[Mostra de Venise 2014] Jour 4 : Al, Catherine, Charlotte, Chiara et les autres…

Chaque jour, depuis le début de cette Mostra, les rues du Lido sont envahies par une poignées de manifestants qui militent pour l’indépendance de la Vénétie, la tenue d’élections anticipées et autres revendications que notre compréhension limitée de l’italien ne permet pas de saisir.
Mais l’émeute, la vraie, a eu lieu autour du palazzo del Cinema, avec la présence de la star la plus attendue de ce festival sur le tapis rouge. Al Pacino est bien venu à Venise pour présenter les deux films de la sélection dans lequel il figure.
Sa venue a quelque peu éclipsé les arrivées de Pierfrancesco Favino, qui défendait Senza nessuna pietà dans la section Orizzonti, et les trois interprètes du film de Benoît Jacquot, 3 Coeurs, Catherine Deneuve, Charlotte Gainsbourg et Chiara Mastroianni.
Bref, il y avait du beau monde aujourd’hui à Venise… Mais les films, que valaient-ils? Eh bien il y a eu du bon et du moins bon, et de belles surprises…

Commençons déjà par les deux films de l’attraction du jour, The Humbling et Manglehorn.

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”The Humbling” de Barry Levinson (Hors Compétition)

Il est amusant de découvrir The Humbling dans le même festival que le Birdman d’Alejandro Iñàrritu, tant les deux oeuvres présentent des similitudes.
Simon Axler (Al Pacino), le personnage principal du nouveau long-métrage de Barry Levinson, est un acteur qui a jadis connu la gloire au cinéma et au théâtre. Pas pour un rôle de super-héros, non, mais pour de grands rôles shakespeariens. Cependant, depuis quelques temps, il n’a plus le feu sacré. Il a des absences, des trous de mémoire, des angoisses au moment de monter sur scène. Il a perdu ce petit quelque chose qui le rendait si talentueux. Un soir, il fait un malaise sur scène et s’effondre. S’ensuit une profonde dépression et la décision d’arrêter sa carrière. Sorti de l’hôpital, il retrouve son domicile, une propriété qui lui semble soudain trop grande pour lui, et trop vide. Concentré sur sa carrière, Simon n’a pas pris le temps de construire sa vie privée. Il n’a ni femme ni enfants. Et, privé de son travail, il est soudain confronté à sa solitude.

Mais il a à peine le temps de se morfondre qu’il reçoit la visite de Pegeen (Greta Gerwig), la fille de vieux amis de Simon. La jeune femme lui fait comprendre qu’elle est amoureuse de lui depuis l’enfance et aimerait pouvoir enfin entretenir avec lui une relation sentimentale.
Simon est décontenancé, mais se laisse séduire. Ils deviennent amants et la jeune femme essaie de le secouer, de le sortir de sa torpeur. Elle aimerait qu’il remonte sur scène.
A un moment, on se demande si Pegeen, trop belle pour être vraie, n’est pas une sorte d’hallucination sortie de l’esprit tourmenté du personnage – comme le Birdman de Michael Keaton. Et ce ne sont pas les autres personnages qui gravitent autour de Simon qui vont dissiper ces doutes, bien au contraire. Simon voit débarquer les ex de Pegeen, dévastés d’avoir été plaqués par la jeune femme, et Sybil Van Beuren, une personne qu’il a rencontré à l’hôpital psychiatrique et qui s’est persuadée, pour l’avoir un jour jouer un gangster, qu’il est celui qui pourra la débarrasser de sa brute de mari…
L’enjeu du film est de savoir si Simon pourra se sortir indemne de cette folie qui l’entoure soudain, et de sa relation – réelle ou fantasmée – avec la belle Pegeen, briseuse de coeurs en série.

Evidemment, il est aussi  beaucoup question de la façon dont un acteur se nourrit de ses expériences pour interpréter des personnages, de la nécessité d’avoir une sorte de muse, du besoin vital de se produire sur scène jusqu’au bout… Mais on peut aussi voir le film comme une variation sur le vieillissement et le déclin, la peur de prendre de l’âge et de mourir, la peur de finir seul et isolé. Autant de thèmes importants qui donnent au film une dimension particulière.
Le roman de Philip Roth était déjà un texte dense et subtil. Mais Barry Levinson , aidé par les performances majeures de ses acteurs – Al Pacino, très convaincant en acteur usé, écrasé par la solitude et la peur de perdre la mémoire, et Greta Gerwig, parfaite en insaisissable objet de tous les désirs – en tire une oeuvre complexe, offrant plusieurs possibilités d’interprétation et d’analyse.

