Aujourd’hui, la Mostra de Venise a offert à ses festivaliers de véritables leçons d’histoire(s).
Leçons d’Histoire avec un grand H, puisque Loin des Hommes et The Cut s’intéressent à deux moments historiques douloureux, pendant lesquels l’humanité a été mise à mal : la Guerre d’Algérie pour le premier, le Génocide Arménien par les autorités Turques pour le second.
Leçons d’histoires au pluriel, puisque les oeuvres présentées aujourd’hui sont aussi des exemples de narration cinématographique, bons ou mauvais…
”The Cut” de Fatih Akin (Compétition Officielle)
Enorme déception que le nouveau long-métrage de Fatih Akin, qui raconte l’odyssée de Nazareth Manoogian(Tahar Rahim), un jeune forgeron arménien qui essaie de retrouver les rares membres de sa famille ayant survécu au génocide arménien perpétré par les Turcs en 1915.
On salue la démarche du cinéaste, qui est l’un des premiers à faire un film sur le sujet. Mais on déplore qu’il le fasse de façon aussi maladroite, utilisant des facilités scénaristiques indigne de son talent et privilégiant un style de mise en scène extrêmement ampoulé.
Dès les premières images, la narration ne fonctionne pas. Déjà parce que les personnages principaux s’expriment en anglais avec un accent oriental prononcé. Une bien curieuse idée puisque dans le film, les Turcs parlent turc, les Américains et les Anglais s’expriment dans la langue de Shakespeare, les Cubains parlent espagnol, etc… Seuls les Arméniens sont obligés de parler dans un anglais de cuisine ridicule… Et c’est d’autant plus rageant que de très nombreux acteurs du film sont d’origine arménienne et maîtrise la langue de leurs aïeux…
Ensuite, on remarque instantanément le côté factice des décors, qui semblent réalisés en carton-pâte. Restrictions budgétaires ou choix artistique douteux? Toujours est-il que l’on a la désagréable impression d’être revenu 70 ans en arrière, quand Hollywood réalisait en studio ses reconstitutions historiques et donnait à ses films d’aventures une touche d’exotisme de pacotille…
Mais ce n’est pas tout. La mise en place est laborieuse, avant que l’on n’entre dans le vif du sujet. Le récit s’emballe quand Nazareth est réquisitionné par l’armée ottomane pour façonner les routes. On découvre au fil des minutes que les Arméniens sont décimés par les autorités Turques et là, on sent que le cinéaste s’est cassé la tête pour décider de la marche à suivre. Faut-il montrer frontalement les horreurs de la guerre ou les suggérer? Finalement, Akin se place un peu entre les deux. Cela fonctionne bien pour certaines séquences, moins pour d’autres. La découverte du camp de réfugiés Arméniens, par exemple, est une séquence-forte du long-métrage, mais le cinéaste l’alourdit avec une scène-choc étirée ad nauseam, qui n’apporte rien à l’émotion initiale.
Au bout d’un moment, on finit par s’habituer aux différents défauts du film. Nazareth ne parle plus en anglais, ni en aucune autre langue d’ailleurs… Les décors laissent place au désert, et le rythme se fait plus soutenu. Et comme Fatih Akin reste un bon cinéaste, il réussit à livrer de belles séquences, qui laissent à penser que le film va peu àpeu s’améliorer.
Hélas, la seconde moitié du film, pendant laquelle Nazareth parcourt le Monde à la recherche de ses filles, correspond à une nouvelle baisse de régime. L’odyssée de Nazareth s’étire de façon assez laborieuse, de péripéties convenues en symboles lourdingues, jusqu’à un dénouement parfaitement ridicule.
Malgré la performance de Tahar Rahim, malgré l’efficacité de la mise en scène, malgré les bonnes intentions du cinéaste, le film est globalement raté.
Notre note : ●●○○○○
“Loin des Hommes” de David Oelhoffen (Compétition Officielle)
Alors que The Cut accumule les maladresses de façon étonnante pour un cinéaste aussi expérimenté que Fatih Akin, Loin des Hommes fait preuve d’une grande maturité dans son écriture, alors que David Oelhoffen n’avait jusque-là réalisé qu’un long-métrage. D’accord, il s’est appuyé sur une nouvelle d’Albert Camus, “L’Hôte”, pour écrire son récit, ce qui aide sûrement un peu. Mais l’adaptation est brillante, réussissant à relayer subtilement tous les thèmes humanistes abordés par Camus tout en donnant de l’épaisseur à chaque personnage.
