L’été c’est : le soleil (quoique cette année c’est pas ça), la plage (ou la montagne), le dépaysement (ou pas), bref les vacances quoi. Et qui dit vacances dit public libre. Qui dit public dit films qui sont censés rapportés de l’argent. Et au milieu des Transformers, Planète des Singes et autres Gardiens de la Galaxie (films qui font pâle figure à côté de Jupiter Ascending dont on regrette énormément le report), sort un ovni de 2h45, retraçant sur 12 ans l’évolution d’un enfant jusqu’à l’âge adulte. Pour autant, est-ce un film que l’on pourrait conseiller à un large public qui aurait comme première idée d’aller voir un blockbuster?
Petit rappel des faits pour ceux qui (comme moi avant de le voir) n’aurait jamais entendu parler de Boyhood (ce qui serait étrange vu comment on m’a traité comme un alien quand je l’ai annoncé). Boyhood raconte l’histoire d’un jeune garçon, de ses 6 ans à ses 18 ans, autour duquel gravite sa sœur, sa mère, son père et pas mal d’autres personnages. Petite précision, le film a été tourné sur 12 ans, les acteurs enfants (et adultes) sont donc les mêmes au début qu’à la fin du film. Partant de ce principe de tournage, proche du documentaire, le réalisateur, Richard Linklater, s’exposait à beaucoup de risques. Et s’il était mort pendant le tournage? Ou un de ses acteurs? Ou qu’un clash faisait partir un acteur de la production ? Ou que la production faisait faillite ou décidait d’arrêter le projet? Mais non, Linklater a tenu bon et on peut lui témoigner du respect pour cela.
Pour autant, ce n’est pas parce qu’un film repose sur un pari technique, artistique ou un développement qui une fois arrivée à son terme relève du simple miracle qu’on peut dire qu’il s’agit d’une pièce maitresse du cinéma. Certains films tirent profit de cela, tel Apocalypse Now dans lequel on ressent l’ambiance du tournage chaotique ou Gravity fonctionnant quasi uniquement sur la sensation d’immersion proposée, d’autres (World War Z, Under the Skin) se loupent totalement. Et autant vous le dire, sur de nombreux points, Boyhood est raté.
Prenons l’aspect visuel pour commencer. C’est terriblement plat. Linklater n’a pas réussi à faire évoluer son style du début à la fin du tournage. À l’heure de la 3D et de l’Imax, et que l’Atmos et le HFR se développent, Linklater a gardé un style qui renvoie le spectateur au début des années 2000, et pas dans le bon sens du terme. Sans lui demander de faire du Michael Bay non plus, ressentir visuellement l’évolution des personnages, autrement que par le vieillissement des acteurs, aurait été un coup de génie. Là on a juste l’impression qu’avant le début de ses 12 ans de tournage, Linklater a tout story-boardé, acheté des caméras et a tout ressorti à chaque phase de tournage, sans rien revoir par la suite. La narration est également d’une linéarité hors-norme. On se contente de suivre l’évolution des personnages et de leur vie respective, point. Pas de flash-back, pas de flash-forwards, seulement une linéarité plate et sans chute telle la projection devant soit d’une vie qui n’est pas la notre et dont on pourrait ne pas s’en soucier. De plus, les personnages se contentent malheureusement de vivre au jour le jour et de profiter de leurs journées. Ils ne réfléchissent pas sur des actes passés ou ne se projettent pas dans le futur. Choses pourtant essentielles et quotidiennes dans une vie, même dans son adolescence.
Vous l’aurez compris, Boyhood ne rassemblera pas et ne fera pas l’unanimité. Là où beaucoup de films arrivent à être fédérateurs, car bien écrit et/ou réalisé, Boyhood ne l’est pas. Le scénario de Boyhood est très candide dans un sens, et parfois surréaliste. Des situations qui se répètent (notamment dans le foyer familial), un père qui parle de politique et du 9/11 à ses enfants de 7 et 9 ans, le personnage de la sœur qui se voit utilisé comme élément d’opposition au frère dans sa jeunesse puis complètement effacé dès l’adolescence (alors qu’elle est presque plus intéressante que son frère), un jeune qui rentre chez lui en ayant fumé et alcoolisé, mais qui en rit avec sa mère (si ça arrive à quelqu’un appelez moi), la liste est longue de tous les défauts de Boyhood (son manichéisme et ses trois bons quarts d’heure de trop aussi, ne les oublions pas), mais au fond ce n’est pas ça qui importe.
Boyhood souhaite retracer 12 ans d’une vie, et en sortant de la salle, j’ai eu l’impression d’y avoir passé 12 ans. Pas seulement parce que le film est parfois (souvent) long, mais parce que l’on a l’impression de vieillir, murir et de vivre avec les personnages (contrairement à certains films signés Abdellatif Kechiche). Le film trace un beau portrait de vie, certes parfois manichéen, mais tellement riche et rempli que l’on se reconnaîtra forcément dedans et que l’on sera sûrement touché, plus ou moins fort. C’est ça qui vous fera aimer Boyhood, votre niveau d’identification aux personnages et si vous serez touché par cette histoire.
Mais au-delà de ça, Boyhood est également un beau portrait des États-Unis. En se plaçant au Texas, Linklater aurait pu nous faire un modèle de patriotisme mal placé (coucou Michael Bay), mais il choisit de se concentrer sur la vie de ses personnages, tout en faisant ressortir de beaux moments liés à son pays. L’adolescence des personnages qui ressemble à celle des personnages de Friday Night Lights, les discussions sur Obama, le 9/11 (chose qui nous a tous touchés, quelque soit notre empathie pour les USA) et même ce moment ou les grands-parents adoptifs (ou beaux grands-parents je ne saurai bien nommer ce lien de parenté), offrent une Bible et un fusil à Mason, le héros de l’histoire. Linklater aurait pu verser dans tous les clichés, mais non, il montre juste l’importance de ces symboles dans son pays, et surtout que ce geste est surtout un acte de transmission plutôt que d’amour pour les armes. Et si vous me connaissez ou me lisez un petit peu, vous savez que ça me tient très à cœur que Linklater ait brossé aussi finement et sans clichés ou patriotisme un portrait de son pays.
Boyhood est donc un film à recommander à tous (sauf à ceux qui détestent les films longs et/ou d’auteurs parce que 2h45 quand même), parce que le film à la possibilité de tous nous toucher, nous faire nous reconnaître dans ces personnages, malgré ses défauts. Essayez donc Boyhood, parce que c’est une grande et belle histoire de vie, que l’on a l’impression de vivre. Et parce que qui sait, peut-être que Linklater fera Manhood derrière, vu qu’il s’est arrêté au meilleur moment.