SA FILMOGRAPHIE :
Scénariste & Réalisateur :
2002 : Ekti Nadir Naam
2013 : Le Secret de Kanwar
L’INTERVIEW
Le Secret de Kanwar aura pris 12 ans à se faire, ce qui est plutôt long. Avez-vous rencontré des difficultés ?
Lorsque j’ai fini mon premier film, le script du Secret de Kanwar était déjà fait. Par contre, je ne savais pas où trouver l’argent. Je me suis donc rendu à Mumbai, et j’ai commencé à chercher des fonds là bas. Tout le monde semblait apprécier le scénario disant que c’était une histoire d’actualité et qu’il fallait que le film se fasse.
Mais il y avait deux problèmes. Dans un premier temps, je voulais absolument que mon film soit en Pendjabi, mais tous les producteurs voulaient en faire un film Hindi. Dans un second temps, ils disaient qu’ils feraient eux-mêmes le casting du film avec des stars bollywoodiennes. J’étais totalement contre et nous n’avons pu nous mettre d’accord.
Aviez-vous déjà des idées pour le casting?
J’avais une idée, mais pas d’acteurs particuliers à cette période. Mais je savais que ça ne pouvait être des acteurs de Bollywood. Il y a une raison pour la qu’elle j’ai insisté sur ces deux points. Pour moi, il est essentiel de faire attention à la lumière, aux costumes, au visage et aux paysages choisis. Et il faut aussi prendre en compte la musique.
La musique du film, c’est aussi le langage, la cadence, le rythme, le ton et la qualité de celui-ci. Cela crée une connexion avec les visages, les costumes et les paysages. Si le langage est différent, il y aura une autre vision de tous ces éléments. Et selon moi tout autre langage que le Pendjabi nuirait à la relation entre l’esprit et le corps du film Le Secret de Kanwar.
Dans un second temps, dans le cinéma Bollywood en général, il y a cette tendance à apporter un lot d’émotions pré-faites dans la performance d’un acteur. Et il utilise toujours cela en agençant le tout de façon différente à chaque fois. Mais j’avais le sentiment que ce film était sur une lutte intérieure des personnages. Je voulais que cette lutte se voit dans le jeu des acteurs. Et Irrfan Khan lorsqu’on le voit à l’écran, il permet de visualiser ce combat qui se déroule en lui. Il ne vous donne pas une réponse directe et facile.
C’était la même chose avec les actrices. Et je savais que c’était ce que je voulais, c’est pourquoi j’étais résistant quant à ma vision des choses. J’ai donc passé 5 ans à Mumbai avant de comprendre que je n’y trouverais rien.
Il y a eu une organisation brillante, c’est la NFDC (National film Development Corporation of India), qui a lu le scénario et a très vite dit qu’elle supporterait ce film même s’ils ne proposeraient qu’un faible montant. J’ai pensé qu’après cinq ans, je ne pourrais jamais faire ce film, donc j’ai commencé à en écrire un autre.
Et c’est avec de la chance que ce projet a été invité au Festival International du film de Rotterdam où ils aident à trouver des producteurs pour un projet. C’est là-bas que j’ai rencontré mon producteur allemand (Heimatfilm). J’ai commencé par leur présenter mon nouveau projet. Mais il y avait quelque chose qui m’a donné envie de leur présenter Le Secret de Kanwar. La directrice de Heimat a décidé de faire ce film avec l’aide de co-producteurs français et néerlandais en plus du producteur indien. Il aura fallu six ans pour rassembler suffisamment de fonds. Donc 12 ans au total.
Avez vous fait ce film en vous basant uniquement sur vos connaissances ou avez vous fait des recherches en amont de l’écriture de votre scénario?
Comme vous le savez en Pendjabi le film s’apelle Qissa, ce qui veut dire “conte”, une histoire, une légende. Il y a une certaine tradition du conte dans l’Est. Les gens se rassemblent et le narrateur raconte une histoire qui erre entre la réalité et le fantastique. Je voulais prendre cette qualité de la narration du conte. Il y avait beaucoup de choses se déroulant dans le monde à cette période dont je voulais parler et ce conte était pour moi le meilleur moyen de le faire.
