A l’écran, défile une route sinueuse, menant à Monaco. La caméra se recule, pour montrer qu’il s’agit d’une image projetée sur un écran, devant une décapotable où deux acteurs font semblant de conduire. Un trucage de cinéma, sur le plateau de tournage de La Main au collet d’Alfred Hitchcock. Une fois la prise terminée, Grace Kelly (Nicole Kidman) salue son partenaire, Cary Grant, remercie l’équipe et prend une voiture qui l’emmène pour de bon sur le Rocher, auprès de celui qui va devenir son époux, Rainier Grimaldi, Prince de Monaco.
Ainsi démarre Grace de Monaco, le nouveau film d’Olivier Dahan. En l’espace d’un plan-séquence élégant, on passe d’un rêve à un autre, d’une vie de Reine de Hollywood, icône hitchcockienne et égérie des plus grands cinéastes, à celle d’Altesse Sérénissime de l’un des plus vieux royaumes d’Europe. Un parcours qui, de l’extérieur, ressemble à un parfait conte de fée. Mais, derrière ces apparences azurées, la vie de Grace Kelly était loin d’être aussi idyllique que cela…
La scène suivante nous projette quelques années plus tard. En 1962, plus exactement.
Alfred Hitchcock rend visite à son actrice-fétiche pour lui proposer le premier rôle de son prochain film, Pas de printemps pour Marnie. Elle l’accueille à bras ouverts, trop heureuse de pouvoir échapper à sa fonction, le temps d’un bref entretien. Il s’inquiète de la voir fatiguée et soucieuse. Elle lui assure que tout va bien, qu’elle est parfaitement heureuse à Monaco, peut-être pour s’en persuader elle-même, ou plus probablement parce qu’elle ne peut parler librement devant Madge (Parker Posey), une dame de compagnie qui ressemble plus à une gardienne de prison, la suivant partout et veillant au parfait respect des usages protocolaires.
On comprend vite qu’elle est enfermée dans une cage dorée, trompant l’ennui en s’occupant d’activités caritatives ou en jouant avec ses enfants, toujours sous le regard sévère et désapprobateur de sa suivante. Et elle ne peut guère compter sur son prince charmant, qui la délaisse des semaines entières pour s’occuper de questions politiques….
Au vu des premières scènes, on se dit qu’Olivier Dahan a trouvé l’angle adéquat pour traiter du destin de Grace Kelly.
S’appuyant sur une Nicole Kidman inspirée, il montre bien le vertige de cette femme, tiraillée entre la flamme artistique qui brule encore en elle et les contraintes très strictes liées à son rang, entre l’envie de divorcer, de retourner au pays et le besoin de préserver ses enfants, entre sa liberté et l’acceptation des responsabilités qui accompagnent son statut de princesse.
Il fait de l’année 1962 une date charnière de l’existence de Grace Kelly. Celle où elle va définitivement renoncer à sa carrière d’actrice pour se focaliser sur un seul et unique rôle, le plus complexe de tous, celui de Son Altesse Sérénissime la Princesse Grace de Monaco.
Cette année-là, la Principauté a failli être annexée par la France, qui avait besoin de fonds pour financer son action militaire en Algérie et voyait d’un très mauvais oeil l’exil de nombreuses entreprises nationales en terre monégasque, où la fiscalité était beaucoup plus avantageuse. Les négociations entre le Prince Rainier et les émissaires du Général De Gaulle ont été houleuses, et ont conduit à un blocus douanier très strict de la France à l’égard des ressortissants monégasques, assorti d’un ultimatum exigeant de la principauté le versement d’impôts importants, sous peine d’invasion par la France. Dans ces conditions diplomatiques délicates, l’exécutif monégasque ne pouvait pas laisser la Princesse repartir aux Etats-Unis pour y incarner une “kleptomane frigide”. Cela aurait donné l’impression d’une fuite. Au contraire, elle a dû apprendre à assumer pleinement sa fonction et à soutenir son époux contre vents et marées.
