Résumé : Au Texas. Joe, ouvrier dans l’industrie du bois au lourd passé, prend sous son aile un adolescent qui tente de subvenir aux besoins de sa famille.
Nicolas Cage semble vouloir reprendre sa carrière en main et tirer un trait sur ses errances, se déclarant lui-même coupable, dans les colonnes du journal Le Monde, d’une triste seconde partie de carrière qui, à défaut de lui avoir valu le respect du public, lui a permis de réaliser tous ses caprices. Il attendait, patiemment, le moment où il pourrait "se mettre à nu", raviver la flamme qui l’animait, jadis, lorsqu’il incarnait un superbe Lord Of War et qu’il fit preuve d’une mémorable Adaptation chez Spike Jonze. C’est alors qu’il fait la rencontre David Gordon Green et d’un personnage, Joe, un ouvrier qui empoisonne son existence de plaisirs et de pulsions refrénées. Cette rédemption tant attendue, l’acteur la tient, enfin, dans le creux de ses mains, dans ce script qui renoue avec cette authenticité qu’il avait quitté au profit de projets brinquebalants. Un retour en grâce qui lui permet de se réconcilier avec ces personnages "sur le fil", inadaptés et incompris que l’on aime tant voir interpréter. Le réalisateur lui octroie ainsi une fracassante tribune avec ce personnage tout en intériorité, faisant renaitre un passé pavé d’interprétations ridicules au détour d’une amusante performance maxillo-faciale, mimant de manière grotesque l’expression de la tristesse au jeune apprenti qu’il a pris sous son aile, campé avec beaucoup de force et de conviction par le jeune Tye Sheridan. Mais Joe, c’est surtout le testament d’une Amérique, celle des ouvriers et des repris de justesse, celle d’hommes et de femmes hantant un territoire perdu, rongé par la crise et par l’échec. À l’image de Scott Cooper et de Jeff Nichols, David Gordon Green, enfant du Texas, est de ces cinéastes qui ont cet amour pour "l’americana" chevillé au corps. La vision est âpre et douloureuse, imbibé d’un spleen dévastateur et d’un réalisme désarmant. Il s’entoure de comédiens amateurs, des vraies prolétaires, des vagabonds de chair et d’os qui donnent à ce récit une dimension plus réaliste encore qu’elle ne pouvait l’être par la seule captation de son paysage social. Parmi eux, Gary Poulter, vagabond décharné qui poussa son dernier souffle de vie au bord d’un rade, quelques mois après la fin du tournage, livre une performance unique et pleine de vérité. En retour, le film se charge d’une symbolique et d’une poésie autour de la notion de rédemption dont la mise en image cadre parfaitement avec la nature de cet environnement. Grâce à la voluptueuse rage d’un superbe score, co-composée par le collaborateur régulier de Jeff Nichols, David Wingo, et le sound-designer Jeff McIlwain, le réalisateur fait naitre de magnifiques suspensions, des états de grâce surgissant des décombres, imprimant le lâché prise des personnages avec une réalité de plus en plus dure à affronter. On peut blâmer David Gordon Green de ne pas avoir choisit de faire dans la dentelle et de ne pas avoir fait preuve de suffisamment de subtilité dans sa démarche. Mais cette magie noire produit par ce portrait d’une société au fond du gouffre nous embarque dans une aventure humaine particulièrement envoutante. (3.5/5)
Joe (États-Unis, 2014). Durée : 1h57. Réalisation : David Gordon Green. Scénario : Gary Hawkins. Image : Tim Orr. Montage : Colin Patton. Musique : David Wingo, Jeff McIlwain. Distribution : Nicolas Cage (Joe), Tye Sheridan (Gary), Gary Poulter (Wade), Ronnie Gene-Blevins (Willie-Russell), Adriene Mishler (Connie), Aj Wilson McPhaul (Earl), Sue Rock (Merle).