Je me suis d’abord inspiré de la violence de notre temps et celle en Inde après la partition entre le Pakistan et l’Inde en 1947. Il y a eu beaucoup de combat de communautés et cela a créé une tension énorme dans le pays. Ce type de tension a entraîné la violence sur les femmes et les enfants et ces derniers années, on a pu lire au sujet de la terrible situation de la femme en Inde. Je voulais comprendre la source de cette violence. Pourquoi les gens revivent leurs anciennes blessures et en créent des nouvelles ? Donc ça, c’est l’aspect historique qui m’entourait.
Mon autre source d’inspiration est plus personnel, elle est en rapport avec mon grand-père devenu un réfugié. Il est parti d’Inde pour aller en Afrique, mon père a donc grandi là bas et j’y suis né. Mon grand-père était un homme amer, il ne savait pas comment réagir à ce sentiment de perte, il y a eu un traumatisme. Je pouvais voir son malaise étant donné que j’en étais aussi la victime.
En 1975, on a été forcés de quitter l’Afrique et on a pris un bateau pour aller à Mumbai. Mon père avait le coeur brisé car il avait vécu 40 ans en Afrique et n’était jamais retourné en Inde et moi j’étais né là bas, c’était mon pays.
Sur le bateau, ils ont montré un film et en temps qu’adolescent, en regardant l’immense ciel au dessus de moi et cette infinité en dessous de moi, je me suis dit que je faisait partie du cosmos et que si je n’oublie pas cela, je ne serais jamais sans toit. Le cinéma fait partie d’un monde large pour moi, cela me donnait espoir. Si le voyage de mon grand-père avait été fait de violence et d’amertume, mon voyage à moi serait un voyage d’acceptation.
J’ai fait passé cela par exemple à travers les femmes dans mon film, on découvre un voyage d’acceptation, d’amitié, de support. Elles ont la capacité de se sacrifier pour quelqu’un d’autre.
Voici donc deux éléments qui sont venus s’associer dans mon scénario : la violence et l’affirmation.
Le film à était montré au Festival international du film de Mumbai, avez-vous eu des retours ?
Oui, il a été montré à Mumbai et au festival de Goa. Ce qui était intéressant, c’est que les gens avaient entendu parler du film qui avait déjà eu quelques prix. A Mumbai, il y avait tellement de monde qu’il y avait des personnes assises sur les marches et par terre dans la salle. Ils ont dû partir à cause de risque mais il y avait l’intention. Je pense qu’il y a une raison très simple, beaucoup d’éléments du film sont des tabous, des choses dont personne ne parle. Comme la position de la femme, la famille, la violence. Le film permet aux gens de se parler, de s’ouvrir les uns aux autres.
Vous parliez de la mauvaise situation de la femme qui est mise en avant dans votre film, donc il s’agit d’une réalité aujourd’hui encore. Mais j’ai lu que dans le Sikhisme, les hommes et les femmes devraient être égaux. Ce n’est donc pas respecté bien qu’il s’agit de leur religion ?
Comme dans beaucoup de religion et de philosophie, il y a le principe et la pratique. Malheureusement, la pratique ne correspond pas exactement au principe de base. Donc il y a toujours cette dominance de l’homme. Mais les femmes de Pendjab sont très fortes, Il faut prendre l’exemple de la mère en considération. Si vous vous souvenez , le père fait une menace contre ses filles et la mère prend donc la décision de sacrifier un de ses enfants pour protéger les autres.
Kanwar est élevée tel un homme. Est-ce que c’est un phénomène qui arrive réellement ou non ?
Le film est un conte, et j’utilise des éléments de la société en les exagérant. Toutefois c’est vrai que de telles choses sont arrivées dans le passé. Des propriétaires de terre par exemple qui ne voulaient pas céder leurs terres et ont décidé d’élever leur fille comme un fils pour que les terres restent à la famille. Il y a donc eu des cas similaires, mais toujours rare. Mais cela ne me concerne pas ici.
Ce qui m’importe, c’est que les rôles des hommes et des femmes sont définis culturellement. On raconte à nos enfants ce qu’est un homme et ce qu’est une femme. Et c’est en grandissant qu’on découvre qu’on est bien plus que ce qui a été dit, que nous sommes plus complexes. Et que définir notre esprit et notre corps est une forme de violence contre nous.