Notre note :

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“Manglehorn” de David Gordon Green (Compétition Officielle)

Si The Humbling a constitué l’une des belles surprises de cette 71ème Mostra, on n’en dira pas autant de Manglehorn de David Gordon Green, toujours avec Al Pacino et dans un registre assez similaire. L’acteur américain y incarne A.J.Manglehorn, un serrurier vieillissant et solitaire, replié sur lui-même et enfermé dans le souvenir d’un amour de jeunesse qu’il a laissé filer. Il ne voit pas que son fils unique (Chris Messina), aujourd’hui brillant homme d’affaires, a besoin de son affection, et semble incapable de comprendre que sa charmante banquière (Holly Hunter) n’est pas insensible à son charme. Il déambule sans but, ressassant les mêmes souvenirs douloureux, et attendant en vain une réponse aux lettres d’amour qu’il envoie.
Ce personnage de serrurier dont la vie est cadenassée par les souvenirs et les regrets est plutôt une belle idée, mais Al Pacino n’était peut-être pas l’acteur idéal pour l’incarner. Contrairement au personnage de Simon dans The Humbling, Manglehorn est censé être un type ordinaire, discret et effacé. Pacino a trop de charisme pour arriver à ce résultat, même s’il fait tout pour se fondre dans le rôle.
Il a aussi tendance à vampiriser toutes les scènes, et donc à reléguer au second plan les efforts de David Gordon Green pour créer une ambiance particulière, poétique et onirique. Résultat, hormis quelques détails étranges – comme la ruche qui se construit sous la boîte au lettres du personnage et une scène d’accident de la route où la chair d’une pastèque figure la violence du crash -  le film reste cantonné au strict registre de la chronique intimiste douce-amère et déprimante, comme en produit par dizaines le cinéma indie américain.
Par ailleurs, le film souffre, comme Joe et Prince of Texas, d’un rythme beaucoup trop lent et d’une certaine atonie, qui n’aide pas à s’accrocher durablement à cette histoire et au sort de ces personnages.
Dommage, car le cinéaste laisse entrevoir une vraie sensibilité artistique et a le mérite d’avoir de la suite dans les idées, en s’intéressant à chaque fois à des gens simples, des petits, des sans grade, des faibles, tous ceux que le cinéma américain a tendance à laisser dans la marge. On espère qu’il saura évoluer pour réaliser enfin un film pleinement abouti et équilibré. En attendant, Manglehorn se laisse voir sans déplaisir, mais ne peut être considéré, hélas, comme l’une des réussites marquantes de ce festival.

Notre note :

Autre film présenté en compétition, 3 Coeurs nous a plu davantage, même s’il semble avoir été accueilli fraîchement par les festivaliers, qui jugent l’intrigue peu crédible et le traitement, trop classique. On verra s’il a plu au jury. En tout cas, il reste en course pour la chasse aux Lions, notamment pour les prix d’interprétation masculin et féminin.

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“3 Coeurs” de Benoît Jacquot (Compétition officielle)

Marc (Benoît Poelvoorde), inspecteur des impôts effectuant une mission dans une ville de province, rate le train devant le ramener à Paris. Au bar près de la gare, il rencontre Sylvie (Charlotte Gainsbourg) et tombe sous son charme. Le coup de foudre est réciproque. Ils décident de se retrouver une semaine plus tard à Paris, au Jardin des Tuileries. Mais le jour J, Marc fait un malaise et arrive en retard au rendez-vous, juste quelques secondes après que Sylvie soit partie. Comme ils n’ont échangé ni leurs noms, ni leurs numéros de téléphone, ils ne peuvent pas se joindre. Sylvie retourne auprès de son mari, la mort dans l’âme. Le lendemain, ils partent vivre tous les deux aux Etats-Unis. Sans le savoir, ils croisent Marc, qui retourne en province dans l’espoir de la retrouver. Encore un mauvais timing…
Au centre des impôts, Marc rencontre Sophie (Chiara Mastroianni) et l’aide à mettre de l’ordre dans ses comptes. Au fil des jours, ils développent une belle complicité et tombent amoureux l’un de l’autre. Marc ignore un détail important : Sophie est la soeur de Sylvie, pour qui il éprouve encore une profonde passion, amplifiée par la frustration de leur rendez-vous manqué. Inévitablement, ils vont être amenés à se croiser…

