[Festival de Cannes 2014] Jour 7 : un bon “coup de fouet”

Ah! La belle journée de projections au festival de Cannes! Bonne pioche sur toute la ligne pour nos choix des séances du jour, avec des films formidables, émouvants, drôles, surprenants, esthétiquement superbes. Du Cinéma avec un grand “C”.

Deux jours une nuit - 5

En compétition, d’abord, avec le nouveau film des frères Dardenne, Deux jours, une nuit, magnifique “thriller social” où une jeune femme tente de convaincre ses collègues d’abandonner leur prime annuelle pour qu’elle puisse garder son travail. Une oeuvre forte, qui montre toute l’horreur d’un système qui prend en otages les plus faibles, qui pousse les individus, par instinct de survie, à défendre leurs intérêts individuels plutôt que de rester soudés. On aime beaucoup (Lire notre critique). Et apparemment, les autres festivaliers aussi, si l’on en croit les applaudissements nourris qu’a reçu le film. Une troisième palme d’or en vue pour les Dardenne?

Still the water - 2

Puis avec le très beau Still the water de Naomi Kawase. Si nous n’avons pas toujours défendu la cinéaste nippone dans nos colonnes, c’est parce que nous restions hermétiques à son cinéma, certes sensuel et visuellement sublime, mais trop froid et porté sur des légendes japonaises trop absconses pour le public européen.
Cette fois-ci, si elle parle toujours de rites ancestraux et de coutumes locales – celles d’une petite île de l’archipel japonais – elle traite de sujets universels – la maladie, la mort, le deuil, les relations familiales, l’amour – et humanise fortement son cinéma, en suivant de très près ses personnages principaux.
Nous avons été subjugués par la beauté de certaines scènes et l’esthétique globale de l’oeuvre, bouleversés par le sujet du film, et enchantés de voir cette cinéaste franchir enfin un cap pour signer son film le plus abouti et le plus accessible au grand public. Beaucoup, dans les couloirs du Palais, lui prédisent déjà un prix important au palmarès. A voir…

Gui Lai - 2

Hors compétition, toujours du beau et de l’émouvant avec Gui lai de Zhang Yimou.
L’histoire d’un homme, ancien activiste politique, qui retourne chez lui après des années passées dans les geôles chinoises et retrouve sa femme, qui l’a patiemment attendue pendant tout ce temps. Seulement voilà, elle ne le reconnaît pas. Son visage lui rappelle vaguement quelqu’un, mais elle refuse qu’il l’approche ou la touche. Les médecins lui expliquent que le traumatisme lié à son arrestation, a provoqué ces troubles psychiques et mémoriels. L’ancien prisonnier politique, aidé de sa fille, va devoir redoubler d’ingéniosité pour essayer de raviver la mémoire de sa dulcinée ou, à défaut, de trouver des stratagèmes pour passer du temps avec elle.
L’intrigue, qui évoque un peu celle de N’oublie jamais de Nick Cassavetes, est prétexte  à un message subtilement politique sur la société chinoise et la nécessité de la mémoire des évènements historiques, lui permet de composer des plans sublimes, éclairés à la perfection, et de donner un beau rôle à Gong Li,son actrice-fétiche.
Objectivement, ce n’est pas le film le plus marquant de la carrière de Zhang Yimou, mais on est heureux de le voir revenir à un cinéma plus intimiste et à davantage de simplicité.

A “Un Certain Regard”, Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado ont apparemment enthousiasmé les festivaliers avec Le Sel de la Terre. Certains parlaient même du “plus beau film du festival 2014”, “une oeuvre Humaniste, engagée, essentielle”.
Arghh (trépassement façon Marion Cotillard) Nous avons raté cela… On espère pouvoir le récupérer avant la fin de la quinzaine…

