray n’oublie pas ce qui fait son cinéma : la cellule familiale, la mafia et surtout des personnages complexes et tragiques, liés par le destin. Ainsi, l’immigrée qui débarque va développer une relation d’amour et de haine avec le personnage de Bruno Weiss qui en fait une prostituée. Et celui-ci, bien qu’amoureux d’elle, ne peut s’empêcher de lui faire du mal, de la trainer dans la boue, profitant de son innocence. Véritable personnage pathétique de tragédie grecque, ses accès de folie ne font que l’enfoncer toujours plus dans la solitude et le désespoir, véritable miroir inversé du parcours d’Ewa qui, elle, va devoir se forger un caractère pour affronter cet homme.
Dans ces deux rôles écrits avec intensité par Gray, Joaquin Phoenix et Marion Cotillard se montrent excellents. Le premier dans une véritable démonstration théâtrale, jamais meilleur que dans les personnages pathétiquement mauvais dégageant une certaine pitié, la seconde toute en retenue, comme si c’était presque son histoire de petite actrice française débarquant à Hollywood et devant faire face aux producteurs des gros studios. Il aura vraiment fallu attendre que James Gray la dirige pour la voir enfin jouer avec une vraie justesse, loin des outrances de ce qui lui avait valu un oscar.
Et au delà, de ces deux personnage émergeant dans ce qui ressemble à une cellule familiale éclatée par les difficile conditions de vie dans le New-York des années 20, James Gray parle aussi de l’illusion qu’est le rêve américain. Certes, ce n’est pas une réflexion d’envergure puisque le film reste tout de même dans la sphère intime, mais il profite de cette belle reconstitution pour nous montrer les travers de l’Amérique avec la mafia et la prostitution comme terre d’accueil pour les plus faibles. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le personnage joué par Jeremy Renner est un illusionniste qui doit affronter la folie de Bruno Weiss.
Écrit avec plus de finesse que l’on ne pourrait penser, The Immigrant, dans ses tons sépias, revêt des atours de leçon d’histoire secrète autant que de grande tragédie à l’ancienne où les personnages complexes et passionnants priment sur le reste. Il en résulte alors un mélodrame, dur, parfois froid, discrètement puissant, qui se révèle pleinement quand on y prête bien attention.