D’une certaine manière le monde crée toujours des frontières : frontières de religions, frontière entre cultures, frontière de pays, frontières entre les genres. Et nous devons suivre ses frontières qui nous limitent, mais notre monde est un monde d’abondance qui passe à travers les frontières, comme de l’eau. Mais ces dernières tiennent car elles établissent l’idée de pouvoir, de nation, de patriotisme. Et elles apportent la violence si on se dresse contre elles comme nous pouvons le voir partout dans le monde : en Syrie, dans des pays d’Afrique …
Avec Le Secret de Kanwar, je voulais questionner les différents types de frontières et observer la source de la violence. Essayer de montrer que malgré tout, on continue à se mélanger, montrer que la réalité est aussi subjective que nos rêves. En quoi sommes-nous autorisé à prédéterminer tout ce qui nous entoure et maintenir ceci à n’importe quel prix ?
Comme vous le dites, il y a la réalité et un dimension fantastique qui se rejoignent. On retrouve ceci dans votre film, mais on distingue deux parties distinctes. Etait-ce volontaire ?
Je n’avais pas l’intention de créer une division. J’ai une question simple : Qui parmi nous ne porte pas un fantôme en soi ? Vous en tant que jeune femme, vous avez cette petite fille en vous et en avez le souvenir, même si elle n’est pas là. Mais elle reste présente en vous.
On porte tous notre enfance tel un fantôme en nous. Qui ne se souviens plus de son premier amour, ou de blessures et joie apportées par nos parents? Ces éléments sont aussi comme des fantômes présents en nous. Nous portons tous ces “fantômes” qui font de nous ce que l’on est.
Donc vous comparez nos souvenirs à des fantômes.
Exactement. Et ce que le monde essaie de nous dire, c’est oublier tous ces fantômes et ne faire qu’un avec eux. Comme dans le film, il faut être à la fois Umber Singh et Kanwar.
D’ailleurs, ce changement de Kanwar est plutôt surprenant. Peut-être qu’avec le titre d’origine, cette métamorphose pouvait être attendu. Mais en France c’était une surprise totale. Y a-t-il une logique dans ce changement ? Y a-t-il une relation avec la dualité de la féminité et la masculinité des Sikhs ?
Bien sûr qu’il y a une relation avec cela. Mais c’est aussi bien plus. Il ne faut pas suivre la logique de l’intrigue mais la logique du thème qui est celui du père qui souhaite tout contrôler. Pour faire ça, il prend d’abord la féminité de sa fille, il viole son âme et la laisse avec un corps d’homme. Il viole également sa belle fille pour contrôler la vie de Kanwar.
Si son désir est vraiment puissant après cela, il reviendrait, pas comme un vrai fantôme, mais tel un fantôme en Kanwar. Neeli essaie de rendre la féminité à Kanwar, mais sa féminité lui a été volée.
Ce désir de Patriarcat est donc un fantôme. A la fin dans l’eau, c’est le père du patriarcat qui fait l’action final qui consiste à prendre la totalité de l’enfant en lui même, il domine entièrement Kanwar.
Ça n’a donc rien à voir avec la théorie de réincarnation du Sikhisme ?
Non, c’est une métaphore plutôt qu’autre chose.
Entre le début et la fin du film on constate la création d’une boucle, est-ce que cela a pour objectif de montrer que Kanwar et son père sont pris dans un cycle ?
C’est sa punition. C’est pourquoi le titre anglais dit qu’il s’agit du conte d’un fantôme solitaire. Il est maudit par ses propres actions à raconter son histoire encore et encore. Et cela, pour comprendre ce qu’il a réellement perdu : il est le créateur de sa propre solitude.
Avec mon collègue nous avons remarqué cette chaise que l’on voit au début et que l’on retrouve plus tard quasiment détruite. Y a-t-il une signification, comme quoi elle symbolise la stabilité qui est ensuite détruite?
Vous avez raison.
Au début quand le père regarde la chaise pour la première fois, à la façon dont il la tient et s’appuie dessus évidemment qu’il vérifie sa solidité. Mais rien n’est assez stable pour résister à l’histoire, tout passe. Et cela, le père ne l’accepte pas, il n’accepte pas que les choses changent, qu’il faut grandir.
