“Aux yeux des vivants” d’Alexandre Bustillo & Julien Maury

Par Boustoune

En ce moment, au cinéma, passe en boucle une publicité pour une chaîne de télévision française, accumulant une série de poncifs sur les français : “Les français font la gueule, les français sont des feignants, les français sont des perdants…”, pour mieux leur tordre le cou (et accessoirement louer leurs programmes). On aurait très envie d’ajouter à la liste : “Les français ne savent pas faire de bons films d’horreur” pour pouvoir également démontrer le contraire dans la foulée, avec pour preuve flagrante Aux yeux des vivants, la nouvelle réalisation du duo Alexandre Bustillo/Julien Maury. Une oeuvre qui, vu son ambiance sombre, sa folie et  sa violence, ne risque pas de passer sur la chaîne susdite, connue pour aligner les fictions familiales gentillettes avec anges gardiens de petite taille.

Dès la première scène, les cinéastes annoncent la couleur : noir sur le fond, rouge sang sur la forme…
Le soir d’Halloween, des gamins viennent sonner à la porte d’un pavillon de banlieue miteux. La maîtresse de maison (Béatrice Dalle) les fait déguerpir d’un regard noir. Ce n’est pas le moment de l’emmerder. Elle a d’autres choses urgentes à régler. Comme assommer son mari (Francis Renaud), avachi dans le canapé une bière à la main, et monter à l’étage pour essayer de zigouiller son jeune fils (Oui, la maternité, chez Bustillo et Maury, c’est toujours quelque chose de compliqué…). L’affaire tourne au bain de sang, mais le fiston réussit à survivre à l’assaut…
Plusieurs années après, Dan, Tom et Victor, trois adolescents inséparables et plutôt turbulents, décident de faire l’école buissonnière. Au menu, pas mal de bêtises, et une farce qui tourne mal, obligeant le trio à s’aventurer un peu plus loin que d’ordinaire, jusqu’aux anciens studios de Blackwoods, des décors de cinéma désaffectés. Là, ils sont témoins d’un kidnapping. Et plutôt que de fuir, ils ont la mauvaise idée de pénétrer dans le repère des ravisseurs. C’est ainsi qu’ils découvrent l’existence d’Isaac et de Klarence, le père et le fils du début du film, qui vivent désormais cachés. Ils parviennent finalement à déguerpir et à prévenir les services du shérif, mais ceux-ci mettent leurs déclarations sur le compte de leur imagination débordante ou d’une ultime tentative d’échapper à leur punition pour les bêtises qu’ils ont commises.
A la nuit tombée, les trois garçons vont s’apercevoir qu’ils ont été suivis par Klarence, bien décidé à cacher les secrets de sa famille aux yeux des vivants. La nuit s’annonce longue, éprouvante et… sanglante.

Enfin, sanglante, pas tant que ça… Pas à l’écran du moins, les auteurs ayant en effet le bon goût de garder hors champ la plupart des crimes commis par leur boogeyman. Ce qui ne les rend pas moins terrifiants, bien au contraire. L’horreur suggestive, qui s’appuie sur l’imagination du spectateur est souvent bien plus terrible que les déluges d’hémoglobine factice, surtout quand elle joue sur les peurs primales du spectateur.
De ce point de vue, Aux yeux des vivants brasse large : peur de l’infanticide, peur de l’anormalité, peur des mutations génétiques liées à l’environnement, peur du clown, via le masque porté par le tueur, peur du monstre sous le lit, peur des lieux isolés et désaffectés, peur de l’intrusion d’un étranger dans son domicile, peur du noir… Chacun des plans est conçu pour terroriser l’auditoire, d’une façon ou d’une autre. Les réalisateurs maîtrisent les codes du genre (1) et la grammaire inhérente aux effets horrifiques. Ils connaissent aussi leurs classiques et ne se privent pas pour leur emprunter quelques idées.
Klarence, le tueur porte un masque comme Michael Myers ou Jason Voorhees (2). Son papounet doit porter un masque à gaz qui le fait ressembler au tueur de Meurtres à la Saint-Valentin. Le repaire dans lequel se terrent les deux “monstres”, ressemble à une fête foraine fantôme (3) de l’extérieur et à un mix entre l’abattoir de massacre à la tronçonneuse et les cavernes troglodytes de La Colline a des yeux de l’intérieur…

Les références visuelles ne manquent pas… Les références littéraires non plus…
Au départ, le projet voulait raconter un épisode fictif de la jeunesse de Stephen King et livrer une variante horrifique de Shakespeare in love expliquant comment le célèbre écrivain a trouvé sa vocation et la matière de ses nombreux romans d’épouvante. Le projet a finalement évolué vers cette intrigue originale, mais les allusions à sa nouvelle “Le corps” (portée à l’écran sous le titre Stand by me) ou à son roman “Ca” sont flagrantes.

