Il n’y a pas à dire, à Venise, on sait comment lancer en beauté un festival de cinéma.
L’an passé, alors que Cannes s’ouvrait sur l’indigeste Gatsby de Baz Luhrman, la Mostra nous envoyait en apesanteur avec Gravity. Et cette année, alors que la Croisette a déroulé le tapis rouge aux ennuyeuses péripéties de la vie de Grace de Monaco, le Lido accueille le formidable Birdman d’Alejandro Gonzalez Iñàrritu.
Avec une narration composée d’une succession de longs plans-séquences donnant l’impression d’un seul et même mouvement, le cinéaste mexicain nous entraîne dans les coulisses d’un théâtre de Broadway, où un acteur un peu has been, connu surtout pour avoir incarné un super-héros au cinéma – le fameux Birdman – tente de monter une pièce autrement plus ambitieuse et se retrouve en proie à des questions existentielles sur la célébrité, le talent, la postérité et ce qui fait le succès d’une oeuvre scénique. La mise en scène est brillante, les performances d’acteur sont toutes aussi épatantes les unes que les autres et le film est un beau morceau de cinéma, drôle, émouvant et virtuose. une magnifique entrée en matière qui donne, on l’espère, le ton de ce 71ème festival de Venise.
(lire notre critique)
Notre note : ●●●●●●
Autre ouverture, celle de la section Orizzonti, avec The President, le nouveau film de Mohsen Makhmalbaf.
Le cinéaste iranien nous entraîne dans un pays inconnu, à une époque indéterminée, et nous conte une fable sur la chute d’une dictature. Evidemment, on se doute qu’il évoque la révolution iranienne et la fuite du Shah, mais puisqu’il a tourné en Géorgie, pays au contexte politique troublé, on devine que la fable pourrait aussi bien s’appliquer à d’autres pays en proie à des dictatures et des révolutions.
Le Président évoqué dans le titre n’est pas un démocrate. C’est une sorte de monarque qui règne sur son pays depuis sa tour d’ivoire, inconscient des besoins de son peuple, et qui entend passer les dernières années de son règne à préparer son petit-fils, un garçonnet de six ans, a prendre sa succession.
A cet âge, le gamin rêve plus de déguster des glaces et de jouer avec son amie, Maria, que de prendre les rênes du pays, mais il est fasciné quand son grand-père lui montre comment faire éteindre toutes les lumières de la ville sur un simple appel. Le hic, c’est que, ce soir là, personne n’obéit quand le président ordonne de les rallumer. Les seuls éclats lumineux sont ceux des bombes et du feu des mitrailleuses. Une révolution éclate, poussant la famille au pouvoir à quitter le pays. Seuls restent le président et son petit-fils, décidés à rejoindre le centre de la capitale. Mais très vite, ils se retrouvent confrontés aux émeutiers, ainsi qu’à la trahison de plusieurs hommes-clé de l’armée et de la police, passés dans le camp des rebelles. Isolés, traqués, le vieux despote et le gamin sont obligés de fuir à travers le pays et de se faire passer pour des gens simples. Au contact du “petit peuple”, le président réalise qu’il n’a pas été à la hauteur des attentes de ses concitoyens, et qu’il a abusé de son pouvoir.
Mais le voyage permet aussi et surtout de montrer que les révolutionnaires qui s’emparent du pouvoir ne valent pas mieux que le tyran déchu. En cours de route, le grand-père et son petit-fils croisent des soldats qui dépouillent les pauvres gens pour participer à l’effort révolutionnaire, violent des femmes et tuent tous les représentants de l’ancien régime. Et ils n’hésitent pas à proposer une récompense indécente pour la tête de l’ex-président, alors que le pays entier meurt de faim.
Ce genre de situation, il y en a après chaque renversement de régime, chaque coup d’état, chaque révolution. C’est hélas dans la nature humaine de détourner une action collective, aussi noble soit-elle, pour un profit personnel, et de répondre à la violence par la violence, entraînant les camps opposés dans un cercle vicieux où chacun cherche à se venger des outrages qui lui ont été faits en commettant des actes aussi barbares, sinon plus… Les récentes révolutions dans le monde Arabe ou dans les Pays de l’Est l’ont encore démontré.
