[Festival de Cannes 2014] “Mr Turner” de Mike Leigh

Par Boustoune

Mike Leigh est un habitué du festival de Cannes, mais on ne peut pas l’accuser de ne pas se renouveler, son oeuvre louvoyant d’un genre à l’autre, d’une époque à l’autre. Lors de sa dernière venue à Cannes, il racontait une année de la vie de gens “ordinaires” dans l’Angleterre contemporaine. Cette fois-ci, il nous entraîne dans le Londres du XIXème siècle, au moment de l’essor de l’industrialisation et du développement du chemin de fer, et nous fait partager près d’un quart de siècle de la vie de Joseph William Turner, peintre paysagiste réputé et membre émérite de la Royal Academy of Arts.

Cela lui permet de se livrer à une variation sur le thème de la création artistique et de la condition de l’artiste. Un sujet pas forcément novateur, mais qui a le mérite, ici, de s’affranchir des habituels clichés sur l’artiste maudit et sans le sou. Turner était un artiste respecté par ses pairs. Il avait les faveurs de la reine, qui lui commandait régulièrement des toiles, mais aussi des collectionneurs privés, qui prisaient particulièrement ses peintures marine. Il ne manquait pas d’argent ou de ressources, voyageait régulièrement en Hollande pour étudier les maîtres flamands.
Mais, sur la fin de sa carrière, il était un artiste démodé, la tendance étant plus aux portraits chargés qu’aux paysages épurés, et, en même temps, un artiste trop en avance sur son temps, puisque son travail sur la lumière a ouvert la voie aux peintres impressionnistes,quelques années après sa mort…

Mike Leigh s’intéresse tout particulièrement au décalage entre cet artiste de génie et le regard porté par ses contemporains sur son oeuvre, des admirateurs idiots ne saisissant pas l’essence de son travail aux critiques d’art snobs et cyniques, en passant par les confrères jaloux de son talent ou de sa réussite.
Il montre comment l’Art évolue par vagues, par mouvements successifs. Les artistes se nourrissent du travail de leurs aînés, puis créent leur propre style, pour les plus talentueux d’entre eux.

Et il montre surtout que les véritables artistes ne vivent que pour la création, faisant passer leur oeuvre avant toute autre chose.Turner était de cette trempe. Il était un type assez bourru et solitaire, trop obsédé par le dessin et la peinture pour se consacrer aux relations humaines.
Du pain béni pour Mike Leigh, qui aime ce genre de personnage évoluant en marge de la société. Autant que l’oeuvre de l’artiste, il s’intéresse à ses relations avec les femmes de sa vie. Son ex-compagne, Mrs Danby (Dorothy Atkinson), dont chaque visite l’agace prodigieusement, ses deux filles, dont il ne se préoccupe nullement, mais aussi et surtout sa fidèle gouvernante, qui nourrit pour lui une passion impossible, et Mrs Booth (Marion Bailey), une veuve qui va devenir sa compagne, lors des dernières années de sa vie.

L’émotion passe, souvent, même si Thimothy Spall frise parfois le cabotinage dans son rôle de peintre bourru, n’exprimant ses sentiments que par des grognements et des haussements d’épaules.
Et le film est parcouru de splendides fulgurances visuelles, le chef-opérateur Dick Pope ayant cherché à travailler dans l’esprit des artistes du XIXème siècle.

Mais il faut bien avouer, également, que ce bel objet cinématographique n’a pas réussi totalement à nous emporter. Sans doute est-il un peu trop long et trop répétitif pour ne pas susciter l’ennui, au bout d’un moment. Et peut-être l’académisme des oeuvres de l’époque finit-il par gagner également le style de Mike Leigh, que l’on a connu un peu plus vif et incisif.

Mr Turner n’est pas son chef-d’oeuvre, mais c’est néanmoins une oeuvre intéressante, qui lance sur de bons rails cette 67ème édition du festival de Cannes.