A l’occasion de la sortie de son dernier film, Le Promeneur d’oiseau, nous avons eu la chance de rencontrer Philippe Muyl. Le cinéaste nous a raconté comment s’est monté ce projet atypique, qu’il a tourné en Chine, avec des acteurs locaux et en mandarin, mais aussi les difficultés rencontrées pendant le tournage.
Rencontre avec un auteur attachant, ayant réussi l’amalgame entre cinéma “populaire” et “art & essai”…
Pour commencer, pouvez-vous nous parler de la genèse du projet
C’est une histoire assez étrange. En 2002, j’avais tourné en France un film qui s’appelle Le Papillon et qui a connu un certain succès. Il a été vendu dans pas mal de pays, et notamment à Taïwan, où il est sorti en salles, sous-titré en chinois. Et de là, il a été vu par le public chinois – essentiellement par le biais du piratage. J’ai découvert deux ou trois ans plus tard que mon film était devenu assez célèbre là-bas. Beaucoup de personnes étaient même capables de fredonner l’air de la chanson du générique !
En 2009 je suis allé à un festival à Pékin et j’ai rencontré de jeunes producteurs chinois. Les accords de coproduction entre la France et la Chine venaient d’être signés et ils avaient très envie de se lancer dans la production d’un film avec un cinéaste français. Ils avaient vu Le Papillon et rêvaient de collaborer avec moi pour tourner un film du même genre.
Au départ il était même question d’en faire le remake, mais finalement, on a changé notre fusil d’épaule. Déjà parce que le papillon n’est pas un insecte particulièrement symbolique en Chine. Ensuite et surtout parce que je n’avais pas envie de refaire exactement le même film.
Je suis reparti sur le même principe d’un grand-père et une petite-fille, qui m’a permis de confronter trois générations d’une même famille, très différentes. Et j’ai choisi comme symbole un oiseau, qui est un peu l’animal de compagnie chinois.
J’ai commencé à travailler sur le scénario début 2010 et j’ai effectué un gros travail préparatoire pour que le film soit le plus juste possible par rapport à la culture chinoise.
Vous connaissiez bien la culture chinoise avant ce film?
Non, pas vraiment… J’étais allé deux ou trois fois en Chine, très rapidement, pour des festivals. Quand les producteurs sont venus me trouver, ça m’a surpris. car je ne connaissais ni la culture, ni la langue…
Vous aviez tout de même tourné en Asie…
Ah oui, mais c’était il y a mille ans, ça! J’ai tourné un petit documentaire en Inde et au Bangladesh, mais j’avais quinze ans à l’époque et je ne connaissais rien du cinéma! Je n’envisageais même pas de devenir cinéaste!
Donc non, je ne connaissais pas la Chine. Alors je me suis mis courageusement à l’apprentissage du chinois et j’ai fait plusieurs voyages en Chine et j’ai passé beaucoup de temps auprès des habitants, à me familiariser avec leur mode de pensée et leur culture.
C’est une belle expérience, une belle aventure humaine…
Oui, absolument. J’ai eu de la chance qu’on me propose ce projet. Mais en même temps, les choses n’ont pas été simples. Ca a même été très compliqué sur le plan financier…
C’est la coproduction franco-chinoise qui a posé problème?
Le problème, c’est qu’il est très compliqué de trouver un apport financier français pour un film tourné en langue chinoise. Personne ne voulait miser un euro sur une telle coproduction, pas même les partenaires traditionnels du cinéma français. On n’a eu ni le CNC, ni Canal +, ni les autres chaînes de télévision. Aucun euro du systeme. Juste des investissements privés, aussi bien coté chinois que francais. C’était un risque total.
On l’a fait quand même parce que j’ai eu la cance d’avoir un producteur français qui a accepté de me suivre et d’investir son argent.
C’est curieux, car les chaînes françaises financent aident des cinéastes chinois. Lou Ye, par exemple, avait tourné “Love and bruises” …
Le film de Lou Ye n’était pas une coproduction officielle. Pour le moment, il n’y a eu que deux films franco-chinois en coproduction officielle : 11 fleurs et Le Promeneur d’oiseau.
Je ne connais pas le dispositif financier du film de Lou Ye, mais il a probablement bénéficié d’une prévente à Arte. Et de toute façon, c’est plus facile pour un cinéaste chinois d’obtenir des aides que pour un cinéaste français. Le fonds d’aide aux cinémas du Monde, géré par le CNC a bénéficié à sept cinéastes chinois alors qu’on me l’a refusé…
Pourtant vous avez une certaine notoriété en France. Vous faites des films assez populaires…
Oui. Trop populaires, sans doute…
Mais ce ne sont pas des grosses machines non plus. Ce sont quand même des films d’auteur…
Oui, mais on ne me considère pas comme assez “auteur”. Donc on ne me donne rien.