L’action se passe en Algérie, en 1954, dans un contexte tendu. Le FLN et l’ALN réclament l’indépendance du pays et se montrent de plus en hostiles vis-à-vis des colons Français. Des émeutes ont déjà eu lieu dans le pays, et occasionné une forte répression de a part de l’armée française.
Daru (Viggo Mortensen), un instituteur français, vit éloigné de toute cette agitation. Il assure la classe dans un coin perdu de l’Atlas Algérien. C’est un homme bon, intègre, qui aime transmettre son savoir aux enfants. Un soir, un gendarme français lui confie la garde d’un prisonnier, Mohammed (Reda Kateb), accusé d’avoir assassiné son cousin. Il demande à Daru d’emmener le prévenu à Tinguit, pour qu’il y soit jugé. L’instituteur refuse, car il est conscient que le procès ne sera pas équitable et que Mohammed sera exécuté pour son crime. Il se refuse à participer à cela. Le gendarme lui laisse malgré tout le prisonnier et s’en va.
Daru nourrit le prisonnier, le soigne, et lui offre la liberté. Mais Mohammed insiste pour qu’il l’escorte à Tinguit. Il veut être jugé officiellement pour ses crimes plutôt que de laisser les proches de son cousin se charger eux-mêmes du procès, ce qui entraînerait une spirale de violence sans fin.
Daru accepte finalement de l’accompagner. Mais la route menant à Tinguit est longue et semée d’embûches, car la guerre a finalement éclaté, charriant son lot d’horreurs et de comportements inhumains.
Empruntant à la fois au western et au film de guerre, David Oelhoffen réalise un film d’aventures passionnant, parfaitement rythmé. Mais l’action n’est évidemment qu’un prétexte. Ce qui l’intéresse, c’est l’évolution des relations entre les personnages, les révélations sur leur passé, leurs perspectives d’avenir. Mais aussi leur regard sur les troubles qui agitent le pays, sur l’identité et l’appartenance, la foi, la justice, et l’humanité en général…
Il trouve constamment le ton juste pour aborder ces thèmes essentiels et universels, bien aidé, il est vrai par ses acteurs, très complices. Viggo Mortensen est impeccable dans le rôle de Daru, cet homme qui place la fraternité entre les hommes au-dessus de tout, mais a voit ses convictions s’effriter à mesure que se dessine le combat fratricide entre Français et Algériens. Et Reda Kateb livre aussi une belle performance d’acteur dans la peau de Mohammed, cet homme d’abord présenté comme un criminel détestable, mais qui va s’adoucir et s’humaniser peu à peu, au fil des discussions entre Daru et lui.
Contrairement à The Cut, le film est tourné dans la langue adéquate. Viggo Mortensen fait l’effort de dire ses dialogues en français et en arabe, Reda Kateb aussi. Pas d’anglais, d’allemand ou de mandarin pour faire plaisir à la production. Le cinéaste obéit juste à la réalité historique, pour rendre son film le plus précis et objectif possible. Il y a des thèmes avec lesquels on ne badine pas… Si on se laisse à ce point émouvoir par les acteurs et par les situations dépeintes, c’est que le film est constamment crédible et réaliste. Il n’y a aucun faux-pas, aucune faute de goût.
A y regarder de plus près, Loin des Hommes est un peu l’antithèse de The Cut. C’est un film discret, humble, qui utilise le moins d’effets mélodramatiques possibles pour porter son message. C’est donc une oeuvre très réussie, et une des très bonnes surprises de ce 71ème Festival de Venise.
Notre note : ●●●●●○
”Hungry hearts” de Saverio Costanzo (Compétition Officielle)
Hungry hearts nous entraîne dans un tout autre univers, mais il y est aussi question d’une forme de guerre, l’opposition entre un homme et une femme qui se sont aimés passionnément mais qui se déchirent aujourd’hui, à cause de divergences fondamentales sur le couple et l’éducation des enfants.
