[Festival de Cannes 2014] Jour 8 : Ratages & Expériences

Par Boustoune

Huitième jour de projections sur la Croisette. La fatigue commence à se faire ressentir et nous avons du mal à tenir le rythme, comme vous avez pu le constater. Mais si en plus, les organisateurs nous donnent à voir des oeuvres ratées ou des trips expérimentaux, cela ne va plus aller du tout…

On commence avec le “raté”. Il s’agit du nouveau film de Michel Hazanavicius, The Search.
Une oeuvre ambitieuse sur le papier, puisqu’elle reprend l’intrigue du film éponyme de Fred Zinnemann (Les Anges marqués, en VF), pour la transposer au conflit en Tchétchénie. On suit l’évolution de la relation entre une jeune diplomate européenne chargée d’étudier la question des Droits de l’Homme dans les pays de l’ex-URSS et le jeune tchétchène qu’elle a recueilli, devenu muet suite à l’assassinat de ses parents. Mais aussi, parallèlement, la quête de la soeur aînée du gamin, partie à sa recherche. Et enfin une trame narrative originale, suivant l’errance d’un jeune russe enrôlé de force dans cette guerre qui ne dit pas son nom. Trop pour un cinéaste de la carrure d’Hazanavicius. Le récit choral est mal équilibré. Le cinéaste se vautre souvent dans le pathos, appuie chaque effet, rate des scènes faciles. Et même si on dénombre quelques belles trouvailles de mise en scène, elles sont trop maladroitement exploitées. Mais le pire, c’est que toutes les scènes entre Bérénice Béjo et le petit tchétchène sont catastrophiques. Peut-être parce que Michel Hazanavicius aime trop son épouse pour remarquer qu’elle joue faux. Plus sûrement parce que les dialogues qu’on lui donne à jouer sont absolument grotesques. Dans The Artist, il n’avait pas ce problème, évidemment… Là, c’est préjudiciable car c’est quand même le coeur du film…
Pour l’instant, c’est LA grand déception de la compétition. On attendait autre chose de la part d’un cinéaste qui nous avait tant enthousiasmé avec The Artist.

On ne peut pas dire que le nouveau film d’André Téchiné, L’Homme qu’on aimait trop est un ratage. C’est un long-métrage de facture classique, correctement interprété et mis en scène de façon très sobre. Mais son sujet ne nous a pas transportés. Il faut dire que, comme pour le Saint-Laurent de Bonello, il arrive un peu après la bataille, puisque le film tourne autour de l’Affaire Agnelet, du nom de cet avocat d’affaires soupçonné d’être responsable de la disparition d’Agnès Le Roux, une riche héritière monegasque, à la fin des années 1970. Un casse-tête judiciaire puisque le corps de la jeune femme n’a jamais été retrouvé et que les seules éléments à charge sont des mouvements de fonds suspects et la personnalité ambiguë de l’accusé. C’est vraisemblablement cela qui a intéressé Téchiné : dépeindre un personnage arriviste, charmant et manipulateur, tout en  laissant planer le doute sur sa culpabilité. Le problème, c’est que, malgré tout le respect que l’on peut avoir pour la performance de Guillaume Canet, le personnage qu’il incarne n’est pas à la hauteur du vrai Maurice Agnelet, dont les média ont récemment raconté l’histoire en long, en large et en travers. Difficile de se passionner pour un récit dont on connaît déjà tous les éléments, jusqu’au dénouement.

Passons maintenant à l’expérimental : Adieu au langage, le nouveau film de Jean-Luc Godard.
Difficile de raconter l’intrigue puisqu’il n’y en a pas. A la limite, on peut trouver un fil conducteur autour d’un couple, symbolisant peut-être la Pensée et le Langage, qui philosophe sur le sens de la vie, la mémoire, la disparition progressive du langage, et d’un chien qui pourrait être leur enfant.
Difficile également de savoir si Godard est sérieux ou s’il se moque de nous. Peut-être un peu des deux… Le film agace par certains côtés (notamment une blague scatophile sur la pensée moderne, assimilée à de la merde), fascine par d’autres (des plans composés comme des tableaux), et offre une balade ludique au coeur des mots et des images.
Globalement, le résultat est assez fascinant, même si le cinéaste suisse s’enferme dans un propos complètement hermétique au commun des mortels. Le film mérite d’être vu ne serait-ce que pour ce que le cinéaste arrive à faire avec la 3D, ce gadget qu’il juge inutile, mais qu’il parvient à utiliser de façon totalement inédite.
Pour l’heure, il s’agit sans conteste du film-OVNI du festival. Reste à voir si le jury aura l’audace de le faire figurer au palmarès….

Autre film expérimental, mais plus accessible que le rébus godardien : Snow in Paradise, présenté dans le cadre de la section “Un Certain Regard”.
Ce premier film, signé par Andrew Hulme, un jeune cinéaste britannique, est un candidat sérieux pour la course à la caméra d’or. Il s’agit d’une sorte de trip cauchemardesque, adoptant le point de vue d’un jeune voyou, l’esprit embrumé par la came qu’il consomme en grande quantité et l’âme rongée par la culpabilité, après avoir mouillé malgré lui un ami dans une sale affaire de trafic de drogue…
Le film commence par un thriller conventionnel avant de virer au bizarre. La mise en scène provoque un effet réellement hypnotique, au point de faire tomber les spectateurs dans un état catatonique. Notre voisin de rangée s’est écroulé net pendant la projection, vaincu par le sommeil. Et nous-mêmes avons lutté longtemps avant de sombrer dans les bras de Morphée. ne captant que des bribes d’un film déjà compliqué… L’horaire de projection n’était sans doute pas le plus adapté pour une fin de festival où la fatigue se fait sentir. Nous retournerons le voir dans de meilleures conditions, car ce que nous en avons vu laisse entrevoir un talent de mise en scène singulier.

Bon, nous avons quand même “échappé” à Fantasia du chinois Wang Chao, pas spécialement connu pour faire ses films joyeux et dynamiques, et à Maïdan de Sergueï Loznitsa, habitué lui aussi à des oeuvres plutôt sombres et contemplatives. Mais nous aurions sans doute mieux fait, dans notre état de fatigue physique et mentale, d’aller voir des films plus légers. A la Quinzaine des Réalisateurs par exemple, où étaient présentés P’tit Quinquin de Bruno Dumont, décrit comme un “polar ch’ti burlesque et social, hilarant” – ça donne envie – et surtout Le Conte de la Princesse Kaguya d’Isao Takahata, film d’animation “splendide, poétique et bouleversant” dont tout le monde s’accorde à chanter les louanges.

Bon, on ne va pas se plaindre non plus, hein… Pour le moment, le festival propose des films de bonne tenue, à l’exception du ratage que constitue  The Search. Et nous avons quand même vu un film vraiment enthousiasmant en séance de presse : Mommy, le nouveau Xavier Dolan, mais on en parlera plus longuement demain…
(Une pensée au passage pour notre “Docteur Cinéma”, Marion, inconditionnelle du cinéaste québécois, Tabernacle…)