[Critique] Saint Laurent réalisé par Bertrand Bonello

Par Kevin Halgand @CineCinephile

Publié par Kev44600 le 26 septembre 2014 dans Critiques | Poster un commentaire

"1967 – 1976. La rencontre de l’un des plus grands couturiers de tous les temps avec une décennie libre. Aucun des deux n’en sortira intact."

Andy Warhol et Yves Saint-Laurent ont créés cette époque, ils en sortiront changé à jamais.

Biopics, remakes, reboots… ce sont des termes que l’on entends de plus en plus souvent grâce à des projets notables et ambitieux, comme à de très mauvaises idées. Au-delà de la confrontation de ces termes, le biopic est un genre à part entière, un genre qui permet au spectateur de découvrir la vision d’une personne (celui qui est à la base du projet très souvent) sur un être humain médiatisé,  un être humain dont le spectateur est censé avoir déjà connaissances des plus grandes "œuvres". Grossièrement, pour faire un biopic intéressant, il faut voir plus loin que la "simple" vie de la personne que l’on souhaite faire revivre au travers le cinéma. Certains metteurs en scène ont souhaité à tout prix retranscrire à l’identique ou presque, la vie de la célébrité à laquelle ils souhaitaient rendre hommage et ils s’en sont cassé les dents (cf : La Môme, Grâce de Monaco, Yves Saint-Laurent…). Néanmoins, il y a peu, un homme a réussi à rendre fiers la France et les cinéphiles qui doutaient de l’utilité du terme biopic dans le cinéma actuel. Cet homme ce nomme Florent Emilio Seri et son film n’est autre que Cloclo. Une mise en scène généreuse, une écriture sans concession, un casting divin et un montage sous électrochoc ont immédiatement fait de ce film, un film choc, un film culte. À partir de ce film, on est en droit de se dire que le biopic, peut-être un genre intéressant à partir du moment où l’homme à la base de ce projet souhaite développer l’une ou les faces cachées d’une personnalité, sans pour autant la rendre détestable. De ce point de vue là, Bertrand Bonello ni est pas aller de main morte et n’a pas manqué d’audace, en proposant un film qui en plus de décrypter en profondeur le personnage qu’est Yves Saint-Laurent, se permet d’effectuer un parallèle plus qu’intéressant, entre le couturier connu du monde entier et l’époque à laquelle il a vécu ces plus belles années. Époque qu’il a en partie façonnée avec d’autres artistes.

Fini l’académisme et la mise en scène théâtrale de Jalil Lespert, qui, malgré la bonne volonté de ses acteurs et la superbe prestation de Pierre Niney, n’arrivaient pas à insuffler une quelconque émotion à son film, ni un véritable intérêt cinématographique. Avec cette nouvelle adaptation, ce nouveau biopic, on oublie tous ces adjectifs et on passe à la vitesse supérieure, si je puis dire, grâce à un metteur en scène dont au travers de son œuvre, on peut décrypter la volonté de relever un challenge et de faire en sorte que, l’œuvre découverte par le spectateur en salle, soit intense et inclassable. Véritable épopée sur la vie de celui qui, par son inventivité et sa créativité a réussi à faire de la couture un art parmi tant d’autres, le film Saint Laurent prend à revers le précédent film sur la vie du couturier, en détruisant le mythe Yves Saint-Laurent dans le but de mieux le reconstruire, le reconstruire sur des bases solides et loin d’être celles d’un homme sain. Car oui et ce n’est un secret pour personne, Yves Saint-Laurent n’est pas seulement le plus grand couturier que notre planète a connu, c’est également un humain doté de qualités comme de défauts. Il ne faisait pas partie du monde coloré et chatoyant des Bisounours. Derrière son incommensurable amour pour la couture et les femmes, se cachait un homme détruit par l’amour de son travail, mais surtout par l’époque à travers lequel il a pu devenir celui que l’on connaît tous.

