Résumé : Dans un train transportant les derniers survivant d’un cataclysme écologique, Curtis mène une révolte contre les privilégiés qui ont élu domicile dans les wagons de tête.
Les adaptations de bande dessiné sur grand écran sont toujours très délicates à conduire sans que le réalisateur et le scénariste ne soient amenés à réaiguiller le projet et trahir l’œuvre originale. Mais pour celui qui crayonna la carène du Transperceneige, "une bonne transposition ne doit pas reproduire le rythme et le scénario de la BD". C’est donc de loin que Jean-Marc Rochette, dessinateur et légataire morale de la mémoire de son camarade de strip Jacques Lob, scruta l’avancé du projet, qui passa d’abord entre les mains de Robert Hossein avant d’échoir, vingt-cinq ans plus tard, au coréen Bong Joon-Ho, qui nourrissait, depuis quelques années, le doux espoir de le mettre en scène. Mais ne sont pas rares les cinéastes talentueux qui se sont brisé les reins en tentant de grimper sur la locomotive de la coproduction internationale. La violente discorde qu’il y eu avec le nabab du cinéma indépendant, Harvey Weinstein, autour d’un éventuel remontage pour l’exploitation du film sur le sol américain, a d’ailleurs bien faillit couté sa distribution. Mais c’est loin de toutes ces préoccupations artistico-économique propre aux Etats-Unis que la société Wild Side distribue le métrage dans les salles hexagonales. On constate finalement que le cinéaste coréen s’en est finalement plutôt bien sorti dans ce périlleux exercice, gardant, intact, la violente ironie qui a fait la fortune de The Host, son œuvre la plus approchante en terme de production. La lutte des classes et la description critique du modèle capitaliste, placé sous la plume fracturée du brillant Kelly Masterson, est ainsi traité sur le mode de la satire grinçante. Pour les nantis en tête de cortège, représentés par une porte parole engoncée dans son costume d’un thatcherisme décomplexé (excellente Tilda Swinton), chacun doit tenir sa place, usant pour cela de syllogismes fort bien chaussés et de glaçants châtiments afin de maitriser les pulsions libertaires de ce tiers monde parqué en queue de train. Cette humanité, repliée dans cette immense locomotive depuis que l’arrogance technologique des sociétés ait mit un sérieux coup de pied dans l’inflation climatique, reproduit un modèle de caste millénaire, un triste équilibre d’un monde en vase clos, opposant le grand nombre de prolétaire et le faible pourcentage de privilégiés. Une micro-société qui frappe d’une main et caresse de l’autre, qui fait naitre l’espoir et y met fin d’un seul et même mouvement. Snowpiercer est ainsi structuré de sorte à ce que l’acte de rébellion fomenté par Curtis (Chris Evan, diablement convaincant) trouve son point de chute en haut de cette échelle et par une révélation étonnante. Les arguments formulés tout au long du voyage à travers des tableaux aquatiques (l’eco-système de l’aquarium) et mécanique (le rôle des enfants enlevé par le chef de train) dialogue avec le discours posé en amont à cette insurrection. Il s’en dégage également une intelligente harmonie entre son fond et sa forme (la progression en scrolling horizontale des insurgés et l’architecture sociale du train) ainsi qu’une pertinente asymétrie qui organise les rêves de grands espaces des révoltés et l’exiguïté du cadrage. Par cette mise en scène étudiée, Bong Joon-Ho parvient à nous faire partager les difficultés de cette vie au sein de cette arche. Mais, pour nous la faire vivre, il lui manque cette parcelle d’empathie pour les personnages, leurs failles et leurs quêtes qui aurait ainsi pu nous transporter bien au delà de son désespéré terminus. Il reste néanmoins de ce spectacle le sentiment (rare) d’avoir eu à faire à un film de science-fiction pertinent et racé. (3.5/5)
Snowpiercer (Corée Du Sud, France, États-Unis, 2013). Durée : 2h06. Réalisation : Bong Joon-Ho. Scénario : Bong Joon-Ho, Kelly Masterson. Image : Hong Kyung-Pyo. Montage : Steve M. Choe. Musique : Marco Beltrami. Distribution : Chris Evans (Curtis), Song Kang-Ho (Namgoong Minsu), Ko Ah-Sung (Yona), Jamie Bell (Edgar), Tilda Swinton (Mason), John Hurt (Gilliam), Octavia Spencer (Tanya).