“Abus de faiblesse” de Catherine Breillat

Il faut quand même une certaine dose de masochisme pour aller voir les films de Catherine Breillat…
Passe encore que ses scénarios s’intéressent aux aspects les plus sombres, les plus vils, les plus pervers des relations humaines et laissent entrevoir sa misanthropie. C’est une pose artistique comme une autre.
C’est déjà plus agaçant, quand on est un homme, de voir la gent masculine systématiquement caricaturée dans des personnages complètement décérébrés, odieux, manipulateurs, pervers ou criminels, mais on sait que cette relation d’amour/haine que la cinéaste entretien avec les hommes fait partie intégrante de son cinéma.
Et cela devient carrément insupportable quand Catherine Breillat se croit obligée, pour entourer ses oeuvres d’une aura sulfureuse, d’enrôler une vieille gloire du porno et le faire ânonner son texte face à la caméra, dans des intrigues pseudo-érotiques et pseudo-philosophiques d’un goût plus que douteux.

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Ce genre de provocation est heureusement absent d’Abus de faiblesse, mais cela ne nous empêche pas de sortir de la salle avec la désagréable sensation de nous être faits avoir. Comme le personnage principal du film, Maud, abusée par un escroc qui a profité de son état de faiblesse pour lui soutirer de fortes sommes d’argent…
Notre faiblesse à nous a été de croire encore au talent de cinéaste de Catherine Breillat, et de penser que ce nouveau long-métrage allait se distinguer des précédents en proposant quelque chose de différent, plus profond, plus touchant. Or à l’arrivée, rien de tout cela. Pas d’émotion, aucune réflexion sur les techniques utilisées par les escrocs pour ferrer leurs proies, aucune volonté de la cinéaste de se livrer à une auto-analyse. Juste deux numéros d’acteurs efficaces (ceux d’Isabelle Huppert et Kool Shen) mais un peu froids et vains. Frustrant…

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Il y avait sûrement beaucoup mieux à tirer de ce scénario, inspiré de la rencontre de Catherine Breillat avec Christophe Rocancourt, en 2007, et des mésaventures qui s’en sont ensuivies. La cinéaste, à peine remise de l’attaque cérébrale dont elle a été victime en 2005, envisageait d’utiliser cet escroc notoire comme acteur sur un de ses films, mais en fin de compte, c’est surtout lui qui l’a utilisée, comme on utilise un distributeur d’argent… Il a profité du handicap de la cinéaste et son état de faiblesse psychologique pour lui soutirer jusqu’à 800 000 €, avant qu’elle ne se décide à porter plainte contre lui.
Même si Catherine Breillat se défend d’avoir réalisé un film autobiographique, personne n’est dupe. Les noms des personnages ont changé, mais c’est bien son histoire personnelle qu’elle raconte dans ce nouveau long-métrage, et à ce titre, on pouvait s’attendre à une oeuvre plus forte, dans laquelle elle se livrerait davantage et analyserait avec plus d’acuité l’engrenage qui l’a poussée à prêter des sommes d’argent de plus en plus fortes à un type comme Rocancourt, mondialement connu pour ses exactions passées.

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Or le film n’explique rien.
Il élude totalement la théorie d’une faiblesse psychologique liée à la prise de médicaments psychotropes. On voit que Maud/Catherine est parfaitement consciente quand elle signe ses chèques à l’ordre de Vilko/Christophe. 
On s’attend alors à ce qu’il se focalise sur la relation qui se noue entre la cinéaste et le voyou, et le rapport de séduction trouble qui s’instaure entre eux. Effectivement, on comprend bien que la fascination, toute professionnelle, de Maud pour Vilko évolue vers une attirance plus érotique, presque amoureuse. Mais leur jeu de séduction ne débouche sur rien de concret. Au contraire, à chaque fois que l’escroc tente de se rapprocher sexuellement de sa proie, celle-ci le rembarre systématiquement et le jette hors de sa chambre. Et là, on reste un peu perplexes, car on ne voit pas comment une femme intelligente peut se laisser embobiner à ce point par un bandit notoire, aussi charismatique soit-il.
Il est de fait que les escrocs possèdent un véritable talent pour “endormir” leurs victimes, les hypnotiser avec leur bagout et leur charme, en les flattant et en utilisant les bons leviers psychologiques pour trouver la faille. Mais là encore, le film ne montre rien de cela. Vilko n’est pas vraiment un charmeur. Il est même plutôt agaçant, envahissant et sans gêne. N’importe qui de normalement constitué l’aurait envoyé paître à la première tentative d’extorsion…

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En fait, il est fort probable que l’explication se trouve entre les lignes.
Si l’escroc réussit à embobiner la cinéaste, c’est bien parce que s’est instaurée entre eux une relation particulière. Mais pas un rapport de séduction stricto sensu. Plutôt un rapport dominant/dominé où chacun des deux essaie de prendre le dessus sur l’autre. Maud/Catherine est d’abord attirée par ce profil de bad boy parce qu’elle pense pouvoir le modeler à sa guise et le transformer en acteur, puis elle tente de jouer sur son handicap pour faire de lui son larbin, son “esclave”, comme il le dit lui-même, conscient de la manoeuvre. Elle cherche à métamorphoser ce gros dur, ex-taulard et escroc notoire, en gentil assistant, aux petits soins pour elle. C’est un challenge qui l’excite, la séduit. Mais c’est ce qui permet à Vilko/Christophe de la manipuler. Il lui résiste, lui échappe, pour qu’elle puisse avoir envie d’aller plus loin. Et elle paie pour pouvoir continuer le jeu.

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Tout cela est évoqué par petites touches, mais toujours de façon superficielle.
Dommage, car c’était là l’aspect le plus intéressant de l’oeuvre. Il offrait à la cinéaste l’occasion de se livrer davantage, de parler, notamment, de son rapport complexe aux hommes, entre fascination et répulsion, entre désir de s’abandonner amoureusement et envie de dominer l’Autre, entre tentation d’assumer le rôle de la victime consentante et celle de se transformer en pasionaria féministe, prête à venger tous les outrages faits aux femmes. 
Mais, plutôt que de s’exposer, Breillat préfère laisser son héroïne se débattre toute seule, en plein désarroi, incapable d’expliquer les absences qui ont permis à Vilko de lui soutirer autant d’argent.

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Et elle nous laisse, nous, face au vide béant que constitue son film. Frustrés, dépités, déçus… La cinéaste nous a dépouillé de près de deux heures de notre temps, et du prix d’une place de cinéma qui servira en partie à renflouer le compte en banque qu’elle a généreusement vidé pour Monsieur Rocancourt…
On n’ira pas jusqu’à porter plainte, mais on ne recommande absolument pas ce film creux et froid, à la limite de l’arnaque. Il y a bien mieux à voir en salles en ce moment.

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Abus de faiblesse Abus de faiblesse 
Abus de faiblesse

Réalisatrice : Catherine Breillat 
Avec : Isabelle Huppert, Kool Shen, Laurence Ursino,
Christophe Sermet, Ronald Leclercq, Stéphanie Colpe
Origine : France
Genre : escroquerie 
Durée : 1h44
Date de sortie France : 12/02/2014
Note pour ce film :●●
Contrepoint critique : L’Humanité

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ABUS DE FAIBLESSE bande annonce par flachfilm