Ce qu’il y a d’intéressant dans le film de Bertrand Bonello, c’est l’idée scénaristique principale qui n’est pas de mettre en avant le business de la haute couture ou même l’œuvre d’Yves Saint-Laurent dans son intégralité. Il cherche avant tout à créer un parallélisme entre Yves Saint-Laurent et son époque, entre le créateur et sa créature. Alors que Saint Laurent voit sa popularité atteindre des sommets vertigineux et son nom devenir une marque valant des millions, on va très vite se rendre compte que l’étau va rapidement se fermer et que ce qui a fait de lui un maître, va le faire devenir l’ombre de lui-même, tout en conservant une créativité et une inventivité hors pair. Les femmes, les hommes, la drogue, l’alcool, tous les vices qui sont apparus dans le monde de la bourgeoisie parisienne (mais pas que) après les années 60, vont faire de Saint-Laurent un homme perdu et dissipé. C’est avec brutalité, mais toujours une certaine complaisance envers le grand couturier qu’il a été, que Bertrand Bonello réussi à démontrer aux spectateurs que la montée aux sommets de Saint Laurent dans le monde de la couture, fût également sa plus grosse chute. C’est avec une justesse absolument remarquable dans la mise en scène et l’écriture qu’on discerne également une judicieuse critique envers les travers de ce qui commence à paraître comme le monde de la Jet Set. Un monde où les humains les plus fragiles peuvent se réfugier grâce à leur soudaine notoriété, mais dont ils ne sortiront pas indemne.

Au travers de sa réalisation, le réalisateur met un fort accent sur les environnements. Évoluant toujours dans des environnements fermés, Yves Saint-Laurent prend seulement une bouffée d’air frais pour entrer dans des ruelles sombres et labyrinthiques, dont il lui sera difficile de trouver une sortie. Il est comme étouffé dans une époque qui ne le laisse pas vivre et qui ne lui laisse pas l’opportunité de choisir son destin, lui petit humain fragile qui se laisse voler au gré du vent. Absolument remarquable, cette réalisation joue avec astuce avec les décors, dans le but de relier ou séparer plusieurs personnages. Jeux de regard, gestes qui n’ont rien d’anodins, dialogues ou expressions faciales… rien n’est simpliste et rare sont les scènes qui se contentent de jouer sur de simples champ/hors champ. Il est fascinant de décrypter et analyser chaque plan que compose ce film, puisqu’ils ne se contentent pas de faire ce qu’on pourrait attendre d’eux au préalable. Inventif dans sa réalisation, comme dans sa mise en scène, il n’y a absolument rien à redire sur le traitement de l’image, qui est à l’image de l’époque à laquelle se déroule le film. Luxuriant, chatoyant et flashy, on prend plaisir à découvrir et évoluer dans des environnements où le terme pop est inscrit sur chaque œuvre présente ou pan de mur.

Exigeant, exaltant et passionnant, au travers de ce film Bertrand Bonello démontre qu’il ne faut pas nécessairement s’appuyer sur l’intégralité de la vie d’Yves Saint Laurent pour réussir à en dépeindre un film passionnant et intense. En décidant d’utiliser seulement la période la plus riche de la vie du couturier, le réalisateur réussi avec une maîtrise remarquable de sa mise en scène, à décrypter la personnalité d’Yves Saint Laurent, tout en s’appuyant sur le contexte social et libéral de l’époque, ainsi que sur plusieurs références picturales, qui permettent également une meilleure immersion. Le parallèle entre la montée du personnage dans sa vie professionnelle et sa chute vertigineuse dans sa vie personnelle est absolument passionnant. Et grâce à un découpage par année, le spectateur ne perd jamais pied, et ce, malgré quelques baisses de rythme, des ellipses temporelles parfois difficiles à cerner et quelques scènes dont les raccords laissent légèrement à désirer. La lassitude ne pointe jamais le bout de son nez, au contraire, on en veut toujours plus, on deviendrait presque accros à cette époque rock’n roll et à ce Gaspard Ulliel qui n’essaye pas de copier Yves Saint Laurent, mais le fait devenir un véritable personnage de cinéma. Son plus grand rôle à ce jour et très certainement son plus grand rôle à jamais.