Lost river - 3

En revanche, nous avons pu voir Lost River, le premier long-métrage de Ryan Gosling en tant que cinéaste. Ce fût compliqué, car les deux projections, au théâtre Debussy, ont presque provoqué des émeutes, le beau Ryan attirant des cohortes de jeunes femmes hystériques, prêtes à tout pour le voir en chair et en cure-dent.
Finalement, nous sommes rentrés in extremis, pile avant la fermeture des portes de la salle, sous le regard noir de dizaines de fans frustrées. Bon, il y avait quand même le quota de dindes au bord de la crise de nerfs dans la salle. Certaines étaient tellement incontrôlables qu’elles auraient pu se jeter du balcon.
Le film a dû les calmer un peu. Il s’agit d’une oeuvre étrange, qui parle des banlieues sinistrées par la crise des prêts hypothécaires. Certains habitants essaient de rester chez eux, vaille que vaille, malgré le chômage, les rues désertées, les maisons abandonnées en proie aux pillages, les pressions des banquiers véreux, les offres de job dégradants.
Un sujet qui aurait pu inspirer Ken Loach, les frères Dardenne ou Michael Moore. Mais les “cinéastes de chevet” de Ryan Gosling sont tout autres. Il s’agit de Nicolas Winding Refn, David Lynch, Alejandro Jodorowsky… Alors, forcément, ce drame social se mue en fable fantastique cauchemardesque, truffée d’images étranges, de lieux inquiétants et de personnages fous.
Certains diront que c’est du sous-Winding Refn, du sous-Lynch,… Peut-être n’ont-ils pas tout à fait tort, mais il faut bien se rappeler que ce n’est qu’un premier film. Gosling, avant de trouver son style propre, copie beaucoup sur ses illustres modèles, mais déjà, il a du goût, et ensuite, on peut saluer son goût du défi, car démarrer sur un film aussi ambitieux était forcément une entreprise périlleuse. Le problème, c’est qu’il en fait trop. La forme finit par étouffer le fond. Le déluge d’images fortes et de visions cauchemardesque, d’abord impressionnant, finit par lasser et empêche d’éprouver de l’empathie pour les personnages. Mais, répétons-le, pour ses débuts dans la mise en scène, Gosling laisse entrevoir de belles promesses.

Queen and country - 3

A la Quinzaine des Réalisateurs, un grand cinéaste britannique a honoré le théâtre Croisette de sa présence. John Boorman est venu présenter Queen & country, une oeuvre d’inspiration autobiographique. Le cinéaste se penche sur ses amours de jeunesse et ses années de service militaire, à l’époque de la guerre de Corée. Cela aurait donc pu donner un drame poignant sur les horreurs de la guerre, mais le film est au contraire léger, drôle et gentiment nostalgique. Boorman raconte comment son alter-ego, Bill Rohan, a occupé son service militaire à tenter d’échapper au départ pour le Pacifique, et à faire tourner en bourrique ses officiers supérieurs, de véritables tyrans. Il raconte aussi son histoire d’amour mouvementée avec une femme issue d’une autre classe sociale. Joliment mis en scène, joué par des acteurs britanniques excellents (Callum Turner, Caleb Landry Jones, David Thewlis) et une bombe a(na)tomique, Tamsin Egerton, pour la touche de glamour, Queen & country est un film tout à fait charmant, qui s’inscrit dans le prolongement de Hope & Glory, en attendant, peut-être un troisième volet autobiographique.

whiplash - 2

Mais la projection la plus chaude du jour, celle où il y a eu le plus grand tonnerre d’applaudissement, fut sans conteste celle de Whiplash, le film de Damien Chazelle, présenté dans le cadre de la Quinzaine.
Normal. Le film est calibré pour communiquer une énergie folle. Il s’agit d’une success-story comme aime à en produire le cinéma indépendant américain, et comme aime en recevoir le public du Palais Croisette(Billy Elliott, Benda Billili, Control…)
On y suit les efforts d’Andrew (Miles Teller), un gamin timide et solitaire, pour devenir batteur de jazz professionnel. Au sein d’une prestigieuse école de musique, il est repéré par Terence Fletcher (J.K. Simmons) un des meilleurs professeurs du pays et pense que son avenir est alors tout tracé. Mais l’affaire se complique quand le jeune homme découvre les méthodes du professeur… assez extrêmes…
La meilleure idée du film, c’est d’avoir confié les rôles principaux à Miles Teller et J.K. Simmons. Le premier évolue dans le même registre que dans The Spectacular now. Le second campe un des personnages les plus barrés que l’on ait vu depuis longtemps. Un mix entre le tyrannique sergent-instructeur Hartman de Full metal jacket, pour le côté autoritaire, et le Dr Cox de la série “Scrubs”, pour le langage ordurier et les piques dévastatrices balancées aux élèves.
Amateurs de politiquement correct, vous pouvez passer votre chemin, Fletcher est un type odieux et cruel qui n’a aucun tabou. Les obèses, les Noirs, les Juifs, les handicapés, tout passe à sa moulinette à injures et invectives. Tant pis pour les faibles et les âmes sensibles. Il n’est pas là pour plaire mais pour recruter le futur Charlie Parker. Tout musicien n’ayant pas le niveau exigé est irrémédiablement humilié publiquement avant d’être mis dehors sans ménagement.
Le film propose une belle réflexion sur les exigences du haut niveau et les sacrifices qu’il faut faire pour atteindre l’excellence, sur l’enseignement et les limites morales à ne pas franchir. C’est aussi un parcours initiatique qui s’achève par un morceau de bravoure jubilatoire – la victoire du faible sur le fort, et sur lui-même.
Cela a donné un bon coup de fouet aux spectateurs, qui, pleins d’énergie, ont offert au jeune réalisateur la plus longue standing-ovation de ce festival.

Cannes-Poster-2014