Changement de registre pour Denis Villeneuve et Jake Gyllenhaal qui passent du pur thriller au drame psychologique oppressant aux limites du fantastiques avec Enemy. Étrange, déroutant, fascinant.
Finie l’ombre de Prisoners, cette fois, Enemy se déroule dans une étrange clarté, dans une ville jamais nommée qui semble brûlée en permanence par un soleil matinal de mauvais augure. Le réalisateur instaure d’emblée une ambiance oppressante avec un réel travail sur l’image qui n’est pas là pour faire plaisir aux yeux, et sur le son qui nous plonge dans une véritable atmosphère d’étrangeté, comme si tout ce qui allait se passer se déroulait dans un mauvais rêve duquel on ne va demander qu’à se réveiller. Il en ressort une étrange impression de boucle dans laquelle on se laisse aspirer si l’on veut bien faire la démarche d’entrer dans le film.
En effet, le réalisateur ne va pas s’encombrer de beaucoup d’explications sur la présence de ces étranges araignées que personne ne voit ou sur cette ressemblance entre les deux hommes. A la manière d’un David Lynch, il va bien privilégier l’ambiance et le malaise de ses personnages, préférant laisser le spectateur plonger dans la boucle et répondre lui-même aux interrogations posées par le film qui prend son temps pour nous emmener dans son terrain inconnu, cette ville déserte en plein été suffocant et aux bruits sourds.
Est-ce qu’il s’agit d’un cauchemar ? de la mise en image du malaise d’un homme frustré ? d’une véritable incursion du fantastique dans le monde réel ? sans doute un peu de tout cela et certaines images hypnotique risquent bien de nous décontenancer. Et plus le film avance, plus il se montre impitoyable envers ses personnages en nous interrogeant sur leurs action et leur avenir.
Il faut évidemment saluer la double prestation de Jake Gyllenhaal qui, derrière ces deux rôles opposés assez simples (un homme mal dans sa peau, un acteur plus éloquent et charismatique), nous montre bien l’unité qui les rassemble, et nous transmet une certaine paranoïa, une incompréhension de ce qu’il peut se passer. Si bien qu’à ses côtés, Mélanie Laurent et Sarah Gadon ne font que de la figuration, ne sont que des femmes remettant en lumière son malaise.
Avec Enemy, Denis Villeneuve fait donc dans l’exercice de style étrange et obsédant qui pose bien des questions. L’objet n’est pas à mettre dans toutes les mains mais il n’en est pas poins riche et étonnant, recelant son petit lot d’images choc qui restent en mémoire et peuvent nous hanter en revenant en tête à certains moments. A découvrir.