Critique : Noé (2014)

Par Nicolas Szafranski @PoingCritique

Résumé : Guidé par sa foi envers le créateur, Noé est soudainement investit d’une lourde tâche : celle de bâtir une immense arche, afin de sauver toutes les espèces du déluge qui va s’abattre sur la Terre.

Nouvelle incursion de la dark-fantasy dans le domaine du récit historique, Noé réussit là où 300 et 47 Ronin ont échoué. Pas que le nom de Darren Aronofsky y change grand chose, mais son talent, mis au service d’un des grands évènements fondateurs de l’histoire chrétienne, permet au projet de présenter une somme d’intérêts esthétiques et narratifs relativement conséquente. Noé, ce héros biblique décrit par les saintes écritures comme le dernier des justes, devient ainsi, sous l’oeil du cinéaste, un descendant de ces hommes et femmes dévorés par leurs pulsions, leurs désirs, leurs croyances, un être semblable à ces inadaptés qui ont traversé, de part en part, l’odyssée de Pi et le ballet du Black Swan. Pieux envers les rares indices d’équilibre qui régissent encore son jardin, il devient, sous le poids de visions cataclysmiques et de responsabilités d’ordre divine, un fanatique prêt à tuer femmes et enfants. La figure de ce bâtisseur est chatouiller, malmené, et sa charité douloureusement remise en question par cette profonde apathie que cette mission lui exige. L’histoire prend alors une toute autre dimension, plus ombrageuse, mais surtout plus cartésienne dans son appréhension de l’exercice de l’humanité et de la foi. Une désacralisation mainstream (Batman et James Bond y sont passé) qui impose au spectateur une adhésion partielle ou un profond rejet de sa mise en scène. Car, ce n’est pas tant le traitement infiniment personnel du personnage que l’esthétique qui entoure ce chantier qui divisera les spectateurs. Il y aura d’abord ceux qui s’attendent à une transposition fidèle de ce passage de la Genèse, qui s’étrangleront devant l’inexactitude des faits exposés et l’apparition des rocailleux Veilleurs, qui partagent une lointaine parenté avec les monstres de Ray Harryhausen. Malheureusement pour eux, Noé se rapproche davantage de la fiction d’anticipation uchronique – le réalisateur se défait de tout repère temporel – que du traditionnel biopic (rappelons qu’il est né d’un projet de bande dessiné, mené par le réalisateur himself, en collaboration avec Ari Handel et Henrichon Niko, et publié aujourd’hui sous le titre de Noé, Pour La Cruauté Des Hommes). Viendra ensuite ceux qui réclamaient une transposition modeste et orthodoxe. Réveillant les souvenirs des compositions picturales de Gustave Doré (L’Arche De Noé), Giovanni Bellini (L’Ivresse De Noé) et Francis Danby (Le Déluge), Darren Aronofsky ne recule devant aucun symbole pour donner une épaisseur à son image, le conduisant à adopter un ton emphatique. Ces visions bibliques, hypertrophiées mais terriblement entêtantes, accompagnées par la raboteuse partition de Clint Mansell, repoussent et charment le regard et les sens. Le caractère excessif de ces représentations participent à l’identité de l’œuvre et à l’expérience viscérale qu’elle se propose de nous faire vivre par cette lumière cendrée imprimée par Matthew Libatique et le ton méchamment solennel instruit par une narration chaotique et amputé par un montage qui fait montre de peu d’empathie vis-à-vis des fondations fantaisistes entr’aperçues dans sa première partie. Mais il lui manque surtout cette ampleur affective qui nous aurait définitivement embarqué dans les enjeux évoqués par le récit et ses acteurs qui, à l’exception du couple vedette et de l’antagoniste principal, sont campés par de jeunes interprètes visiblement peu investis par leurs rôles (Logan Lerman et Emma Watson en tête). Malgré tout, cet audacieux et chaotique voyage fera parti de ces grandes fresques sourdes, aussi imparfaites à l’image que mémorables à l’esprit, à même de faire vibrer les symposiums cinématographiques des dix prochaines années. (3.5/5)

Noah (États-Unis, 2014). Durée : 2h18. Réalisation : Darren Aronofsky. Scénario : Darren Aronofsky, Ari Handel. Image : Matthew Libatique. Montage : Andrew Weisblum. Musique : Clint Mansell. Distribution : Russell Crowe (Noé), Jennifer Connelly (Naameh), Ray Winstone (Tubal-Caïn), Anthony Hopkins (Mathusalem), Emma Watson (Ila), Logan Lerman (Ham), Douglas Booth (Shem).