Cela ne vous empêche pas de faire vos films, heureusement…
Oui, mais c’est compliqué. En tout cas, il est certain que je n’ai pas fait ce film pour l’argent. Mais je suis content qu’il ait pu voir le jour…
Une autres des difficultés que vous avez dû rencontrer est la barrière de la langue, non?
Pas vraiment. Déjà, je me suis amusé à apprendre le chinois. Et puis j’avais des interprètes qui me permettaient de pouvoir expliquer mes directives à l’équipe. Et puis, mon premier assistant était hongkongais et parlait anglais, mon deuxième assistant parlait français. Avec eux et ma petite connaissance du chinois, on arrivait à communiquer.
Ma question concernait plutôt la justesse des dialogues. Souvent, les comédiens français dirigés en français par des cinéastes étrangers, même des grands auteurs, semblent jouer faux. Alors j’imagine que le risque est le même pour des acteurs chinois dirigés par un cinéaste français…
Absolument. Il est vrai qu’un américain qui va faire un film à Paris peut faire jouer faux ses acteurs et vite tomber dans les clichés. En ce qui me concerne, j’ai l’avantage d’avoir passé beaucoup de temps à préparer le projet. Je me suis comporté comme une éponge. Je me suis laissé imprégner par la culture, par la langue et sa sonorité. Le chinois est une langue très dynamique, très “bruyante”. J’ai eu tout loisir de comprendre sa rythmique particulière.
Je faisais malgré tout beaucoup de prises pour pouvoir sélectionner justement celle qui sonnait la plus juste. Mais il y avait peu de déchets. J’ai pu m’appuyer sur de très bons acteurs.
Vous n’aviez pas d’expérience de tournage en Chine, mais ils ne devaient pas avoir l’habitude de tourner avec un cinéaste français…
Non, mais nous nous sommes fait mutuellement confiance et la collaboration a été harmonieuse.
Je pense qu’ils étaient fiers de participer à un film d’auteur français. Et certains connaissaient Le Papillon et étaient heureux de faire ce film avec moi.
Pour ma part, j’étais également content de travailler avec eux, de découvrir une autre façon de travailler. Et content d’avoir assuré mon rôle jusqu’au bout. Je ne suis pas sûr que beaucoup de réalisateurs français auraient pu mener à bien un tel tournage. Il faut être très patient, passer beaucoup de temps sur place, et oublier sa façon de travailler française. Plus d’un auraient claqué la porte avant de commencer.
Qu’est-ce qui change par rapport à un tournage français ou occidental?
En Chine, le cadre est moins rigoureux. C’est un peu le “bordel”.
Le problème vient des autorisations de tournage?
Non, pas vraiment. Il y en a, mais surtout pour les endroits délicats, comme les gares, les lieux publics fréquentés. Par exemple, on n’a pas réussi à tourner dans une gare parce que c’était la période du congrès chinois et tout était hyper sécurisé. Mais sinon, on peut tourner n’importe où. Il faut juste que le régisseur discute un peu avec les chefs de villages ou les responsables des zones où on veut poser nos caméras.
Ce qui est usant, c’est qu’il y a beaucoup d’improvisation dans l’organisation du tournage. Parfois, il fallait attendre le lendemain pour tourner une scène, s’adapter aux circonstances…
Le fait de tourner beaucoup en pleine nature n’arrangeait rien, j’imagine…
Oui, c’est surtout beaucoup de route, de temps de transport. Au niveau logistique, cela nécessitait une équipe assez importante. Heureusement, on avait des jeunes costauds et efficaces pour transporter les projecteurs, le matériel, etc…
Il vous fallait aussi gérer une enfant, la jeune comédienne Yang Xin Yi. Même si vous avez plusieurs expériences en la matière, cela a-t-il été compliqué?
On a eu un bon contact avec cette fillette. Au casting, elle est vite sortie du lot. Si elle n’avait pas pu faire le film, on aurait repoussé le tournage ou renoncé au projet. La communication n’était pas toujours évidente, mais on s’en amusait. Elle corrigeait mon chinois. On a eu un très bon feeling tout de suite. Elle est gentille comme tout, bosseuse…
Elle est épatante dans le film. Elle crève l’écran. Et elle semble complice avec l’acteur qui joue le grand-père.