L’ennui, quand on accumule ainsi les hommages et les clins d’oeil, c’est qu’on s’expose fatalement à la comparaison et qu’on prête le flanc à la critique.
Mais force est de constater que, si Bustillo et Maury ne sont pas tout à fait au niveau de leurs modèles, il font un travail plus que correct, réussissant à instaurer une tension qui va crescendo et à distiller quelques scènes terrifiantes.
Si problème il y a, il se trouve plutôt dans l’accumulation des thèmes et de figures imposées du genre, qui fait partir le scénario dans un peu toutes les directions. Difficile, d’ailleurs, de définir exactement le film. C’est un film d’horreur, assurément, mais on ne sait pas trop dans quelle sous-catégorie le classer. C’est à la fois un “slasher”, un “survival horror”, un “home invasion”,  un film sur des mutants dégénérés et un récit initiatique adolescent. Trop, peut-être pour un seul et même long-métrage, surtout si on considère son budget, dérisoire…
Le film aurait gagné à se tenir à un seul fil narratif et à exploiter davantage ce décor incroyable du studio de cinéma désaffecté (4). Cela aurait permis aux cinéastes de se centrer sur quelques personnages et leur donner un peu plus de consistance, et, surtout, de donner au récit un carcan plus rigide.
Les différents segments du film ne sont pas ratés, loin de là. Chacun possède même son lot de morceaux de bravoure. Mais l’ensemble est un peu trop décousu pour susciter pleinement l’adhésion au projet.

Cela dit, les auteurs de Aux yeux des vivants n’ont jamais prétendu chercher à faire un chef d’oeuvre du 7ème art. Ils ont juste souhaité réaliser un film du niveau des petites séries B qui les faisaient vibrer quand ils étaient adolescents. Un film sympathique, sans prétention, capable de donner du plaisir aux amateurs de frissons sur grand écran.
Alors oui, tout n’est sans doute pas parfait dans ce film. On peut fustiger le jeu forcé de certains comédiens, le manque de consistance des dialogues, le côté fauché de certains effets visuels. Mais on peut aussi souligner la qualité de la photo, louer la performance d’Anne Marivin dans un contre-emploi courageux, se féliciter de quelques belles trouvailles de mise en scène et même “prendre son pied” avec des effets horrifiques pour le moins originaux.
Au vu du budget et du temps de tournage, le résultat n’a rien de honteux. Il est même largement supérieur à bien des productions américaines récentes, qui se distinguaient par leur médiocrité et leur violence aseptisée.

Et, au-delà de l’oeuvre, on a envie de défendre la démarche de ses auteurs, qui continuent de croire en la possibilité de réaliser des films d’horreur dans l’hexagone. Ils se battent un peu contre des moulins, car ils doivent composer avec des producteurs frileux, des budgets ridicules (5), des équipes qui n’ont pas forcément la culture de ce genre de film, puis avec le comité de censure, vite effarouché par la moindre gouttelette de sang à l’écran et le manque d’enthousiasme des distributeurs et des exploitants de salles. Un vrai parcours du combattant qui ne décourage pas ces deux ardents défenseurs du cinéma de genre.
Aux yeux des vivants n’est distribué que dans 12 salles sur le territoire français. Une misère. Et un scandale quand on voit des polars médiocres squatter les écrans. Il est vrai qu’en matière de film de genre, le polar est jugé plus “respectable” que le cinéma d’horreur…
Peut-être est-il grand temps de réhabiliter ce type de film totalement ostracisé par les distributeurs, et de le rendre visible aux yeux des spectateurs. Aux yeux des vivants…
(1) : Alexandre Bustillo, avant d’être cinéaste, a officié comme critique chez Mad Movies, revue spécialisée dans le cinéma fantastique.
(2) : Nom des tueurs de Halloween  et Vendredi 13.
(3) : Une des références revendiquées par les auteurs est Massacre dans le train fantôme de Tobe Hooper.
(4) : Le lieu n’est pas un décor. Il s’agit véritablement d’un studio de cinéma abandonné, situé en Bulgarie.

(5) : Le film a été en partie financé par les internautes de Tous Coprod

_______________________________________________________________________________

Aux yeux des vivants
Aux yeux des vivants

Réalisateurs : Alexandre Bustillo, Julien Maury
Avec : Anne Marivin, Théo Fernandez, Francis Renaud, Zacharie Chasseriaud, Fabien Jegoudez, Nicolas Giraud
Origine : France
Genre : horreur made in France
Durée : 1h28
Date de sortie France : 30/04/2014
Note pour ce film :
Contrepoint critique : Ecran Large

______________________________________________________________________________