En même temps, tout était écrit, dès la première scène… Mina (Alba Rohrwacher), une attaché d’ambassade italienne et Jude (Adam Driver), un yuppie newyorkais, se rencontrent dans… les toilettes d’un restaurant chinois. Ils se retrouvent tous deux bloqués dans la pièce, minuscule, dont l’air est empuanti par les odeurs d’excréments. A l’écran, la scène est plutôt amusante, d’autant qu’elle débouche sur une relation amoureuse. Mais la symbolique est forte. Dès le départ, ce jeune couple est dans une logique d’enfermement, sans porte de sortie, et l’avenir ne sent pas bon…
Ils s’installent pourtant ensemble et font un enfant. Pendant la grossesse, Mina devient obsédée par la pollution et l’hygiène. Elle ne jure plus que par le Bio et les médecines alternatives, afin que son fils puisse grandir dans les meilleures conditions. Jude la laisse appliquer ses idées, mais quand il réalise que la croissance de son enfant n’évolue pas normalement, il doit se rendre à l’évidence : le régime végétalien avec lequel ils nourrissent le bébé n’est pas adapté. Pourtant, Mina s’entête, au-delà du raisonnable, mettant en péril la santé de son fils…
La construction de ce film est assez atypique. Il faut de longues minutes avant que l’on ne saisisse le sujet central du scénario, et on ne sait jamais trop où le cinéaste veut nous emmener. La première séquence laisse entrevoir une comédie, les suivantes, une chronique sentimentales, puis une chronique familiale. Puis le ton change. La tension monte et le film prend une allure de thriller, et même de film fantastique. On pense entre autres à Safe, le thriller médical de Todd Haynes ou au Rosemary’s baby de Polanski, mais l’oeuvre trouve son propre ton, grâce à un sens affûté de la narration cinématographique et à la performance inspirée d’Alba Rohrwacher, à la fois inquiétante et bouleversante dans ce rôle de mère de famille au bord de la folie.
Si l’on peut déplorer un dénouement un peu abrupt et quelques maladresses dans la mise en scène, ainsi que le choix discutable d’Adam Driver, assez fade, dans le rôle du père de famille dépassé par les évènements, on se laisse facilement captiver par cette histoire originale, qui permet d’ouvrir le débat sur les dérives de la phytothérapie et du Bio à tout prix.
Notre note : ●●●●○○
”Les Boxtrolls” d’Anthony Stacchi et Graham Annable (Hors Compétition)
Pour finir cette journée sur le thème “Histoire(s)”, un petit conte pour enfants, sous la forme d’un film d’animation en stop-motion, par l’équipe responsable de Paranorman.
Il était une fois un royaume nommé Cheesebridge, où les nobles, distingués par leur chapeau blanc, veillaient sur leur bien le plus précieux : le fromage. Dans les bas-fonds de la ville, en sous-sol, on trouvait de petites créatures, les Boxtrolls, qui sortaient à la tombée de la nuit pour chaparder des pièces mécaniques. Craignant pour leur précieux fromage, les nobles chargèrent le sinistre Archibald Snatcher – qui a le physique de Thimothy Spall et la voix de Ben Kingsley – d’attraper tous les Boxtrolls, en échange de la promesse de l’anoblir. Traquées, les créatures durent élaborer un plan pour sauver leur peau. Pour cela, elles purent compter sur Eggs, un humain élevé comme un Boxtroll, et Winnie, la fille du seigneur de la ville… Tiré d’une série de livres pour la jeunesse d’Alan Snow, Les Boxtrolls raconte cette histoire.
Pour une fois, il n’y a pas vraiment de morale à ce drôle de récit, hormis, sans doute, l’idée de respecter des plus faibles et ceux qui sont différents. Le reste consiste plutôt en une suite de péripéties menées à un train d’enfer.
Ce n’est sans doute pas un chef d’oeuvre du film d’animation, mais le divertissement est efficace, il y a de jolies touches d’humour et l’environnement visuel est charmant. On passe un bon moment devant les péripéties amusantes de ces créatures.
Seul bémol, une 3D relief qui n’apporte quasiment rien à l’oeuvre.
Notre note : ●●●●○○
Ciao et à demain pour d’autres histoire(s) et la suite de nos chroniques vénitiennes.