Les femmes en revanche, acceptent. Même Kanwar est prête à pardonner son père, mais elle ne pardonne pas qu’il touche à son épouse. La mère pardonne le père s’il garde la famille unie. Les femme affirment le changement contrairement aux hommes.
Toutefois, dans le film lorsque la maison est détruite, la soeur de Kanwar n’accepte pas le changement.
Je crois que la vie n’est pas si simple, qu’il y a toujours une dualité. Et il y a tout type de victimes : Kanwar en est un type, tandis que ça soeur en est un autre.
Elle aime tellement son père qu’elle voit ce dernier et la maison comme tout était avant. Il y a différente victimes touchées par ce patriarcat.
On a aussi remarqué l’élément du miroir. Umber Singh ne s’y voit pas quand il s’y regarde, mais quand Kanwar regarde dans le miroir, elle s’y voit elle ainsi que son père. Y a-t-il une explication à cela ?
D’une certaine manière, ce miroir est le miroir du père. Dedans, il y voit sa famille, sa fille/fils. C’est un “miroir-monde”. C’est seulement plus tard qu’il réalise qu’il ne voit rien dedans. Mais comme il s’agit du miroir du père, Kanwar y voit ce que son père souhaite qu’elle y voit.
Au début il y a encore une chance pour Kanwar, quand elle voit sa mère se laver et la féminité qu’elle incarne, elle retourne dans sa chambre et met la robe de sa mère devant le miroir en fredonnant comme sa mère le fait. Il y a cet unique moment où le miroir est le miroir féminin qui n’est pas autorisé.
Y a-t-il des films ou des réalisateurs qui vous ont influencés ?
Il y en a un d’origine du Bengali c’est Ritrek Katak. Dans tous ses films, il posait une question : qui sur cette terre n’est pas un réfugié ? Et si on y pense, on est tous réfugiés sur cette planète. Cela me semble très important.
Un autre réalisateur est le Japonais Kenji Mizoguchi, qui est de la même période que Yasujirô Ozu. Ensuite il y a Jean Renoir. Ce qui est commun entre ces trois réalisateurs autre que leur politique très similaire, ce sont des réalisateurs ayant pour sujet la femme.
Dans l’ouest, lors d’un cours de peinture, la première chose qui est enseignée est comment dessiner une silhouette humaine tandis que dans l’est, on apprend d’abord à dessiner la nature. Cela me semble essentiel, de d’abord observer la nature puis ensuite constater la place de l’homme dans la nature. Dans l’ouest, on a cette idée de l’homme étant le centre des choses. Ces trois réalisateurs font passer la nature et ses forces avant le contrôle humain. Et c’est une tradition que je voudrais continuer.
Cette approche à la nature me fait penser, y a-t-il un choix particulier qui a été fait pour l’endroit où Kanwar devient son père (le désert, l’étang) ?
Je pense que l’eau est un élément de changement, de transformation. Même si vous regardez le film en faisant attention à la lumière, le film a une couleur se rapprochant de l’ambre qui brûle. En regardant les couleurs on retrouve des rouges, jaunes, violets, oranges tel un feu. Et de temps en temps, en particulier avec Neeli, l’épouse de Kanwar, quand elle est dans la forêt on voit du bleu, il en est de même parfois avec la mère. Donc contre le feu du père, il y a la possibilité de retrouver l’eau qui a toujours le contrôle.
Au moment de la transformation dans l’eau, élément de Neeli et de la mère, l’homme commence à s’auto-détruire et il ne plus faire marche arrière.
Le film que vous aviez commencé à écrire sera donc le prochain?
Oui, le titre sera “The Song of Scorpions” (La Chanson des Scorpions). Cela parle d’une chamane dans le désert du Rajasthan, dans le Nord de l’Inde. Là-bas, il y a cette qualité de guérir en chantant. Cette femme fait donc un voyage dans le désert pour trouver la chanson qui la guérira.
Je suis actuellement en discussion avec Irrhan Khan pour qu’il joue dans le film et Golshifteh Farahani, l’actrice iranienne, pour jouer le rôle de la femme.
Un grand merci à Anup Singh pour avoir répondu à toutes nos questions.
Vous pouvez découvrir notre critique du film ici