[Festival de Cannes 2014] Jour 4 : le beau, les brutes et le truc lent

Par Boustoune

Après avoir subi alternativement le feu et la glace lors de la troisième journée de festival, l’Auditorium Lumière a vu s’affronter deux films de la compétition aux antipodes l’un de l’autre, le premier, Saint-Laurent faisant l’apologie de la beauté, et le second, Relatos salvajes, étalant à l’écran toute la laideur de l’être humain.

Saint-Laurent s’intéresse, comme son nom l’indique, à la personnalité du grand couturier Yves Saint-Laurent, son génie créatif, son amour pour l’art et la beauté, mais aussi ses zones d’ombres. Esthétiquement, le film est beaucoup plus abouti que le Yves Saint-Laurent de Jalil Lespert, mais son contenu est bien trop proche pour justifier de l’utilité d’un second biopic, juste quelques semaines après la sortie du premier… Cela dit, on doit bien avouer que la biographie du personnage, ses coucheries et ses excès en tout genre ne nous intéressaient pas du tout au départ… Nous avons quand même réussi à supporter les deux longs-métrages…

Nous somme plus enthousiastes à propos de Relatos salvajes, réjouissant et hilarant jeu de massacre, où la société argentine et, plus généralement, le genre humain, en prennent pour leur grade. Pas sûr que ce film à sketchs nous laisse un souvenir impérissable dans quelques mois, mais, en plaisir brut, immédiat, c’est sûrement l’oeuvre qui nous a le plus emballés pour le moment, avec Timbuktu. Le prologue, notamment, est totalement jubilatoire, et a suscité des applaudissements nourris. Ah! Viva Javier Pasternak !

Hors compétition, le festival proposait un hommage au cinéma d’animation, parrainé par la délicieuse Salma Hayek et articulé autour de la projection de The Prophet, une oeuvre collective regroupant les talents de Roger Allers, Bill Plympton, Joann Sfar, Nina Paley, et bien d’autres.
Hélas, n’ayant pas le don d’ubiquité ou de double cartoonesque, nous n’avons pu assister à cette séance spéciale.
Nous avons aussi fait l’impasse sur The Salvation, un western danois, signé Kristian Levring, avec Mads Mikkelsen, Eva Green et… Eric Cantona. Le concept a l’air assez curieux, mais c’est peut-être ce qu’il faut pour une séance de minuit… On attend les avis des noctambules pour jauger de l’accueil réservé à l’oeuvre.

Du côté de “Un Certain Regard”, les festivaliers ont pu découvrir Run de Philippe Lacôte, qui revient, par le biais d’une fiction, sur la guerre civile ayant eu lieu en 2010 en Côte d’Ivoire. Une oeuvre qui a apparemment ému une grande partie du public.
Ils ont aussi pu découvrir le nouveau film de Kornel Mundruczo, White God, une oeuvre ambitieuse racontant l’errance d’une adolescente de 13 ans et de son chien dans un monde d’élus et de perdants où seul le pedigree compte. Les premiers échos sont très bons et louent une oeuvre formellement aboutie, moins froide, moins austère que les précédents opus du cinéaste. On a hâte de découvrir le film, reprogrammé vers la fin de la quinzaine…

Dans la même section, nous avons pu voir La Disparition d’Eleanor Rigby, l’histoire d’un couple (Jessica Chastain et James MccAvoy) qui se désagrège complètement suite à un drame difficile à surmonter. Initialement le projet du cinéaste Ned Benson est constitué de trois films (Her, Him,Them) s’intéressant à la même période, mais adoptant des perspectives différentes. Pour le festival de Cannes, seule la version “Them” a été montrée au public. Dommage…. et tant mieux.
Dommage parce que l’originalité du projet ne tenait probablement que sur ce dispositif en triptyque. Tant mieux, parce que si les trois films sont du même acabit, cela ne vaut pas la peine de s’infliger trois fois le même spectacle…
Les qualités artistiques ne sont pas en cause, le film s’appuyant sur un beau casting (Chastain, McAvoy, Viola Davis, Isabelle Huppert, William Hurt) et une ambiance soignée, mais le manque d’originalité de l’intrigue, déjà vue cent fois, les clichés esthétiques du cinéma indépendant américain  et le rythme lancinant de l’ensemble, suscitent rapidement un certain ennui.

Côté Quinzaine, deux films étaient présentés aujourd’hui : le long documentaire de Frederick Wiseman consacré à la National Gallery et Les Combattants, le premier long-métrage de Thomas Cailley.

Côté Semaine de la critique, Mélanie Laurent a présenté son nouveau long-métrage en tant que réalisatrice, Respire.
Et David Robert Mitchell a généré un bouche-à-oreille flatteur avec It follows dès sa première projection. Cela a aiguisé notre curiosité et nous sommes allés vérifier par nous même si le buzz était justifié. Eh bien, nous confirmons…

Il s’agit d’un film d’horreur épatant, respectant à la lettre tous les codes du genre, offrant au public son lot de sensations fortes, mais proposant aussi une oeuvre esthétiquement soignée et plus intelligente que la moyenne.
La grande idée du film, c’est d’opposer la classique scream queen adolescente à une entité démoniaque… sexuellement transmissible. Une fois contracté, le mal se matérialise sous la forme d’un fantôme qui peut prendre plusieurs apparences différentes et marche inlassablement en direction de sa victime, lentement mais sûrement, jusqu’à ce qu’il lui torde le cou ou qu’elle s’en débarrasse en couchant avec quelqu’un d’autre. De ce fait, n’importe quel personnage marchant vers les protagonistes devient potentiellement une menace, créant une atmosphère particulièrement angoissante.
Cela permet aussi d’offrir différents niveaux de lecture à cette oeuvre. Que représente cette curieuse malédiction liée à la sexualité? La perte de l’innocence enfantine, inévitable, et la prise de conscience que la mort peut frapper n’importe quand? La génération SIDA, qui perturbe les relations amoureuses de la jeunesse? Le signe annonciateur du retour du puritanisme?
Mais on peut aussi choisir de le voir uniquement au premier degré, et profiter d’un film d’horreur efficace.

A moins d’être poursuivis par une entité cette nuit, nous reviendrons demain pour de nouvelles chroniques cannoises…