Un homme est en train de fumer sur le bord d’une autoroute près de Lima, au Pérou. A cette heure avancée de la nuit, seuls quelques rares véhicules circulent encore. L’homme prend le temps de savourer sa cigarette. La scène dure, s’étire au maximum. Soudain, il se jette sous une voiture et décède sur le coup.
Quelques heures plus tard, une fois que la police a fait son travail, l’agent de nettoyage prend le relais.
L’homme s’appelle Eusebio. Il est employé par l’hôpital pour effacer les traces d’accidents ou de suicides, ou pour désinfecter les lieux potentiellement contaminés par des virus et des bactéries… Ces derniers temps, ce “limpiador” a beaucoup de travail. Une curieuse épidémie semble décimer la population, touchant essentiellement les hommes adultes. Les victimes sont frappés par une sorte d’infection pulmonaire fulgurante et décèdent quelques heures après les premiers symptômes. Certains préfèrent se suicider plutôt que se laisser emporter par la maladie.
Eusebio reste imperturbable. Il effectue son travail consciencieusement, avant de retrouver sa petite routine quotidienne – rentrer chez lui, jeter les clés sur la table de l’entrée – et les regarder tomber, toujours – se désinfecter soigneusement, prendre une douche et dîner seul en écoutant les nouvelles à la radio…
Un jour, en faisant le “ménage” chez une victime de l’infection, il découvre un petit garçon du nom de Joachim. Les enfants étant immunisés contre le virus, le gamin est parfaitement sain et sauf, mais il n’a plus personne pour veiller sur lui. Eusebio essaie de le confier aux services sociaux, mais ceux-ci sont débordés par l’épidémie, tous les centres d’accueil sont pleins, tous les orphelinats également. Alors, Eusebio décide d’héberger l’enfant le temps de retrouver ce qu’il reste de sa famille.
Entre Eusebio le taiseux et Joachin le froussard, une amitié va progressivement se nouer, lentement, et cette rencontre va changer leurs vies…
Lentement, oui, c’est le mot. Car le film se démarque par un rythme très lent, qui n’effraiera pas les cinéphiles rompus aux mises en scène Art & Essai, mais désarçonnera probablement les amateurs de cinéma de genre pur et dur.
D’ailleurs, certains penseront que El Limpiador n’est pas un vrai film fantastique, car le seul argument qui le rattache au genre est cette idée de “film d’infectés”, à la mode depuis quelques années, avec les 28 jours plus tard, The Crazies, Rec, Phénomènes & co… Un argument bien mince, car le film ne comporte aucune attaque de zombie hargneux, aucune scène de décès cradingue comme dans Contagion, aucune scène un tant soit peu spectaculaire…
Mais, de notre point de vue, c’est justement cela qui en fait un film d’anticipation efficace. Réfléchissons deux secondes. Si un virus venait à décimer la population mondiale, il est peu probable que les malades se transforment en cannibales enragés, que les gens paniquent au moindre éternuement ou que Dustin Hoffman ne sauve tout le monde en créant un vaccin express. Non, au début, les gens tomberaient un à un, sans se rendre compte de l’ampleur prise par la pandémie. Les médecins, pris au dépourvu, essaieraient de faire face à l’afflux de patients, sans être en mesure de faire des miracles, et la majeure partie de la population continuerait sa petite vie routinière comme si de rien n’était. Comme dans le film d’Adrian Saba, qui, du coup, s’avère assez crédible.
Et c’est en travaillant sur la forme du film que le jeune cinéaste parvient à créer une ambiance particulière, au parfum d’apocalypse. Il y a déjà le rythme très lent, qui donne l’impression d’un temps suspendu, comme les derniers instants d’une humanité condamnée. Mais aussi le choix d’une photographie aux tonalités assez ternes, déprimantes. Et enfin, le parti-pris de n’utiliser que des plans fixes, très épurés, dans lesquels n’apparait quasiment que le personnage principal. Une façon subtile de montrer les ravages de l’épidémie…
El Limpiador possède un ton particulier, lancinant et désespéré, qui le rattache au genre fantastique.
Mais cela reste avant tout un mélodrame efficace, centré autour de l’amitié entre un quinquagénaire solitaire et un petit garçon, utilisant les ressorts dramatiques d’oeuvre comme Gloria ou Un monde parfait, sans l’aspect thriller et avec une salutaire sobriété au niveau des effets tire-larmes.
C’est un joli film, qui souffre de quelques défauts inhérents à son manque de moyens et à la jeunesse de son cinéaste mais qui, dans sa construction et sa mise en scène radicale, révèle un talent à suivre.
Le film a d’ailleurs été remarqué dans de nombreux festival et représente son pays pour la désignation des prétendants à l’Oscar du meilleur film étranger.
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El Limpiador
Réalisateur : Adrian Saba
Avec : Víctor Prada, Adrián Du Bois, Miguel Iza, Carlos Gassols, Mario Velazquez
Origine : Pérou
Genre : film d’infectés péruvien
Durée : 1h35
Date de sortie France : 18/12/2013
Note pour ce film :●●●●○○
Contrepoint critique : Le Nouvel Observateur
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