Avec ce long-métrage, Benoît Jacquot s’offre un mélodrame classique, plus influencé par les deux versions de Elle & Lui de Leo McCarey que par les mélodrames flamboyants de Douglas Sirk. Il a essayé de réaliser un drame amoureux sans pathos, sans violons pour souligner l’intrigue, sans longs dialogues explicatifs. Tout passe par les regards, par les attitudes, avec délicatesse. Cela fonctionne bien car le cinéaste, comme souvent, réussit à tirer le meilleur de ses interprètes, parfaitement choisis.
Benoît Poelvoorde excelle dans ce rôle d’amoureux fou, tiraillé entre deux soeurs, les deux femmes de sa vie, et rongé à petit feu par cet impossible dilemme moral, et s’impose définitivement comme un grand acteur dramatique. Ses partenaires, Charlotte Gainsbourg et Chiara Mastroianni, sont elles aussi magnifiques. Elles ont justement cette capacité à faire passer beaucoup d’émotions par les regards, et Benoît Jacquot ne se prive pas de l’exploiter. Il peut aussi s’appuyer sur Catherine Deneuve, qui incarne la mère de Sylvie et Sophie.

Le film fonctionne relativement bien, à condition d’accepter le point de départ improbable de ce mélodrame. Mais il n’est hélas pas exempt de certains défauts. Déjà, le rythme est inégal. On note une nette baisse de régime dans la seconde partie du film, quand Marc vient s’installer définitivement en province. Là, on sent que Benoît Jacquot tente de faire traîner artificiellement son récit. Et cette impression est renforcée quand il ajoute des sous-intrigues inutiles, comme l’affrontement entre Marc et le maire de la ville, qui a massivement fraudé le fisc. Mais si le film traîne en longueur par moments, il est un peu trop rapide lors de son dénouement, qui tombe un peu comme un cheveu sur la soupe.

Notre note :

La section Orizzonti nous a permis de retourner en Autriche avec Goodnight Mommy, un thriller horrifique  produit par Ulrich Seidl et réalisé par deux jeunes réalisatrices, Veronika Franz et Severin Fiala.

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“Goodnight Mommy (ich seh, ich seh)” de Veronika Franz et Severin Fiala (Orizzonti)

Si Im Keller a montré hier qu’il se passait de drôles de choses dans les caves autrichiennes, Goodnight Mommy montre que ce qu’il se passe aux étages supérieurs n’est guère plus ragoûtant, et même pire.
On suit les tribulations de deux jumeaux, qui vivent reclus avec leur mère dans une propriété isolée, à la lisière de la forêt. La mère, jadis présentatrice vedette à la télévision, vient apparemment de subir une sorte d’opération chirurgicale et est couverte de bandages. Son comportement aussi a changé. Elle est obsédé par l’hygiène et le silence et montre des signes d’impatience et d’agacement auprès des enfants. Enfin, d’un seul des jumeaux, puisqu’elle a décidé d’ignorer totalement le second.
Les gamins se persuadent que la personne qui se trouve sous les bandages n’est pas leur mère, mais une entité qui a pris sa place…
Stop! On n’en dira pas plus, l’intrigue reposant sur un ou deux renversements de situation qu’il serait criminel de révéler.
On dira simplement que les deux cinéastes font montre d’un talent certain pour créer une atmosphère fantastique, à la fois inquiétante et troublante, mais qu’elles ont plus de mal à en faire quelque chose. Le dernier acte de leur récit, assez prévisible, bascule dans la facilité, cherchant trop à choquer le spectateur pour être honnête. On préfère les provocations d’Ulrich Seidl et de Michael Hanneke, qui sont souvent accompagnées de réflexions autrement plus profonde sur la nature humaine.
Dommage, Goodnight Mommy n’est pas le grand film fantastique qu’il aurait pu être, avec un peu plus d’ambition. Il fera cependant un client tout à fait acceptable pour un festival comme Gerardmer…

Notre note :

