[Critique] Sin City réalisé par Robert Rodriguez

Par Kevin Halgand @CineCinephile

"Sin City est une ville infestée de criminels, de flics ripoux et de femmes fatales. Hartigan s’est juré de protéger Nancy, une strip-teaseuse qui l’a fait craquer. Marv, un marginal brutal mais philosophe, part en mission pour venger la mort de son unique véritable amour, Goldie. Dwight est l’amant secret de Shellie. Il passe ses nuits à protéger Gail et les filles des bas quartiers de Jackie Boy, un flic pourri, violent et incontrôlable. Certains ont soif de vengeance, d’autres recherchent leur salut. Bienvenue à Sin City, la ville du vice et du péché. "

Paru pour la première fois en 1991 aux éditions Dark Horses, la licence Sin City compte à ce jour sept tomes. Licence sexy et violente, voire même ultra violente, la licence Sin City arbore des thèmes que l’on pourrait encore et toujours utiliser de notre temps comme celui de la mégalopole tentaculaire où règne barbarie et corruption. Chaque habitant de la ville du vice et du péché est corrompu à sa manière au travers d’atrocités qu’il a pu commettre ou être victime. Des habitants à l’image de leur ville, mais des habitants qui vont s’avèré être encore plus frappés qu’on n’aurait pu l’imaginer. Descendu tout droit de l’imagination débordante de Frank Miller, si vous avez l’impression que cette licence est beaucoup trop violente et crasseuse, c’est  cause de son créateur, qui a créé la licence suite a un désaccord entre lui et divers éditeurs mondialement connus comme la Marvel et DC qui avaient tous deux refusé ses travaux. Il s’est donc lâché et a mis en image des personnages qui n’ont rien à perdre, mais qui n’ont pas pour autant aucune humanité. Puisque oui, même si des féministes seraient toujours en droit de critiquer Sin City en déclarant que l’image de la femme y est dégradée à cause de personnages féminins très peu vêtus, ces derniers ne sont pas les derniers lorsqu’il est question de lâcher l’animal qui sommeil en chacune d’elles.

Réalisateur inqualifiable à qui l’on doit le meilleur des séries z américaines comme Planète Terreur ou encore l’excellent Une Nuit en Enfer, comme le plus mauvais du cinéma américain avec les sagas Machete et Spy Kids, Robert Rodriguez ne s’en cache pas, ce qu’il a voulu faire en premier lieu avec Sin City, c’est une transcription parfaite des romans graphiques écrits et illustrés par Frank Miller. Il veut rendre à Frank ce qui appartient à Miller, sans pour autant y inclure quelque chose d’extravagant, quelque chose qui fasse comprendre au spectateur qu’il regarde une adaptation signée Robert Rodriguez, tout en souhaitant faire un long-métrage qui soit plus qu’une simple transposition, qui soit une véritable adaptation pour le cinéma. Au delà de trouver dans ce Sin City une certaine facilité dans la mise en scène puisqu’il lui "suffit" de s’appuyer sur chaque image du roman graphique pour donner une base à chaque plan pour ensuite donner vie à chaque personnage et arc narratif (histoire), cette transcription brute du papier à l’écran et son format cinéma, est une excellente idée pour faire de ce film un exercice de style qui restera dans les mémoires du cinéma.

