Critique B.O. : The Grand Budapest Hotel

Par Nicolas Szafranski @PoingCritique

Alexandre Desplat habille les longs couloirs du Grand Budapest, drapant ainsi d’une douce mélodie, à la fois sombre et féérique, le dernier bijou de Wes Anderson.

Posant ses bagages dans un hôtel reculé dans le subconscient de son créateur, Alexandre Desplat retrouve, pour la troisième fois consécutive, l’univers baroque de Wes Anderson. Dès le début de son séjour, la province alpestre (et imaginaire) de Nebelsbad au sein de laquelle débute l’aventure a inspiré au compositeur des airs germanophones. "Très tôt, quand j’ai lu le script, le réalisateur a évoqué un son qui émergerait du centre de l’Europe. C’est une large bande de terre où il existe des instruments, des rythmes et des mélodies que vous pouvez rapidement identifier." C’est sur ces bases que Desplat a donc débuté l’écriture de son score, réunissant, sous son toit, une grande variété d’instruments, allant de la cithare au alpenhorn, en passant par la balalaika et le yodel (plus précisément, le zäuerli), ce célèbre chant qui berce les alpages Suisses. Une énorme influence de la musique bavaroise et slave qui permet de situer géographiquement ce monde, sans pour autant l’enraciner sous les couleurs d’une bannière, gardant ainsi intact le caractère pittoresque des paysages brossés par le cinéaste. Il en ressort une partition transeuropéenne, une tapisserie baroque aux couleurs bohèmes qui invite instantanément au voyage. On est très vite transporté dans cette vision fantaisiste mais néanmoins respectueuse du vieux continent dès les premiers pistes avec, notamment, la découverte de Mr. Moustafa, magnifique thème d’ouverture associé au personnage principal et qui sera, pour ainsi dire, le fil rouge de cette partition. Un carrousel d’émotion, une féerie ludique dont la répétitivité n’a d’égale que la beauté des mélodies (Traditional Arrangement "Moonshine", The Society Of The Crossed Keys), une pâtisserie gourmande nappée d’une instrumentalisation minimaliste mais diablement efficace. Car le démon frappe parfois à la porte de cette bande-son, venant rompre la quiétude formée par ces plages folkloriques. Cette gravité qui rampe sous la neige de Zubrowka, le compositeur la matérialise par le rugissement sinistre d’un orgue venant s’échouer, tel un couperet, sur les personnages se trouvant sur son chemin (J.G. Jopling Private Inquiry Agent, The Cold-Blooded Murder Of Deputy Vilmos Kovacs), et par les rythmes écrasants des timpanis et le souffle froid des cuivres, profilant ainsi la menace martiale qui plane sur ce monde au bord du précipice (Daylight Express To Lutz, The Lutz Police Militia, Escape Concerto). Le travail abattu par Desplat est donc immense, et le résultat est une fois de plus exceptionnel, tant sur la forme que dans les émotions qu’elle fait naitre. Après The Monuments Men, c’est donc un nouveau coup de maitre pour ce brillant chef d’orchestre. (4.5/5)

Sortie (Album) : 04/03/2014. Sortie Film (France) : 26/02/2014. Édition : Abkco. Format : CD. Compositeur : Alexandre Desplat. Durée : 59:49