Critique : Capitaine Phillips (2013)

Par Nicolas Szafranski @PoingCritique

Résumé : Capitaine d’un cargo, Richard Phillips voit son bâtiment annexé par un petit groupe de pirates Somaliens.

Ancien journaliste et reporter de guerre, le réalisateur britannique Paul Greengrass a couvert tous les fronts, de la révolte irlandaise (Bloody Sunday) à la fronde contre le mensonge irakien (Green Zone), en passant par les faubourgs de l’espionnage technologique (La Mort Dans La Peau, La Vengeance Dans La Peau) et les coursives d’un 747 en détresse (Vol 93). Ce grand spécialiste des récits de crise, désavoué par le système Hollywoodien suite à l’échec financier essuyé par sa dernière réalisation, s’empare aujourd’hui du destin de Richard Phillips, capitaine de cargo qui devint, aux larges des côtes Africaines, la principale monnaie d’échange d’une poignée de pirates somaliens ayant investi son bâtiment. Sans véritablement chambouler les codes du survival, le cinéaste, accompagné du scénariste Billy Ray (Volcano, Jeux De Pouvoir), font preuve d’une certaine intelligence dans la manière avec laquelle ils s’emparent du contexte économique et géopolitique qui gouverne cette partie du monde. Pas de débordement lacrymal, pas de confession mièvre, ni d’héroïsme superflu et gratuit, l’histoire et la mise en scène se contentent de décrire de façon la plus réaliste possible l’état d’urgence et le climat angoissant que génère ce type de situation, et d’ouvrir son horizon sur un monde à risque, doublé, en creux, d’une vision paternaliste qui apporte une épaisseur supplémentaire aux relations établit entre les différents personnages. Assurant par tous les moyens la survie de son équipage, ce capitaine tente parallèlement de faire revenir à la raison ces jeunes pirates qui, sous la pression militaire, s’égare dans les eaux profondes d’une mondialisation inégale et impitoyable. Le monologue inaugural prend ainsi tout son sens dans ce face à face qui n’est finalement pas celui du tiers monde et de l’occident, mais celui d’un "père" soucieux de donner un avenir à sa descendance face à une "enfant" sans repère qui n’a d’autre solution pour survivre que d’imposer ses propres règles. Ces rôles, inavoués et sans doute romancés pour les besoins de l’efficacité dramatique du film, instaurent ainsi une tension humaine supplémentaire qui change la vision même du pur survival, habituellement dégraissé de tous facteurs extérieurs afin de n’en garder qu’une expérience instantanée (Gravity, pour ne citer que le plus récent représentant de son genre). Chauffé à blanc, le suspens se révèle plus intense encore qu’elle est parfaitement secondée par la performance à fleur de peau de Tom Hanks ainsi que par l’explosif "run & gun" de Paul Greengrass, qui insuffle, une fois encore, une nervosité graphique parfaitement maitrisée. Si la narration, dans sa seconde partie, se fossilise à l’intérieur du canot de survie, Capitaine Phillips tient bon son cap en administrant un dernier acte tétanisant à l’issue duquel l’ordonnance des personnages et du monde est littéralement transformé. (4/5)

Captain Phillips (États-Unis, 2013). Durée : 2h14. Réalisation : Paul Greengrass. Scénario : Billy Ray. Image : Barry Ackroyd. Montage : Christopher Rouse. Musique : Henry Jackman. Distribution : Tom Hanks (le capitaine Richard Phillips), Barkhad Abdi (Muse), Michael Chernus (Shane Murphy), Corey Johnson (Ken Quinn), Barkhad Abdirahman (Bilal).