Résumé : Un auteur de roman raconte la façon dont il a eu connaissance de l’histoire de l’illustre concierge du Grand Budapest Hotel, M. Gustave H., soupçonné du meurtre d’une des pensionnaires de l’établissement.
Les histoires de Wes Anderson dégagent un parfum de vieux contes racontées au coin du feu, de compotes préparées dans la cuisine en fornica de grand papi et de ces après-midi passés à dessiner sur la table de la salle à manger. Un univers enfantin aux effluves surannées, fait de bric et de broc. Un cinéma de "maison de poupée" comme le déclare si justement Jean Baptiste-Thoret lorsqu’il évoque les blâmes formulés par les détracteurs du cinéaste. Il fédère effectivement celles et ceux qui apprécient cette direction artistique et technique guindés, ce côté "cabinet de curiosité", ce défilé d’adultes attardés et de gamins précoces plaqués sur des arrières plans bariolés comme ces papillons séchés écrasés derrière les plaques de verre exposés dans les musées d’histoire naturelle. Des productions sautillantes et mélancoliques, au sein duquel les personnages sont constamment à la recherche du temps perdu, mêlant reprise et variation sur des intrigues à la fois analogue et dissemblable. On retrouve ainsi tous les éléments qui font le style de Wes Anderson dans The Grand Budapest Hotel, mais pour la première fois liés autour d’une narration non-linéaire, en poupée russe, à travers laquelle on nous propose de remonter le cours de l’histoire de la réception. De la lecture à la conception, en passant par la théorisation, ces étapes sont autant de préambule aux mésaventures de Zéro et M. Gustave qu’une formalisation de la création cinématographique. La magie opère de nouveau sur ce huitième long métrage au sein duquel se mélange la comédie et la tragédie, la conscience d’une fissuration de la civilisation propre à Stefan Zweig, écrivain à qui le réalisateur dédicace son long métrage, et l’humour sarcastique de Ernst Lubitsch, référence cinématographique clairement affichée par l’auteur. On rigole beaucoup, énormément même, bien plus que dans tous les films du dandy texan. Son indissoluble génie visuel éclôt une fois encore lors d’une poignée de grandes scènes (l’évasion de Check Point 19, la poursuite à ski ou dans le musée), donnant à voir une aventure riche et transgénérique, supportée par le superbe accompagnement musical concocté par le maestro Alexandre Desplat. Il y a aussi les numéros des acteurs, un tapis de star, une famille de cinéma dans lequel on retiendra les performances du nouvel arrivant. Ralph Fiennes se livre ainsi à un jeu délicieux de concierge bien âpreté, le verbe bien léché et l’épiderme copieusement arrosé d’une eau de toilette citronnée, métallique et boisée (le fameux "Air de Panache", devenue, pour l’occasion, création limitée d’une parfumerie parisienne). Mais loin de résumer le succès de The Grand Budapest Hotel à la seule prestation de l’acteur principal, il acquière un plus bel éclat encore par les partitions conjointement livrées par ses partenaires – en tête, le jeune Tony Revolori, le grand F. Murray Abraham, Jeff Goldblum, Willem Dafoe et Adrien Brody. Ainsi, ceux qui ont adhéré à l’esprit de À Bord Du Darjeeling Limited, La Vie Aquatique et Moonrise Kingdom prendront énormément de plaisir à déguster ce très grand cru. (4.5/5)
The Grand Budapest Hotel (États-Unis, 2014). Durée : 1h40. Réalisation : Wes Anderson. Scénario : Wes Anderson, Hugo Guinness. Image : Robert D. Yeoman. Montage : Barney Pilling. Musique : Alexandre Desplat. Distribution : Ralph Fiennes (le concierge du Budapest Hotel M. Gustave H.), Tony Revolori (Zéro), F. Murray Abraham (M. Mustafa), Jude Law (l’auteur jeune), Saoirse Ronan (Agatha), Willem Dafoe (Jopling), Adrien Brody (Dimitri Desgoffe Und Taxis), Tilda Swinton (Madame D.), Jeff Goldblum (l’avocat Vilmos Kovacs).