"Le docteur Will Caster, avec l’aide de sa femme Evelyn, s’apprête à faire une "transcendance", c’est-à-dire implanter une intelligence artificielle quasiment humaine à l’intérieur d’un système informatique afin de le rendre plus accessible et pour faciliter la recherche et le développement. Mais lors d’un attentat contre lui, il meurt d’une balle dans la poitrine. Folle de rage et envieuse de retrouver ne serait-ce que l’esprit de son mari défunt, Evelyn Caster décide de "transcender" Will à l’intérieur du réseau mondial…"
Transcendance, ou l’art de ne rien transcender. Face à une production qui ajoute des directives à tout bout de champ, aux enjeux et sous-thèmes déjà vus des milliers de fois, mais à peine développés malgré un pitch en or, à un montage raté, à une mise en scène aux abonnés absents et aux acteurs en roue libre, Wally Pfister nous sort un bordel métaphysique qu’il ne contrôle que par une jolie photo. En clair, il ne contrôle quasiment rien.
Transcendance était, au regard des premières images et des premières affiches sorties, le blockbuster idyllique de cet été: de l’intelligence, du cadrage millimétré, une superbe photo – en même temps, quand le chef opérateur de Christopher Nolan se met à la réalisation, on espère que la photographie restera très bonne; et un casting solide. Mais Transcendance, paradoxalement, ne transcende jamais. Explications.
Tout d’abord, les grandes lignes du scénario de Transcendance coulent de source et restent faciles à comprendre: un homme, qui cherche à créer une entité intelligente reliée à toutes les connexions Internet du monde, se retrouve assassiné lors d’un attentat contre lui. Sa femme décide alors de programmer l’esprit de son mari défunt à l’intérieur du réseau mondial afin qu’il accède à toutes les données du monde et ainsi permettre le renforcement de l’homme et de la nature par le biais de réparations minutieuses. Bien sûr les choses ne vont pas se passer comme prévu… Tout cela, c’est bien, mais c’est exceptionnellement lent. En effet, Wally Pfister ne prend pas beaucoup de temps à présenter les personnages, avec une exposition express de tous les personnages sans s’enfoncer dans le détail; mais il reste très laborieux dans sa construction de l’intrigue: il met 1h15 sur deux heures avant de montrer les progrès d’Internet après transcendance de l’esprit de Will Caster! De plus le thème du deuil dans le couple reste très en deçà dans son exploitation, une sorte de Her mal fagoté, bourré de pleurnichements insupportables en début de film, et rajouté à la va-vite dans l’histoire, car pas creusé. Les aspects psychologiques des personnages sont bafoués, notamment concernant le personnage interprété par Rebecca Hall qui passe d’amour à haine envers le système qu’elle a conçu sans que l’on ne comprenne vraiment pourquoi, la faute à des coupes drastiques dans certaines scènes et une ellipse monstrueuse de deux ans entre les deux parties du film. Serait-ce un coup volontaire, ou une imposition de la production?
