Nymphomaniac [Critique]

Par Kevin Halgand @CineCinephile

"La folle et poétique histoire du parcours érotique d’une femme, de sa naissance jusqu’à l’âge de 50 ans, racontée par le personnage principal, Joe, qui s’est auto-diagnostiquée nymphomane. Par une froide soirée d’hiver, le vieux et charmant célibataire Seligman découvre Joe dans une ruelle, rouée de coups. Après l’avoir ramenée chez lui, il soigne ses blessures et l’interroge sur sa vie. Seligman écoute intensément Joe lui raconter en huit chapitres successifs le récit de sa vie aux multiples ramifications et facettes, riche en associations et en incidents de parcours."

Associé le sexe et le cinéma n’est pas une chose aisée. Certains s’y sont essayés et très peu ont réussi à en sortir un film salué par les critiques presses comme spectateurs. On retiendra notamment les performances françaises désastreuses dans ce domaine avec Chroniques Sexuelles d’une Famille d’aujourd’hui ou encore Q qui étaient à la fois des drames pathétiques et des films érotiques en rien stimulants. Malgré ces déchets cinématographiques, il reste tout de même de très bons films et un réalisateur expérimenté, qui répond au nom de Lars Von Trier. Après avoir dévoilé sa vision de l’apocalypse à travers le superbe Melancholia, le cinéaste Danois revient une nouvelle fois derrière la caméra avec un film qui au départ se disait être un film "pornographique". Depuis de l’eau a coulé sous les ponts et Von Trier a été bon puisqu’il a axé la communication autour de "cette rumeur" afin de faire parlé de lui dans tous les médias et dans toutes les chaumières. Maintenant que le long-métrage Nymphomaniac – Partie 1 est en salle, on est en droit de parler du film au lieu de tergiverser sur ce qui devrait faire polémique ou non. Attendu comme une orgie mélangeant une dizaine d’acteurs connus du grand public, Nymphomaniac n’est en réalité pas plus un film sur le sexe que Fort Boyard est une émission pour anciens détenus. Il s’agit avant tout d’un film sur l’addiction et d’une histoire bouleversante sur le combat d’une femme face à la nymphomanie.

La première rencontre entre le spectateur et Joe dite "la nymphomane" se fait dans une ruelle sombre, lugubre et humide. C’est une rencontre extraordinaire, car la vision du corps jonché sur le sol est horrible, mais Lars Von Trier arrive à rendre cette scène bouleversante grâce à un sens inné de la mise en scène. Avec l’aide de ses caméras, le metteur en scène joue avec les différents objets présents dans cette ruelle. Il joue à la fois avec leurs aspects visuels, mais aussi avec leurs sonorités respective. Véritable mélomane, Lars Von Trier aime faire parler les objets, d’où la grande importance d’une balance très élevée dans chacun de ses films. Les dialogues ne sont pas un élément crucial pour ce metteur en scène, qui contrairement à d’autres, préfère mettre en avant des bruitages comme un ruissellement d’eau sur un toit ou des cris de jouissance. Chaque bruitage a une connotation particulière et ces derniers sont beaucoup plus parlants que de simples dialogues. Habile, le scénariste réussi à la fois à rire de certaines pathétiques situations alors qu’à l’inverse il réussira à émouvoir avec la même facilité. Intuitif et gavé de sous-entendu, c’est grâce à une écriture minutieuse et à une narration fluide que Nymphomaniac est très certainement le film le plus grand public venant du cinéaste Danois malgré ses quelques scènes de sexe crues. Le sexe est un élément très important pour Joe, il est donc tout naturel qu’elles soient présentes dans leur habit naturel. Projeter le film avec des scènes de sexe épurées et moins intenses est un bémol pour le film, car c’est à travers celles-ci que Joe s’exprime. Là où la scène de sexe est bestiale, Joe assouvit son besoin alors qu’une scène d’amour sera belle et sublimée par des plans où les corps seront mis en valeur.

Visuellement magnifique grâce à sa superbe mise en scène, le cinéaste sait filmer le corps de ses acteurs sous tous les angles afin de les sublimer. Néanmoins, des effets de réalisation s’avèrent répétitifs comme des zooms sur visages en action ou des focus pas toujours au point. Fluide en toute circonstance malgré un découpage de l’histoire en huit chapitres bien distincts (tous reliés entre eux par Joe qui se confesse à nous tel une séance de psychanalyse), chaque chapitre est intéressant et renforce notre idée sur la mystérieuse Joe. Alors qu’on ne sait rien d’elle, ni même si elle ne nous ment depuis le début, on se laisse bercer par la voix de Joe qui nous conte ses aventures depuis sa plus tendre enfance où elle faisait la grenouille. Un scénario habile et bien écrit permet d’avoir un récit fluide et propose au spectateur d’effectuer plusieurs lectures de chaque plan, scène, séquence grâce à de petits détails de mise en scène ou d’écriture. Porté par l’envie de provoquer une nouvelle fois, il faut se rendre à l’évidence et Lars Von Trier a bel et bien mûri depuis Les Idiots et décide de provoquer afin de moraliser. C’est avec une véritable idée derrière la tête qu’il dévoile sa première oeuvre moralisatrice.

Grâce à ce genre de metteur en scène l’on peut apprécier le cinéma à sa juste valeur, malheureusement la version censurée l’ampute légèrement et oblige le film à paraître normal alors qu’il ne l’est pas. Ingénieux et subtile dans sa mise en scène et son écriture, Nympahomaniac laisse sans voix grâce à son casting impeccable de Charlotte Gainsbourg à Stacy Martin en passant par Shia Leboeuf. Etre bien dirigé et bien filmé, sublime un acteur et lui permet de convaincre davantage. Avec Lars Von Trier ils ont trouvé celui qui allait les rendre convaincants en toute circonstance même si le récit choisi de bouleverser ou de faire rire le spectateur. Une mélodie dramatique peinte tel un tableau de maître sur grand écran. Un superbe film qui se dévore et qui donne terriblement envie de voir la version complète (Nymphomaniac Partie 1 et 2 non censurés). En attendant, rendez-vous le 29 janvier pour la partie 2.