Oui, tout à fait. Ils s’aimaient beaucoup. Cette alchimie est le principal moteur du film. Il fallait que ça fonctionne.
D’autant que les échanges générationnels sont au coeur du film…
Oui, le grand-père est un vieux paysan qui a connu la révolution culturelle. A l’époque, il n’avait rien. Il crevait de faim. Le fils est un architecte célèbre et la petite fille, juste deux générations après, est devenue une enfant hyper gâtée de la société libérale. C’est caractéristique de la société chinoise et la façon dont elle évolue.
Je considère mon film comme un voyage vers les racines des personnages. Le grand-père renoue avec son passé et la fillette découvre ses origines.
Je pense que mon propos vise juste, car les enfants chinois d’aujourd’hui ne savent plus d’où ils viennent. Beaucoup sont les petits-enfants de paysans qui sont venus vivre en ville pour travailler comme des esclaves dans les usines, se sacrifiant pour que leurs fils fassent des études.
il y a eu un bond économique très fort dans ce pays…
Oui, ils ont fait en trente ans ce que nous on a fait en cent-vingt.
Le film a été montré en Chine?
Oui. Je l’ai montré il y a trois jours dans un festival universitaire. La réaction a été bonne. Les jeunes chinois ont été un peu surpris, car ils ont plus l’habitude de voir des gros blockbusters américains ou des films locaux bourrés d’effets spéciaux. Mais ils ont trouvé le film très beau, et poétique. Ils ont accroché. Je crois que les journalistes l’aiment bien aussi.
Mais vous savez, le marché chinois est assez difficile. Pour la plupart des spectateurs, le cinéma doit être un moyen de se divertir.
Leurs auteurs viennent se faire remarquer en Europe dans les festivals mais ne sont pas forcément très connus chez eux…
Oui, il ne sont presque pas diffusés en Chine. Surtout quand il y a dans leurs oeuvres une dimension critique sociale qui n’est pas toujours bien accueillie par les autorités. Celui qui a du succès à Pékin, en ce moment, c’est Black Coal, thin ice qui a eu l’ours d’or à berlin. Un film de genre et un film d’auteur réunis.
Vous avez comparé ce film à un “saut dans le vide”. Vous le referiez?
Oui, mais pas dans les mêmes conditions. Si on me proposait de tourner en Chine à nouveau, j’étudierais la proposition avec beaucoup d’intérêt mais je ne le ferais que dans un environnement très professionnel, avec une société de production sérieuse et un projet financé. Je ne dis pas que mes producteurs n’étaient pas bien, au contraire. Ils étaient motivés et dynamiques, mais ils ont vraiment ramé pour obtenir l’argent. Si je repars dans une aventure de ce type, il faudra que le film soit bien financé et que je puisse un peu gagner ma vie, parce que là, je n’ai pas gagné beaucoup d’argent !
En même temps, vous aimez les projets qui sortent des sentiers battus. Votre filmographie est assez éclectique puisque vous avez fait des documentaires et de la fiction, des courts-métrage et des longs, des films de société et même été un pionnier des films en IMAX en France…
Oui, c’est ça. J’aime changer de registre. Mais en même temps, il y a des ponts entre mes oeuvres. Par exemple, j’ai fait trois films d’affilée avec des enfants. Mais là, je vais arrêter. Ca m’amuse, mais j’aimerais faire autre chose. Idéalement, j’aimerais qu’on me propose un scénario qui me plaise, travailler sur les écrits de quelqu’un d’autre pour éviter de me répéter.
Après, dans mes films, il y a une constante : j’aime filmer les paysages, la nature.
A un moment, j’avais eu l’idée de faire un film sur le trafic des animaux. Mais c’est un sujet qu’il ne vaut mieux pas traiter en Chine…
Vos futurs projets dépendent de l’accueil de ce film?
En Chine oui. En France pas vraiment. L’enjeu en France est limité. C’est un film chinois, qui va sortir dans un réseau limité de salles. Les gens vont probablement trouver que c’est du bon travail mais ça ne changera rien au financement de futurs projets.
Pour le moment, j’ai un projet de film en France. Après, on verra bien. En Chine? En France? Ailleurs? Qui sait où m’emmèneront mes prochains films?
Merci, Philippe Muyl. J’espère que votre film pourra trouver son public en salles.
[entretien réalisé par Antoine Bordat le 10 avril 2014 à l’hôtel de Sers – Champs Elysées – Paris 8ème]
Notre critique du film
Le site de Philippe Muyl