Darren Aronofsky s’attaque à l’histoire religieuse de Noé et en ressort un film reflet de toutes ses obsessions et un portrait passionnant d’un homme torturé.
L’histoire de Noé et de son arche transportant un couple d’animal de chaque espèce alors que Dieu noie l’humanité pour ses pêchés est sans doute l’une des plus célèbres de la Bible (et d’autres religions d’ailleurs) et paradoxalement, elle n’a pas vraiment trouvé le chemin des salles obscures jusqu’à ce que Darren Aronofsky verse son dévolu dessus. Bien avant le triomphe de Black Swan le personnage intéressait déjà le réalisateur de Requiem for a Dream. Hélas, échaudé par son expérience la plus fantastique avec le sublime the Fountain, le réalisateur a remis à plus tard son adaptation sans pour autant oublier de coucher son histoire sur le papier. C’est ainsi que Noé devient d’abord une bande-dessinée avec le canadien Niko Henrichon au crayon. Un support qui lui permettra de convaincre enfin un studio après le succès de Black Swan pour réunir le budget nécessaire pour son film le plus ambitieux à ce jour après avoir refusé Batman et Wolverine pour garder une certaine liberté.
Aronofsky développe sa vision toute personnelle de l’histoire de Noé, reprenant des éléments connus de tous mais y apportant également sa touche personnelle, à la fois pour donner plus d’enjeux mais aussi pour développer ses personnages. Ainsi, le film revêt des allures d’heroic fantasy où se mêlent géants de pierres et cités maudites des premiers hommes aussi bien que de fable écologique.
Si Darren Aronofsky se retrouve à la tête d’un blockbuster, paradoxalement le film n’en a pas l’allure. D’une part Aronofsky ne sacrifie pas son style laisse sa caméra au plus proche des personnages dans un souci de cinéma-vérité dans lequel s’incrustent des éléments mythologiques, et d’autre part il ne va jamais donner une allure spectaculaire à son film. Ainsi les arrivées des animaux, la bataille des derniers hommes ou le déluge sont bien présents, toujours lisibles, parfois poétiques mais jamais nous n’aurons droit à une démonstration de force à base de money shots pour rendre le film artificiellement impressionnant.
Il faut dire que dans l’histoire de Noé, ce n’est pas le côté spectaculaire de l’histoire qui va intéresser l’auteur mais bien le dilemme de son personnage principal qui se rapproche de tous les personnages qu’il a écrit jusqu’ici. Car c’est en voulant bien faire, en voulant accomplir ce que désire l’être suprême (d’une certaine manière Dieu est aussi intransigeant que la Mère de Nina dans Black Swan) qu’il idéalise qu’il va tomber dans un cercle infernal et s’éloigner de ses proches. Si sa mission est de sauver les animaux et sa famille de la barbarie des hommes qui ont tout détruit sur Terre, il doit aussi choisir entre l’amour pour sa famille ou sa mission divine. Il en ressort un Noé tourmenté campé par un Russell Crowe que l’on n’avait pas vu aussi habité depuis un moment.
Évidemment, on pourra toujours trouver des défauts au film comme son manque d’ampleur (voulu), son côté parfois kitsch ou sa lourdeur (le personnage Ray Winstone) et ses sentiments faciles ou même son discours religieux (mais après tout, nous sommes dans un récit biblique), mais cela s’efface aisément dès que l’on se consacre à la vision de l’auteur qui ose imprimer sa personnalité au blockbuster, quitte à en faire un produit parfois hybride qui fait toute sa personnalité.
Finalement, l’aspect religieux et grand spectacle du récit n’est pas le plus important et entre obsession divine et importance du choix, Noé ravive toutes les tourments de son auteur (la destruction mentale et physique d’un personnage mais de ses relations pour s’accomplir soi-même jusqu’à la mort de soi ou des autres) pour nous offrir un film audacieux. Aronofsky s’est battu contre vents et marées du studio et a bien tenu la barre.