Aussi faudrait-il dire que Wally Pfister préfère traiter directement le problème de la génération Internet, sans second degré (imaginez donc la finesse du truc) qui donnerait un pouvoir beaucoup trop important à quiconque contrôlerait le réseau du monde entier. En le traitant, il élabore également le problème de la conscience de soi, sous forme Dickienne – je pense donc je suis, mais que suis-je vraiment?; mais sans sa subtilité et sans développer; et une morale écolo plus fine, mais qui fait un peu tache dans le tableau, car surcharge un ensemble déjà trop gros. Bref, après avoir pu vous montrer tous les thèmes abordés dans le film, vous pouvez imaginez le bazar métaphysique présent dans le film, où chaque idée n’est quasiment pas creusée, ou alors une directive va en chercher une autre qui restera elle aussi au stade premier, car pas développé. Mais ce n’est pas fini. Le film bascule même vers l’anarchie dans sa deuxième moitié puisque, toujours sans second degré et avec la finesse d’un tank, Pfister parle d’une robotisation des individus alliés à une même cause par le biais d’un contrôle de leur esprit. Tout cela est bien joli, mais Pfister nous ressort les vieux clichés fascistoïdes propagandistes de la guerre froide, montrant que la classe la plus élevée socialement et intellectuellement prend conscience d’un renversement de la situation qu’il faut supprimer (les terroristes du film ou Rebecca Hall elle-même), et ce renversement serait produit par un prolétariat relié par une cause unique et des liens par similitude qui souhaitent dissoudre ceux qui ne sont pas d’accord avec leur idéologie (les hommes rattachés à la cause de Johnny Depp). Cette idéologie peut être complétée par sa propagation, imagée par les fibres qui sortent du sol et qui se répandent partout sur la terre… Si Pfister n’était pas rentré dans le thème du défi humain face à la machine -pourtant brillamment utilisé dans des films tels que 2001 ou A.I; il aurait sans doute pu éviter de nous ressortir ce vieux moyen de propagande anti-marxiste qui n’a pas lieu d’être quand on parle des progrès technologiques futurs… ou bien il aurait pu en parler de manière différente…
Du point de vue technique, Wally Pfister possède les mêmes outils que lors de ses précédents films avec Christopher Nolan, et en ressort quasiment les mêmes artifices. Oppositions philosophiques nature/culture, montrant que l’homme peut développer les technologies, mais ne peut pas jouer sur la nature, images marquantes, oppositions des contrastes prouvant qu’au travail (représenté par une palette de couleurs blanches ou grisonnantes, marquant l’impersonnalité du bureau) comme au domicile (illustré par une palette de couleurs plus chaudes, qui permet de présenter une certaine chaleur paradoxale à un Depp coincé dans un système informatique), Internet est toujours au plus proche de nous. La photographie reste finalement basique puisqu’elle joue sur les lieux communs du thème (bâtiments insalubres pour les terroristes/bâtiments propres pour les méchants) sans jamais apporter une quelconque nouveauté ou y ajouter un brin de folie qui augmenterait le rythme du film, qui est sans cesse proche du zéro. C’est beau, c’est propre, mais on a déjà vu plus inspiré dans ce domaine… Le montage du film, comme indiqué plus haut, est vraisemblablement mauvais puisqu’il saute des points essentiels sur les changements d’états d’âme des personnages, nous perdant donc totalement dans leurs objectifs anciens, et ceux nouveaux. Il y a, de plus, quasiment aucune scène d’action alors qu’elles auraient été bienvenues pour montrer les améliorations physiques des hommes contrôlés par Johnny Depp, par rapport à ceux qui croient que l’homme est bien lorsqu’il n’est pas connecté au réseau!
La mise en scène est en totale pilote automatique puisqu’elle laisse chacun des acteurs jouer en roue libre, présentant chacun leurs tics habituels. Seul Johnny Depp s’en sort une fois intégré aux systèmes informatiques puisqu’il garde une froideur totalement en adéquation avec Internet, qui n’a pas de vie. Il en est de même pour Clifton Collins Jr. qui maitrise son rôle et qui reste le personnage le plus attachant. Rebecca Hall, tout comme Paul Bettany, est exécrable, elle est bourrée d’automatismes qui ne provoquent aucune empathie dans les scènes plus "douloureuses" du film. Kate Mara fait du Kate Mara de House of Cards, sûre de ce qu’elle veut et prête à pactiser avec l’ennemi afin de mieux le détruire. Morgan Freeman et Cillian Murphy, qui nous rejouent les Batman avec la conviction d’un marathonien qui veut être tétraplégique, représentent à eux seuls l’arnaque du film qui veut nous faire croire que c’est du Nolan, alors que ce ne sont que des bribes de lui assemblées sans valeur ni amour. En clair, Transcendance est un énorme pétard mouillé, qui n’a que d’alléchant ses affiches et ses images de film et qui mériterait de rester au placard du film à ne pas voir jusqu’à la fin des temps.