Ah! Marseille! Son Vieux Port, sa bouillabaisse, son pastis, ses règlements de comptes entre truands…
Hum, oui, vu comme ça, c’est tout de suite moins touristique… Et ce n’est pas le nouveau long-métrage d’Olivier Panchot qui va améliorer l’image de la cité phocéenne…
En effet, De guerre lasse suit le retour au pays d’Alex (Jalil Lespert), le fils d’un gangster pied-noir marseillais (Tchéky Karyo). Le jeune homme avait été contraint de quitter Marseille pour échapper à la mafia corse, dont il avait assassiné l’un des parrains. Pour ce faire, il n’avait rien trouvé de mieux que de s’engager dans la Légion Etrangère. Mais, après quatre ans passés dans le bourbier afghan, traumatisé par les horreurs de la guerre, il n’aspire qu’à retrouver ses proches, et notamment Katia (Sabrina Ouazani), la jeune femme qu’il aime depuis l’enfance.
Même si Alex tente de se faire discret, les corses ne tardent pas à apprendre son retour, et lancent des tueurs à ses trousses. Evidemment, tout cela ne peut que mal finir…
Donc, non, ce n’est pas ce film qui va améliorer l’image de Marseille. En revanche, il va très sérieusement redorer le blason du polar à la française, entaché ces derniers mois de quelques navets peu recommandables.
La trame principale, qui repose sur cette histoire de vendetta, est certes on ne peut plus classique, pour ne pas dire archi-usée, mais Olivier Panchot a eu la bonne idée de l’enrichir avec trois autres arcs narratifs, qui offrent au spectateur d’autres niveaux de réflexion.
Le premier tourne autour des luttes d’influence entre les clans qui règnent sur Marseille, et sur l’évolution des rapports de force entre les différentes factions. Le film montre comment le pouvoir est passé des gangsters marseillais traditionnels à la mafia corse, dont l’hégémonie est elle-même menacée par les caîds des quartiers nord, issus de l’immigration maghrébine. Un reflet de l’évolution démographique dans la cité phocéenne et du passage de témoin entre une génération de truands à l’ancienne et des jeunes chiens fous prêts à tout pour monter dans l’ascenseur social.
Le second est centré sur les secrets de famille, ces non-dits qui pèsent sur les relations humaines et menacent de faire imploser les structures familiales. Ceux du père d’Alex et de sa compagne, créent des incompréhensions, des frustrations, des tensions et mettent en péril des amitiés et des relations amoureuses.
Le dernier traite des blessures psychologiques provoquées par deux conflits historiques. Le père d’Alex et sa compagne (Hiam Abbas) sont encore marqués par la Guerre d’Algérie, qui les a poussé à quitter Alger pour Marseille, il y a bien des années. Ils parlent peu de ce déracinement et des horreurs de la guerre, mais on sent que cela les ronge à petit feu. Alex, lui, est traumatisé par la Guerre d’Afghanistan, qui occasionne la perte de plusieurs soldats français chaque année, mais qui se poursuit dans une relative indifférence médiatique. Dans les deux cas, ces conflits sont révélateurs des relations complexes liant la France et le monde Arabe.
L’ensemble est habilement entrelacé, et donne à De guerre lasse la structure non seulement d’un film noir, mais aussi d’une tragédie antique où les histoires intimes et familiales tentent de se dénouer sur fond de conflits épiques entre clans rivaux, et où la grande Histoire pèse sur les destins individuels.
Forts de ce cadre dramatique complexe, les acteurs peuvent montrer toute l’étendue de leur palette de jeu. A commencer par Jalil Lespert, très crédible dans la peau de ce jeune homme brisé, hanté par les fantômes de la guerre et devant évoluer en territoire hostile. Face à lui, Tchéky Karyo, Mhammed Arezki et Olivier Rabourdin livrent des performances solides, tandis que Jean-Marie Winling s’amuse à camper avec truculence un vieux gangster marseillais. Et, à côté de ce contingent masculin, les femmes ne sont pas en reste. Sabrina Ouazani impose sa présence sensuelle et troublante, et Hiam Abbass réussit, en l’espace de deux regards, à exprimer toute la douleur et toutes les blessures de son personnage, confirmant une fois de plus qu’elle est une immense actrice.
La mise en scène d’Olivier Panchot est au diapason de ces performances d’acteurs. Intense, élégante, trouvant toujours la bonne distance pour filmer les personnages et ménageant quelques beaux moments de cinéma, elle participe pour beaucoup à l’efficacité de l’oeuvre. Tout juste peut on regretter une légère baisse de rythme à la moitié du film, qui laisse tout loisir au spectateur d’anticiper le dénouement du film, un peu trop prévisible, pour le coup.
Mais De guerre lasse n’en demeure pas moins une belle réussite, qui confirme le talent du trop rare Olivier Panchot.
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De guerre lasse
Réalisateur : Olivier Panchot
Avec : Jalil Lespert, Tchéky Karyo, Hiam Abbass, Mhamed Arezki, Sabrina Ouazani, Jean-Marie Winling
Origine : France
Genre : polar aux allures de tragédie grecque
Durée : 1h34
Date de sortie France : 07/05/2014
Note pour ce film :●●●●