Après, on peut trouver que le cinéaste iranien enfonce des portes ouvertes avec un récit aussi balisé et prévisible. Mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une fable confrontant le regard d’un enfant de six ans, innocent et pur, à l’horreur de la guerre civile. Le film peut donc sembler un brin naïf, mais il fonctionne relativement bien, porté par l’interprétation de Misha Gomiashvili et Dachi Orvelachvili. On lui reprochera juste d’être trop long de vingt ou trente minutes, les péripéties s’enchaînant selon le même principe, sans surprises, et d’être un peu trop classique.
Notre note : ●●●●○○
Côté Venice Days, c’est Kim Ki-duk, un habitué de la Mostra, qui a lancé la programmation avec One on One, un film qui explore à eu près la même thématique que Mohsen Makhmalbaf, mais de façon un peu plus âpre et radicale, et avec une trame complètement différente.
Le film démarre avec l’assassinat brutal d’une adolescente par un groupe de jeunes hommes. Quelques semaines plus tard, un commando, dirigé par un leader mystérieux et ambigu (Ma Dong-seok) traque un à un les meurtriers, les kidnappe en se faisant passer pour des miliciens anti-communistes, des policiers, des militaires ou des éboueurs, et les force à avouer leur crime. Chaque fois, le schéma est le même. Les victimes commencent par s’énerver contre ces moins que rien qui ont osé les enlever, les menacent ou tentent de les soudoyer, puis, quand ils réalisent que leurs kidnappeurs ne sont pas juste des fonctionnaires un peu trop zélés, il se murent dans le silence ou le déni, avant que l’usage de la torture ne leur fasse entendre raison et signer de leur sang leurs aveux. Mais aucun d’entre eux ne semble éprouver du remords. Confrontés à l’horreur de leurs actes, les criminels n’ont qu’un seul argument : ils n’ont fait qu’obéir à des ordres venus de personnes haut-placées…
Plus l’étau se resserre sur les principaux responsables du meurtre, plus des dissensions apparaissent au sein du commando. Plusieurs voix s’élèvent contre les méthodes brutales utilisées par le leader. Mais ce dernier refuse d’entendre raison, enfermé dans sa quête vengeresse. Il ne réalise pas qu’il est aussi détestable que ses victimes, se comportant comme un tyran, forçant les autres à suivre ses ordres à la lettre…
One on One n’est pas le plus beau film de Kim Ki-duk, ni le plus subtil. On sent que le cinéaste coréen a de plus en plus de mal à financer ses films, mais il compense allégrement par des scènes choc dont il a le secret, des petites provocations et un fond assez riche, qui tranche avec la forme.
Il y a évidemment une forte dimension politique dans ce récit, qui évoque pêle-mêle des épisodes douloureux de l’histoire de la Corée du Sud, les relations conflictuelles avec le voisin nord-coréen, l’emprise de la culture américaine sur le pays, la corruption qui gangrène les institutions et la violence, présente dans les différentes strates sociales. Et le cinéaste propose une réflexion intéressante sur les choix parfois délicats que doivent opérer les dirigeants de pays : Est-il moral de sacrifier quelques individus pour garantir le bien-être de milliers d’autres? L’usage de la force est-il une solution durable au problème du non-respect des lois?
Si on aurait aimé un peu plus de folie de la part de Kim Ki-duk, qui nous avait offert l’an dernier une scène érotique complètement barrée dans Moebius, One on One est un objet filmique intéressant, qui confirme le retour en force du cinéaste.
En tout cas, il n’a laissé personne indifférent, comme à son habitude.
Notre note : ●●●●●○
Shawn Christensen, auteur de Before I dissapear aurait aimé susciter les mêmes réactions. Mais son film a été diversement apprécié sur le Lido, certains louant son charme discret, tandis que d’autres fustigent la pauvreté du contenu. Le film raconte les déboires d’un homme dépressif, soudain forcé par sa soeur de surveiller sa nièce de onze ans, le temps de quelques heures. Nous n’avons pas vu cette oeuvre de la section Venice Days, préférant aller écouter gazouiller Michael Keaton à la conférence de presse de Birdman.
Nous avons aussi échappé à Melbourne de Nima Javidi, qui faisait l‘ouverture de la Semaine de la Critique. On nous a parlé d’un scénario assez indigent et d’une mise en scène monocorde, terriblement ennuyeuse. Euh… Pas sûr qu’on cherche à le rattraper demain…
Ciao et à demain pour la suite de nos chroniques vénitiennes