La fin d’une histoire.
À l’heure où le vent porte le grand Hayao Miyazaki vers le lointain, un autre pilier du studio Ghibli nous adresse, lui aussi, ses adieux. Après nous avoir ouvert le tombeau des lucioles et les portes de la famille Yamada, le réalisateur Isao Takahata referme son livre de conte sur la vie d’une petite pousse de bambou gracile devenue une spleenétique marionnette de cour. Enthousiaste comme le vigoureux bras d’eau courant à travers le bosquet, la providentielle et vivace Kaguya s’éteint peu à peu au creux du regard emplit d’amour et d’empoisonnantes promesses que lui porte ses parents adoptifs, de modestes artisans agricoles touché par la grâce de cette divine lumière. Ce récit séculaire – dit-on le plus ancien qu’ait vu naitre le pays du soleil levant – incarne tout entier l’esprit et l’histoire du Japon. "Je choisis des sujets qui me permettent de développer de nouvelles façons de m’exprimer en terme d’animation" nous confie l’orfèvre à l’aube de sa diffusion sur le territoire américain. Déroulant lentement son riche cahier d’estampes, dont la main de l’auteur se fait sentir dans chaque imperfection du trait, Takahata fait renaitre l’art graphique de l’époque Heian en insufflant à leur apparente simplicité, une force et une densité que seule l’animation pouvait sans doute lui conférer. Tantôt doux et soyeux lorsque la pointe de son crayon traine du côté des plaines bucoliques de l’arrière-pays nippon, le dessin abandonne son pastel velouté pour se faire plus cassant lorsqu’il fuit la douloureuse condition dans laquelle on tente de le retenir. À l’heure du tout numérique, Le Conte De La Princesse Kaguya produit ainsi une esthétique inhabituelle, et pour le moins audacieuse, que nous avons que très peu l’occasion de côtoyer dans nos salles obscures. Le charme opérera ou non selon le goût et la sensibilité de chacun, mais il est impossible de renier d’une part l’énorme travail abattu par ses artisans pour donner vie à la vision du cinéaste, d’autre part cette brillante harmonie qui règne entre sa forme et son fond. En effet, en puisant son inspiration dans les premiers emakis, longtemps considérés comme une passerelle entre le profane et le sacré, Isao Takahata restaure cette porte entre le monde réel et le monde onirique afin de faire entrer, dans son récit comme dans ses images, toute cette poésie et ce lyrisme dont est empreinte une partie de la culture japonaise. Il en ressort dès lors une quiétude et une rudesse qui se traduit à l’image par cette princesse, divine et tragique, déchirée entre un stoïcisme sourd et une effroyable hyperesthésie, et en musique par le fatalisme enfantin des superbes mélopées écrites par Joe Hisaishi. C’est non sans quelques longueurs que cette fable, cruelle, affectueusement crayonnée par le dernier des samouraïs de l’animation "à l’ancienne", nous emporte loin de nos horizons cinématographiques, vers une expérience déroutante et assurément mémorable. (4/5)
Kaguya-hime no monogatari (Japon, 2013). Durée : 2h17. Réalisation : Isao Takahata. Scénario : Isao Takahata, Riko Sakaguchi. Musique : Joe Hisaishi. Distribution Vocale (VO) : Aki Asakura (Kaguya), Kengo Kora (Sutermaru), Takeo Chii (le coupeur de bambou), Nobuko Miyamoto (la femme du coupeur de bambou). Distribution Vocale (VF) : Claire Baradat (Kaguya), Donald Reignoux (Sutermaru), Achille Orsoni (le coupeur de bambou), Hélène Otternaud (la femme du coupeur de bambou).