Véritable exercice de style, Sin City séduit tout d’abord par son aspect visuel minimaliste, mais très stylisé. Là où certains films à gros budget cherchent à créer des décors toujours plus grands et toujours plus imposants afin d’avoir du relief sans avoir, à travaillé davantage sa mise en scène, Sin City fait dans le minimaliste pour chercher à recréer l’esprit des romans graphiques. Filmé intégralement sur fond vert avec seulement quelques accessoires ou morceaux de décors réels, l’esprit Sin City prend vie une fois la post production achevée et le visuel finalisé. Reprenant avec astuce le style visuel noir et blanc, tout en y incrémentant quelques couleurs afin de mettre en avant quelques éléments qui nécessitent une démarcation du restant du décor, le film arrive à enchanter le spectateur amateur d’OFNI et en quête d’originalité. Visuellement très réussi, avec des choix astucieux de teintes de noir ou de blanc qui permettent aux personnages d’intégrer des environnements qui ne sont finalement que de simples arrières-plans numériques et sans relief, le film pêche malgré tout à cause de sa réalisation bancale qui ne joue pas suffisamment avec ce visuel atypique. Arrières-plans par moment flou, focus hasardeux, scènes d’intérieur qui redonnent subitement une couleur de peau humaine aux personnages… Robert Rodriguez n’arrive pas à faire la part belle à l’environnement Sin City et à donner une âme à cette ville fantôme. La ville n’est donc plus la mère porteuse de ces personnages violents et crasseux, mais un prétexte pour mettre en scène des personnages aux âmes ténébreuses en quête en vengeance.

Fort heureusement pour le cinéaste américain, il peut s’appuyer sur un casting quatre étoiles qui, malgré des décors réduits à néant, réussissent à donner de leurs personnes pour faire vivre leurs personnages respectifs. Rarement caricaturaux, Frank Miller avait suffisamment bien peaufiné ses romans graphiques pour que les acteurs puissent s’en imprégner afin de faire de leurs personnages, des machines de guerre aux caractères bien tranchants. Sexy, viscéral, violent et sans concessions, ils s’en donnent à cœur joie et font marcher leur imagination afin de faire croire aux spectateurs que Sin City n’est finalement pas sans relief et que cette ville n’a rien d’un simple prétexte narratif. Car oui, s’il y a bien un point commun entre chaque personnage, c’est ce noyau qu’est Sin City. Afin de faire de cette ville centrale un noyau dans lequel vont se croiser les personnages, Frank Miller avait fait en sorte que dans chaque roman graphique, le lecteur retrouve en arrière-plan un ou plusieurs personnages qu’il a déjà vu ou qu’il verra par la suite en tant que pièce maitresse d’une autre histoire. S’appuyant sur trois des sept romans graphiques que compte la licence (The Hard Goodbye, The Big Fat Kill et That Yellow Bastard), Robert Rodriguez a décidé de faire en sorte que le long-métrage possède une narration non linéaire, dans laquelle vont s’entrecroiser personnages et histoires. À trop vouloir faire de ce Sin City un film à la trame narrative unique, il perd en clarté et en rythme. Scinder le film en trois parties et non sept aurait été bénéfique d’un point de vue narratif, comme rythmique. En effet, découpé en sept parties (parties qui n’ont parfois rien à voir et qui disposent de rythme différent), Sin City ne trouve jamais son rythme et rend l’immersion du spectateur délicate, malgré un aspect visuel accrocheur et qui ne donne pas envie de voir l’aventure se terminer. Néanmoins, il reste l’utilisation de la voix off, gadget qui permet au spectateur de mettre une punch line diaboliquement badass sur chacune des actions des protagonistes. La voix off n’est qu’un gadget, mais pour un film qui veut avant tout reprendre l’esprit d’un roman graphique, c’est intéressant et ça permet surtout au spectateur de comprendre dans quelle histoire il se situe. Un narrateur principal par histoire qui n’est autre que le protagoniste de l’histoire en question permet de savoir où l’on se situe et si on a changé d’arc narratif ou non.

Il est délicat de traiter Sin City tant il s’agit d’un film unique et d’un exercice de style aussi accrocheur que rebutant. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas Robert Rodriguez, on ne peut que lui dire bravo pour avoir réalisé un film qui, malgré des défauts aussi gros que la tête de Marv, reste efficace et accrocheur grâce à son style visuel impeccable, des punch lines (écrites par Frank Miller) qui fusent, un casting qui joue le jeu et se fait plaisir avec des expressions faciales toujours plus exacerbées et des plans qui même imparfaits, restent dans la tête du spectateur comme une illustration de roman graphique. C’était le but non ? Donc pari réussi pour Robert Rodriguez qui souhaitait avant tout transposer l’œuvre de Frank Miller au cinéma, sans la dénaturer.