Alors que son précédent long-métrage, il était une fois en Anatolie était avare en paroles, son nouveau film fait dans l’excès inverse. Il est presque intégralement composé de longues scènes de dialogues, ou plutôt, non, de longues joutes verbales. Ses personnages discutent, pérorent, argumentent, se disputent à propos de tout et n’importe quoi, de considérations morales, de leur comportement, des relations qui les unissent… Au passage, ils n’hésitent pas à s’asséner leurs quatre vérités et se balancer des piques acérées.
Ils parlent, parlent, parlent presque non-stop, pendant les quelques 3h16 que dure le film… Et pourtant, ils ne s’écoutent pas vraiment. Chacun reste campé sur ses positions, ses idées, incapable de se remettre en question, trop fier pour admettre ses torts ou accepter un avis contraire au sien.
Le plus borné, c’est le personnage principal, Aydin, un ex-acteur qui gère désormais un hôtel et plusieurs habitations troglodytes dans un village d’Anatolie, et qui, dans ses moments libres, écrit des textes polémiques pour le journal local, qu’il ne manque pas de faire lire à sa soeur Necla, revenue vivre à l’hôtel. Il est toujours en guerre contre tout le monde, râle contre les uns et les autres, donne des leçons de morale et fait preuve de mauvaise foi par pur esprit de contradiction. Il est comme un vieil ours dans sa grotte, grognant contre le monde qui l’entoure, et notamment contre sa jeune épouse, Nihal, sans se rendre compte qu’il l’étouffe complètement.
Mais, l’hiver arrive, les clients désertent l’hôtel, et Aydin, à force de se fâcher avec ses proches, finit par se retrouver de plus en plus isolé. il va comprendre qu’il est peut-être temps d’hiberner un peu, afin de prendre du recul sur sa vie, sur son comportement et sa philosophie de vie…
Comme toujours, Nuri Bilge Ceylan fascine autant qu’il ennuie.
A son actif, il filme magnifiquement son décor, somptueux, et ses personnages, même si le travail sur l’image est moins poussé que sur Les Trois singes ou Il était une fois en Anatolie. Il réussit également de belles scènes intimistes, dévoilant toute la complexité des personnages. Et il aborde, dans tout ce flot de paroles, de nombreux sujets philosophiques et moraux, qui emmènent son oeuvre vers d’autres niveaux de lecture.
A son passif, le film est beaucoup trop long. Même bien préparé, le cinéphile devra s’accrocher pour tenir le choc de ces trois heures de plans fixes et de dialogues interminables. Evidemment, les amateurs de films d’action remuant peuvent passer leur chemin, ce film-là n’est pas du tout pour eux.
Winter sleep n’en demeure pas moins un beau morceau de cinéma, parfaitement maîtrisé et porté par une distribution sans faille. Il est même fort possible que le jury, fortement connoté Art & Essai, ait apprécié l’oeuvre et la fasse figurer au palmarès. En tout cas, il aura clairement la palme d’or de la durée la plus longue et celle des dialogues les plus développés…