Critique : 96 Heures (2014)

Par Nicolas Szafranski @PoingCritique

Résumé :  Victor Kancel, un grand truand tombé pour un braquage, organise sa sortie de prison afin d’interroger le commissaire Gabriel Carré et obtenir de lui le nom de l’indic qui l’a balancé.

96 Heures. C’est ce qu’énonce la procédure pénale pour une garde à vue dans le cadre d’une affaire de recèle et de délits en bande organisé. C’est également le temps dont dispose Victor Kancel, un criminel qui a soigneusement planifié sa sortie de prison afin d’interroger la personne qui fut, à l’époque, chargée de son arrestation. En huis-clos, la confrontation entre ses deux hommes se déroule sous la présence d’un expert des Scènes De Crimes et des Truands, Frédéric Schœndœrffer. Le cinéaste mène ainsi le jeu de ce face à face sous haute tension où chacun, dans leur milieu respectif, ont fait du mensonge un art de la survie, un moyen de prendre le dessus sur son adversaire. Rien de follement original – les honnêtes malfrats, ça ne court pas les rues. Mais ce qui, en revanche, relève un peu de l’originalité, c’est la manière avec laquelle le cinéaste et ses deux scénaristes présentent l’exercice du métier de commissaire et leur dégrée de formation à l’exercice du bluff, et ce même si le tissu d’histoire produit par le commissaire Carré ne font guère long feu devant l’obstination paranoïaque de son geôlier. Les choix de cadrage opté par Schœndœrffer lors des scènes dialoguées rendent compte d’une part de la rivalité entre les deux personnages, d’autre part de ces profondes trahisons que ces mensonges leurs obligent à commettre ("Car si le visage est le miroir de l’âme, les yeux en sont les interprètes" pouvait on lire chez Cicéron dans L’Orateur). Ces topoï placés en périphérie à ce jeu de rôle brouillent ainsi intelligemment les pistes, insémine le doute autour des intentions et de la sincérité de chacun des protagonistes, mais surtout, y introduit une part de subtilité dont on n’aurait pas juger, à priori, son existence. Une belle conception supportée par un solide tandem, et par l’extraordinaire abattage déployé par Niels Arestrup. Car, si Gerard Lanvin fait montre d’un charisme naturel dans un rôle dont il est désormais coutumier, son partenaire, qui avait déjà fait ses preuves dans ce même registre chez Jacques Audiard (Un Prophète), impose ici sa présence à chacune de ses apparitions, apportant à son personnage une violente tendresse qui le rend, en de rares occasions, aussi attachant que terriblement inquiétant. Il tient également à souligner le rôle, essentielle, que la musique composée par Max Richter joue au sein de ce bras de fer. Le minimalisme de cette bande-son permet de supporter le caractère anxiogène de l’ambiance sans toute fois en surligner le moindre coup de sang. Tous les efforts semble avoir ainsi été consenti dans le but de livrer la meilleure direction d’acteur possible, mais cela au détriment finalement de l’esthétique visuelle générale imprimée à cette audience. On reprochera ainsi à la photographie élaborée par Vincent Gallot sa relative fadeur et à la réalisation des mouvements qui manque d’écriture cinématographique – même s’il fait des regards de ces deux interprètes principaux une élégante captation. Une élégance dont est également parfois dépourvu le script, qui s’appuie sur des incohérences et des facilités qui interviennent paradoxalement dans les moments où la narration s’expatrie en dehors du domaine qui sert de cadre à l’action. Conscient qu’il ne pouvait faire vivre son film uniquement par la seule fenêtre du huis-clos, le réalisateur a tenté d’ouvrir maladroitement son champ sur d’autres horizons, heureusement supportés par un solide trio féminin (Testud, Smet, Consigny), ce qui saborde un peu la vraisemblance de l’ensemble. Il n’en reste pas moins de ces 96 minutes une belle tentative de polar. (3/5)

96 Heures (France, 2014). Durée : 1h36. Réalisation : Frédéric Schœndœrffer. Scénario : Simon Michaël, Philippe Isard. Image : Vincent Gallot. Montage : Sophie Fourdrinoy. Musique : Max Richter. Distribution : Gerard Lanvin (le commissaire Gabriel Carré), Niels Arestrup (Victor Kancel), Sylvie Testud (l’inspecteur Marion Reynaud), Laura Smet (Camille Kancel), Anne Consigny (Françoise Carré).