Dans la même section, nous n’avons pas pu voir Senza nessuna pietà, mais un de nos confères d’Abus de ciné nous a décrit l’objet comme “la collision entre Sébastien Chabal, le rugbyman, et la Julia Roberts de Pretty Woman”. Il n’a pas aimé, mais ce résumé-choc nous a donné très envie de le découvrir, d’autant que l’excellent Pierfrancesco Favino fait partie du casting (Comme ça, à première vue, on le voit plus en Chabal qu’en Julia Roberts, mais sait-on jamais…)
Nous n’avons pas pu voir non plus Belluscone, una storia siciliana de Francesco Maresco, mais la rumeur veut que le film a été très applaudi lors de sa projection. On parle de dix minutes de standing-ovation, ce qui est une durée conséquente…
Enfin, nous avons décidé de ne pas voir Heaven knows what, à cause d’une allergie confirmée au cinéma des frères Safdie, qui repose sur un principe on ne peut plus simple : suivre l’errance d’un personnage gentiment loufoque dans les rues de New-York et l’enrober d’une esthétique de film indie fauché des années 1970 pour faire passer ça pour de l’Art. Généralement, c’est ennuyeux à mourir… Ah, après vérification, on nous confirme que ce nouvel opus est bien une errance newyorkaise filmée façon seventies et chiante comme la pluie. Très bien, cela fait 95 mn d’économisées…
Nous les avons utilisées pour aller voir un très bon film dans la section Venice Days : The farewell party

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”The Farewell Party” de Sharon Maymon et Tal Granit (Venice Days)

Sur le papier, le propos n’est pas des plus joyeux puisque le film parle de maladie, de décrépitude physique et mentale, et d’euthanasie. Mais le traitement de ces sujets est amené avec beaucoup de délicatesse, d’humour et de sensibilité.
On suit un groupe de personnes âgées atteintes de maladies diverses, à des stades plus ou moins avancés.
Levana souffre d’un début de maladie d’Alzheimer, mais peut compter sur le soutien sans faille de son mari, Yehezkel, qui essaie d’inventer des objets destinés à lui simplifier la vie. Leur vieil ami Max est atteint d’un cancer en phase terminale. Il ne supporte plus la douleur et aimerait qu’on abrège ses souffrances. Mais l’hôpital refuse, évidemment. L’euthanasie est interdite, en Israël encore plus qu’ailleurs.  La femme de Max, Yana se tourne donc vers Yehezkel et Levana, mais aussi vers Daniel, un vétérinaire retraité et son amant Raffi, pour l’aider à pratiquer l’euthanasie. Après une longue réflexion et de pesants dilemmes moraux, Yehezkel accepte de bricoler une machine automatique qui permet au malade de se donner la mort de son plein gré, et de façon totalement indétectable. Max peut donc partir de son plein gré, en toute dignité.
Mais les choses se corsent quand d’autres patients, ayant eu vent de l’invention de Yehezkel, demandent aussi à se donner la mort par ce biais…

On rit souvent dans The Farewell party, car les tribulations de ce groupe de septuagénaires sont rythmées à la façon d’une comédie burlesque et ponctuées de répliques hilarantes. On pleure aussi beaucoup, surtout vers la fin du film, car il est difficile de rester insensible aux souffrances des malades, à l’angoisse qui les étreint quand ils réalisent qu’ils sont en train de décliner complètement, sans espoir de guérison.Et aussi parce que le film réveillera chez certains spectateurs de douloureux souvenirs personnels. On réfléchit aussi énormément, après la séance, aux enjeux moraux abordés par le film.
Que faire face à la souffrance d’un proche en fin de vie? Accepter d’abréger son existence pour que cesse la douleur? Laisser la maladie faire son office? Et déjà, qu’est-ce que la fin de vie? Dans le cas d’un cancer en phase terminal, elle est quantifiable. Quelques jours, quelques semaines, quelques mois. Mais dans le cas de la maladie d’Alzheimer? Un patient peut vivre encore longtemps avec cette maladie, mais son esprit sera déjà éteint depuis longtemps. Faut-il s’acharner? A-t-on le droit de donner la mort à des individus dont l’organisme peut encore fonctionner des années?
Le film se déroulant en Israël, dans un pays où la religion est très importante, cela soulève encore d’autres problèmes moraux. Tuer un individu est un péché mortel. Même si cela est pour la bonne cause. Le suicide est également interdit. Comment composer avec ces règles très strictes? Comment trouver la paix dans ces conditions?

On ne sait pas si tous les spectateurs se sont posé autant de questions à l’issue de la séance. En tout cas, au vu des applaudissements nourris des festivaliers, personne ne s’est demandé si The Farewell party était un bon film. C’en est un, assurément.

Notre note :

Apparemment, du côté de la Semaine de la Critique, The coffin in the moutain a bien plu, grâce à / malgré un scénario complexe, livrant peu à peu ses secrets. Et Terre battue, film d’art & essai français, a reçu un accueil mitigé.

Ciao et à demain pour d’autres films et la suite de nos chroniques vénitiennes…

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