“Bird People” de Pascale Ferran

Par Boustoune

Il est des films dont il est difficile de parler, car leurs concepts-mêmes reposent sur des effets de surprise qu’il serait criminel de dévoiler. C’est le cas de Bird people, le nouveau film de Pascale Ferran, architecturé autour de deux ou trois idées fortes de mise en scène, surprenantes et audacieuses.

Disons qu’il s’agit d’une oeuvre constituée de deux chapitres, ayant pour décor commun un hôtel proche d’un aéroport où se croisent de nombreuses personnes de passage. Ou plutôt, où se frôlent les solitudes, sans se voir…

Les “Bird people” du titre peuvent être assimilés à des personnes qui passent la moitié de leur vie dans les airs ou en transit. Les pilotes, les stewards, les hôtesses de l’air ou les hommes d’affaires appelés à voyager régulièrement d’un pays à l’autre. Comme Gary Newman (Josh Charles), l’informaticien autour duquel est axée la première moitié du film. L’homme montre clairement des signes de lassitude. Il n’en peut plus de vivre dans les hôtels, constamment en décalage horaire. Ni de se démener pour des client qui lui mettent la pression. Et il ne semble pas non plus très enthousiaste à l’idée de retourner chez lui, où l’attend une épouse avec qui il ne partage plus grand chose (Radha Mitchell). Dans sa chambre d’hôtel, l’espace de quelques heures, il réfléchit à ce qu’il compte faire de sa vie. Revenir à la terre ferme, pour de bon. Ou prendre son envol pour un ailleurs encore inconnu…

Le terme “Bird people” peut aussi convenir à Audrey (Anaïs Demoustier). Elle ne passe pourtant pas sa vie dans les avions. Au contraire. Elle est enfermée dans une routine professionnelle très terre-à-terre puisqu’elle officie comme femme de chambre dans cet hôtel. Salaire au ras-des-pâquerettes, niveau zéro de l’ascenseur social… Elle aimerait beaucoup faire décoller sa vie, mais reste clouée au sol par manque de diplômes et manque d’estime de soi.
Elle est semblable à un oisillon encore craintif, hésitant à prendre son envol et voler de ses propres ailes. Elle aussi va avoir l’occasion, le temps d’une nuit, de réfléchir à son avenir et à ce que signifie prendre sa liberté.

Bird People, c’est la rencontre de ces deux personnages à la croisée des chemins, ayant un besoin impérieux de changer de vie, prêts à se laisser happer par le vide pour mieux renaître et démarrer une nouvelle existence.Peut-être ensemble, peut-être pas… Ce n’est pas cela qui est important, mais la prise de conscience des contraintes qui pèsent sur eux et le besoin soudain de se libérer de ces entraves.
C’est aussi la collision entre deux univers. Le premier, réaliste et brutal, baigné dans une profonde mélancolie. Et le second, plus onirique, qui prend la forme d’une fable fantastique “aérienne”, légère comme une plume de moineau.

Certains seront peut-être déstabilisés par le concept du film, son mélange de genres,  ses ruptures de ton surprenantes ou son rythme assez lent, la caméra prenant le temps de musarder. Mais il s’agit assurément d’un très beau film qui aborde des sujets assez universels comme la notion de liberté, la pesanteur de l’existence, l’usure du quotidien, le besoin d’affirmer son indépendance et celui de se fondre dans la masse, la solitude des êtres dans des lieux déshumanisés… C’est également une jolie expérience narrative, qui a le mérite de bousculer les conventions et de proposer des choses atypiques. On n’en attendait pas moins de Pascale Ferran, cinéaste rare, mais qui, à chaque fois, s’essaie à de nouvelles formes cinématographiques (fiction, documentaire, improvisation,…) et de nouveaux styles.

On peut regretter que les sélectionneurs du Festival de Cannes aient finalement décidé de ne pas retenir ce film en compétition officielle, à laquelle il semblait promis, pour le reléguer dans la section “Un Certain Regard”, un peu moins exposée. Ambitieux, profond, intelligent, poétique et pourtant ancré dans le réel, Bird People méritait pourtant sa place parmi les concurrents à la Palme d’Or. Bien plus que The Search, par exemple…
On espère toutefois que ce film fragile saura trouver son public en salle et emmener les spectateurs sur un petit nuage le temps de la projection.

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Bird People
Bird People

Réalisatrice : Pascale Ferran
Avec : Anaïs Demoustier, Josh Charles, Roschdy Zem, Camélia Jordana, Taklyt Vongdara, Radha Mitchell
Origine : France
Genre : drame terre-à-terre et fable aérienne
Durée : 2h08
Date de sortie France : 04/06/2014
Note pour ce film :
Contrepoint critique : L’Humanité

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