Là encore, rien à redire. Il est probable que cette crise diplomatique a été un facteur déterminant dans l’abandon définitif de sa carrière d’actrice.
Le problème, c’est qu’à partir de là, Olivier Dahan traite son sujet avec une extrême lourdeur. Il accumule les poncifs mélodramatiques, se fourvoie dans des choix artistiques et narratifs hasardeux, plombe son récit de dialogues risibles et d’effets scénaristiques grotesques, et, in fine, passe à côté du beau portrait de femme annoncé. Peut-être a-t-il dû faire des concessions pour plaire à un large public à l’international, mais de là à se vautrer dans le mélodrame familial larmoyant et la parodie grossière de thriller politique…
Tout manque cruellement de finesse dans ce film, des mouvements de caméra inutilement grandiloquents à l’utilisation pompière de la musique. Et si Nicole Kidman réussit le petit miracle de rester crédible de bout en bout malgré le délitement de la trame narrative, on n’en dira pas autant de certains de ses partenaires. D’accord, Tim Roth assure le métier, mais son personnage est, de façon absurde, totalement sacrifié par le scénario. Paz Vega est également très bien dans le rôle de Maria Callas, autre artiste à la vie privée tourmentée, dont la relation avec Grace de Monaco aurait gagné à être mieux développée à l’écran. Mais Parker Posey cabotine dans le rôle de Madge, Frank Langella assure le minimum syndical dans le rôle du prêtre monégasque Francis Tucker, Derek Jacobi est cantonné au rang d’utilité et André Penvern se livre à une assez pathétique caricature de De Gaulle.
Enfin, que dire de cette scène embarrassante, montrant Grace de Monaco au volant de sa voiture, roulant à pleine vitesse dans des routes en lacets et manquant d’avoir un accident… Sans doute le cinéaste a-t-il trouvé là une façon d’évoquer la fin tragique de la Princesse, en 1982. Mais au passage, il semble la désigner comme pleinement responsable de sa propre mort, alors que les conclusions officielles évoquent une attaque cérébrale comme cause de la perte de contrôle de son véhicule… On peut comprendre que la famille Grimaldi boycotte un film qui s’emploie à présenter leur père comme un homme froid et distant et leur mère comme une actrice frustrée au comportement erratique…
Certes, le cinéaste précise bien, d’emblée, que le film est une fiction inspirée de faits réels et pas un biopic classique, mais le traitement de faits historiques et de personnes ayant existé exige une certaine délicatesse…
Cela dit, on aurait préféré que le cinéaste développe un peu plus les zones d’ombre de son personnage, ce côté dépressif latent, ce renoncement à la liberté pour le bien de ses enfants,etc…, plutôt que de basculer dans une béatification totale du personnage, transformée, le temps d’une scène qui se voudrait magistrale, en politicienne brillante, libératrice du peuple monégasque, Jeanne d’Arc du Rocher boutant les français hors de son royaume. Ridicule…
Dommage, car il y avait clairement mieux à faire autour de ce sujet, de ce destin atypique. Le cinéaste aurait pu traiter de la difficulté, pour une femme de chef d’état, d’exister et d’exprimer des opinions propres, ou du côté théâtral de la fonction princière. Hélas, il ne fait que survoler ces thématiques. Et le dernier plan, exprimant totalement le désarroi de la femme derrière le masque de la princesse, ne fait que renforcer le sentiment de gâchis qu’inspire l’ensemble…
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Grace of Monaco
Réalisateur : Olivier Dahan
Avec : Nicole Kidman,Tim Roth, Parker Posey, Frank Langella, Jeanne Balibar, Olivier Rabourdin
Origine : France, Etats-Unis
Genre : librement inspiré de faits réels…
Durée : 1h43
Date de sortie France : 14/05/2014
Note pour ce film :●●○